mardi 1 mars 2011

Retour en prison.



Sur cette photo, avec Elodie et Patricia (vignette 1), nous pourrions très bien être sur le parking d'un quelconque supermarché dans une zone commerciale. Mais à gauche, en haut, un détail surprend : une tourelle, plus exactement un mirador. Nous sommes à l'entrée du centre pénitentiaire de Laon, c'est-à-dire la prison. Elle est en dehors de la ville, en pleins champs, petite forteresse entre ciel et terre, surgissant au beau milieu du vide (vignette 2). C'est assez frappant à voir, quand on s'approche par la route. Si on ne sait pas de quoi il s'agit, on s'interroge, le bâtiment est mystérieux.

Ma dernière visite, c'était il y a un an et demi ou deux, je ne me souviens plus très bien (recherchez dans les archives de ce blog). La Ligue de l'enseignement y organise des activités culturelles de toute sorte, dont un café philo. Cette fois-ci, c'est avec une collègue, Elodie Cabeau, que j'ai participé : elle expose le sujet, guide le débat et je relance quand il le faut. Patricia Legendre est la coordinatrice des initiatives en prison. Ce matin, nous avons traité, en présence de sept détenus, de la question : "Que faire de la liberté ?"

La prison, même quand on y est allé plusieurs fois, c'est toujours impressionnant : contrôles, portes, grilles, couloirs, caméras, gardiens, détenus, on entre dans un monde étrange, à part, inquiétant, mais en même temps ordinaire, normal, familier. Car les détenus sont plus proches de nous que ne le laisse croire leur privation de liberté, parfois pour plusieurs années. La plupart ont une famille à charge, songent au travail à la sortie, pratiquent en centre pénitentiaire des activités extérieures (sport, études, ...), sont très au fait de leurs droits, suivent l'actualité, ont souvent une bonne maîtrise du langage. Certains portent même des marques de distinction qui sembleraient inutiles ici, blouson Lacoste, chaussures Adidas ou Nike.

Le café philo s'est déroulé comme n'importe quel café philo (ou presque), avec du café et des idées ! En tout cas, nos échanges pendant une heure (les participants sont tous volontaires) font quasiment oublier les grilles, les gardiens, la violence (car ceux qui sont là ont commis des violences, sur des biens ou des personnes, et priver quelqu'un de sa liberté est une mesure violente quoique nécessaire). Au contraire, l'ambiance est tranquille, détendue (c'est ma perception), même si les prises de parole sont souvent vives. Mais c'est très bien comme ça.

Avant que la séance ne commence, les détenus nous attendaient devant la salle, je suis passé et les ai salués d'un petit hochement de tête. A la fin, au moment du départ, ils se sont levés, se sont rapprochés de nous pour une poignée de main. J'ai senti alors mon erreur, j'aurais dû moi aussi le faire, dès le début (j'y ai pourtant songé, mais on ne fait pas toujours ce qu'on pense). Car une poignée de main dans une prison prend un autre sens qu'ailleurs : c'est une forme de reconnaissance, un geste de dignité, une mise en confiance.

Dans un café philo ordinaire, la poignée de main (quand elle a lieu) est banale, amicale ou polie. On n'y prête pas attention, qu'on la fasse ou pas. En prison, elle a une toute autre dimension, elle devient une marque d'humanité (on ne serre pas la main à une bête ou à un monstre). Ce matin, j'ai ressenti cette chose-là, j'en ai fait l'expérience : la force, la dignité, l'humanité d'une main qui se tend vers une autre main. La prochaine fois (en avril), je ne l'oublierai pas.

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