samedi 30 avril 2011

Ma raison d'être.

Hier soir, à Cambrai, pendant mon animation du café philo, j'ai tendu le micro à une jeune femme qui ne me l'avait pas vraiment, directement, explicitement demandé. Généralement, je ne le fais pas : chacun est libre, dans une séance, d'écouter ou de parler ; il n'y a aucune obligation à intervenir. Mais je sais d'expérience que certaines personnes voudraient et n'osent pas. Quel dommage ! Mon travail, c'est aussi de les amener à s'exprimer sans les forcer. C'est un art très difficile.

Hier donc, j'ai senti dans le regard de cette jeune femme le désir de parler. Son visage ne demandait que ça, sa bouche s'apprêtait à le faire, je me devais de donner le coup de pouce, d'approcher le micro sans qu'elle se sente piégée, contrainte. J'y suis parvenu puisqu'elle m'a dit oui. Dans ce genre de situation, la personne souvent hésite et renonce, bien qu'elle ait envie. Elle quitte la salle frustrée de s'être tue alors qu'elle avait tant à dire. Là, le pas a été franchi. Certes, la prise de parole a été brève, mais peu importe : c'est le fait d'avoir contribué au débat qui compte et qui satisfait.

A la fin, au moment de se séparer, je suis allé voir la jeune femme pour la féliciter de son courage (il en faut pour s'adresser, sur un sujet compliqué, à une trentaine de personnes qui immédiatement vous fixent du regard, écoutent vos propos, vous jugent peut-être). La jeune femme était bien sûr heureuse d'avoir relevé ce petit défi. Elle m'a confié combien la démarche avait été sur l'instant pénible pour elle : d'abord, le micro parvenu devant sa bouche lui a semblé énorme, presque hostile ; ensuite, son coeur s'est mis à battre au point de vouloir sortir de sa poitrine (je n'invente pas !); enfin, elle m'a révélé qu'elle avait préparé, apprise et récité dans sa tête sa phrase pour ne pas s'embrouiller dans une périlleuse improvisation.

S'il y avait une seule justification à mes activités d'animateur de café philo, ce serait le témoignage et l'effort de cette jeune femme. Les philosophes en herbe, les beaux parleurs, les savants ne m'intéressent pas ; ils n'ont pas besoin de moi pour exercer leurs talents. Mais les timides, les modestes, ceux qui croient ne pas savoir, ceux-là seuls me font agir. Sans leur présence, sans leur demande et leurs besoins, j'arrêterais tout, je ferais de la philosophie à domicile, pas dans les cafés. Ils sont ma raison d'être.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Saint Mousset,
sauveur des sans paroles
prier pour lui.
Vous devriez faire pareil avec les exclus, les quartier popualires,
à quand un café philo au quartier europe ?

Emmanuel Mousset a dit…

C'est fait, depuis longtemps.

Anonyme a dit…

Pas une fois en passant,
régulièrement.

Emmanuel Mousset a dit…

Dans toutes mes activités, je ne suis pas quelqu'un qui se contente de passer.