jeudi 12 mai 2011

Pierre contre-argumente.



Lors du dernier atelier philo à l'UTL de Cambrai (portant sur le rire), j'avais exposé 13 bonnes raisons de ne pas rire, appelant à la rescousse Umberto Eco, dans un extrait du "Nom de la rose". Pierre, un fidèle participant, a bien voulu me proposer, ci-joint, 13 contre-arguments, d'autant plus utiles pour moi que je m'apprête à faire une conférence sur le même sujet à la bibliothèque de Saint-Quentin (le 11 juin). Il reprend lui-aussi le texte d'Eco, mais s'appuie sur l'avis de Guillaume (en vignette) alors que j'avais retenu le point de vue de Jorge à propos du rire.



1 – Anormal ? Le rire déforme le visage de l’homme, pas celui de l’animal qui ne rit pas (sauf celui d’une des participantes…) ? Mais la tristesse et le chagrin aussi : ce sont là expression d’émotions.

2 – Physique ? Il affecte plus le corps que l’esprit ? Pas évident : il est d’abord provoqué par une réaction du cerveau (les larmes aussi).

3 – Pas sérieux ? Comment pouvez vous prétendre qu’on ne rit jamais en faisant l’amour ? Comme si on ne pouvait pas être joyeux en faisant l’amour, sans pour cela casser la magie de l’acte. Le rire est absent de la mort ? J’admire les gens qui font un dernier jeu de mots au seuil de la mort : ils n’ont pas perdu leur sens de l’humour, et c’est une façon élégante de faire un pied de nez à la mort.
Quant au travail, il vaut mieux ne pas rire quand le patron est là, mais là aussi, bien des situations prêtent à rire. Seul, dans la plus grande concentration, il m’est arrivé souvent de rire en m’apercevant que j’avais écrit le contraire de ce que je voulais dire… et ça détend.

4 – Dérisoire ? Mais c’est justement son intérêt, de rendre dérisoire des situations qui se prennent trop au sérieux. Des situations ou des personnes : je fais volontiers ma devise de : « il faut prendre son travail au sérieux, mais surtout pas son personnage »

5 – Artificiel ? Et vous évoquez l’humoriste qui sait « faire rire » à volonté.
Mais le comédien, mais aussi l’auteur, le réalisateur de films, savent provoquer des réactions de peur, de joie, d’émotion, etc. Il n’en faut que plus les admirer. (même Bigard, quoique…) Saviez-vous que Sarkozi, lorsqu’il a été reçu par le Pape, avait emmené avec lui un certain nombre de personnalités… dont Bigard ?

6 – Mécanique ? Le rire de politesse serait condamnable ? Mais, la tristesse de politesse est également de mise lorsque vous rencontrez une personne affligée – avec qui vous avez peu d’atomes crochus, et dont le malheur vous touche peu : la tristesse en général doit-elle être bannie pour cette raison ?

7 – Bête ? Nous avons dit que le « rire bête » (farces et attrapes) n’était pas retenu. Permettez-moi de citer cette perle de la Sécu : « je fais de la dépression : si vous croyez que c’est drôle d’être seule, toute la journée, dans mon petit magasin de farces et attrapes ? »

8 – Pas drôle : l’humour sourit, le comique fait rire ? Si dans votre phrase le comique est le personnage, voilà le type même du raisonnement que je n’hésiterais pas à qualifier de mauvaise foi : il opposerait l’humour (un sentiment) et le comique (une personne), ce qui déséquilibrerait la comparaison, et comme si l’un était valorisant, et l’autre non. Comme si un comique (une personne) ne pouvait pas avoir d’humour (Quid de Devos, Desproges, Chaplin, Pierre Etaix, Tati, etc… ?). L’humour, s’il y a soudaineté, peut faire rire, d’un rire franc et sain, dont il n’y a pas lieu d’avoir honte.

9 – Etre soumis ? Domination et arme de séduction ? Vous avez évoqué le cas bien connu de ce type de drague (femme qui rit…) Mais en quoi cela condamne-t-il le rire : vous savez bien qu’un autre type de drague (le récit de ses malheurs…) est tout aussi efficace : la confession de ses malheurs est-elle condamnable ? Ce qui est condamnable, c’est l’utilisation de sentiments naturels et normaux pour arriver à ses fins, et c’est le personnage manipulateur qui est condamnable, non les sentiments qu’il utilise.

10 – Destructeur ? L’éclat de rire serait destructeur ? Mais en quoi destructeur ? Certes, il déstabilise, et provoquer un éclat de rire peut être un effet rhétorique voulu (Aristote !). Mais il libère aussi souvent d’une atmosphère qui devenait pesante.

11 – Méchant ? C’est « rire au dépens d’autrui » qui est méchant : pas le rire en soi… Toute chose a une possibilité de bon côté, mais aussi de mauvais.

12 – Irrationnel ? Il a un côté nerveux ( ?) Et alors ? Les larmes aussi…
Je me demande si ce qui vous gêne n’est pas le fait que le rire ne peut être totalement maîtrisé. Ne révèlerait-il pas une part d’inconscient ? (je parle de l’inconscient en général, pas de votre propre inconscient : je ne me le permettrais pas…)

13 – Triste ? Si le sujet qui rit est névrotique, ce n’est pas la faute du rire.

Conclusion : sourire souvent, s’amuser parfois, et ne pas avoir peur de rire…

Références : Eco : Le nom de la rose (où les arguments employés par Jorge peuvent être retournés contre lui, et servir l’inverse de sa cause…)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Apres le ciné-philo sur Georges Freches
y aura-t-il un ciné philo sur le film
La Conquete ?