vendredi 25 février 2011

La philosophie trentenaire.



La philosophie n'a pas d'âge mais les philosophes appartiennent comme nous tous à une génération. On s'en fait généralement une image vieille et moche. Socrate ou Kant, ce n'est pas vraiment Don Juan et Casanova. Portant, dans L'Express de cette semaine (vignettes 1 et 2), les philosophes d'aujourd'hui sont jeunes et beaux. Ils constituent une même classe d'âge qui a la cote depuis quelque temps, les trentenaires. On les voit à la télé, ils parlent bien, leurs bouquins se vendent. Leurs noms ? Charles Pépin, Cynthia Fleury, Vincent Cespedes, Raphaël Enthoven par exemple. Alexandre Lacroix, rédac' chef de Philo Mag', est aussi de la bande.

Est-ce parce que je suis quinqua débutant ? mais cette philosophie trentenaire, je n'aime pas, je ne m'y reconnais pas, je la lis très peu. Pourtant, j'ai eu Lacroix et Cespedes au téléphone, je voulais les faire venir à Saint-Quentin. Ça ne s'est pas fait, je n'accroche pas. Pourquoi ? Cette nouvelle génération de philosophes a une approche et des préoccupations qui ne sont pas les miennes (mais ça n'enlève rien à la valeur de leurs travaux, que je ne conteste pas).

Claire Chartier, auteur de l'article, le dit fort bien : "Le jeune philosophe est invité à donner de la hauteur sur tout et rien". Il devient le commentateur philosophique de l'actualité. C'est intéressant mais ça ne me bouleverse pas. J'attends de la philosophie qu'elle me dérange. Les philosophes trentenaires arrangent plutôt notre pensée. Raphaël Enthoven n'est pas dupe : "On nous réclame du sens, alors que le propre de la philosophie est de transmettre du doute, de susciter des questions".

Ma réaction est aussi générationnelle : je suis né à la philosophie avec Lévy et Glucksman, dans les années 70, dont les sujets de réflexion étaient essentiellement politiques. Puis je me suis professionnalisé dans les années 90 avec Comte-Sponville, Onfray et Ferry, qui ont remis l'éthique au goût du jour, en reprenant de grandes références, Spinoza pour Comte-Sponville, Nietzsche pour Onfray et Kant pour Ferry. Je m'y retrouvais. Avec les philosophes trentenaires, rien de tout ça : politique et éthique sont éclipsées, nous sommes plutôt dans une approche existentielle des problèmes quotidiens. Et les grandes références ont complètement disparu. Qui s'annonce désormais kantien, spinoziste ou marxiste ?

Et puis, il y a cette injustice (et même cette stupidité) à faire d'une jeunesse toute relative un argument de réflexion. Après tout, de "vieux" philosophes rencontrent aussi le succès, par exemple Alain Badiou, qui m'intéresse beaucoup plus que Pépin ou Cespedes, même si sa pensée politique est très éloignée de la mienne.

Pour finir, j'apprends dans L'Express qu'un certain Richard David Precht est, en Allemagne, l'inventeur d'un nouveau genre, le "show philosophique", qui remporte paraît-il un grand succès. Ce "téléphilosophe" a vendu à 1,5 millions d'exemplaires son ouvrage "Qui suis-je et si je suis, combien ?" (25 000 en France). Bref, la mode de la philo, commencée il y a vingt ans, se poursuit, et ce n'est pas moi qui vais m'en désoler, même si je n'y adhère pas toujours. Mal philosopher, c'est tout de même philosopher, et c'est finalement ce qui compte.

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