mercredi 8 septembre 2010

Flagrant délit.

Un enseignant voit tout, c'est ce que je dis toujours à mes élèves. Ce n'est pas complètement vrai, mais presque. Disons qu'un prof, de son bureau ou comme moi debout et circulant dans les allées, remarque pas mal de choses, et très vite. Les angles de vue les plus sensibles sont le fond de classe, le bord des murs et le long des fenêtres.

Un élève malin évitera ces endroits, où l'on se fait très facilement repérer. Ce sont en quelque sorte des zones surveillées, qui attirent spontanément l'oeil de l'enseignant. Ces refuges naturels se transforment donc pour l'élève inconscient en de terribles pièges. Quelle chance pour le prof que l'élève ne s'en rende pas compte et soit bien peu malin !

En revanche, le milieu de classe, en face du bureau, échappe généralement à ma vigilance. Les élèves y sont nombreux, moins discernables individuellement, et réputés sérieux et attentifs puisque proches de la sainte table et du divin prêtre (je charrie, bien sûr). Vous me direz peut-être que le sachant, je peux orienter mes regards vers là. Non, parce que la part de spontanéité qu'il y a à enseigner me le fait oublier. Et puis, je crois en la force des habitudes : le mauvais élève choisira toujours, par instinct, par atavisme, le fond de salle ou les murs.

Pourquoi vous raconter tout ça ? Parce j'ai chopé ce matin ma première élève en flagrant délit. La pauvre accumulait sans le savoir plusieurs défauts : elle était en fond de classe, côté fenêtre, près du radiateur. Même si celui-ci ne fonctionne pas encore, même si sa douce chaleur n'exerce pas pour le moment sa séduction sur les élèves les plus faibles, symboliquement sa présence attire, tente, suggère. Par dessus le marché, la malheureuse avait choisi la solitude, aucun camarade à ses côtés. C'est inévitablement suspect, on présume l'élève qui veut rester tranquille pour faire autre chose que de noter le cours.

Je l'avais donc à l'oeil, j'en avais fait, par prévention, l'une de mes cibles. Bingo ! Ce matin, vers la fin du cours, je repère sa main qui cesse d'écrire, son regard qui se baisse, son visage qui n'écoute plus, qui se déconcentre. Je m'approche tranquillement, je passe derrière elle, je me penche juste un peu : gagné ! Elle a un téléphone portable entre les cuisses, qu'elle est bien sûr en train de consulter, qu'elle n'a pas eu le temps de dissimuler. C'est vraiment mal joué pour elle.

Je ne suis pas chien et le lui dis : qu'elle ne recommence pas et tout sera entre nous oublié. Mais j'ai désormais son nom et son visage en tête. Je ne me fais aucune illusion : d'autres ont sûrement cette coupable faiblesse, consulter leur portable en cours, envoyer des sms. Mais elle a eu le malheur ou l'inintelligence de se faire prendre. Au fond, je ne lui en veux pas ; un prof doit savoir très vite passer l'éponge et penser à autre autre chose, en l'occurrence le proche avenir. C'est dommage tout de même pour elle.

D'ailleurs, peut-être ne faisait-elle que consulter l'heure, ce qui n'est pas franchement répréhensible. Mais un prof est une créature inquiète et suspicieuse : et si c'était pour autre chose que s'informer de l'heure ? J'étais en droit de confisquer l'appareil et de faire un rapport au proviseur. C'aurait été une erreur pédagogique : il est inutile d'aller jusque là. J'ai un principe : quand il y a un problème en classe avec un élève, j'essaie de le régler les yeux dans les yeux et de trouver une solution intra muros. Il faut vraiment que le cas soit gravissime pour remonter jusqu'à la direction. Ça ne m'est jamais arrivé. Je touche du bois, par exemple celui de mon bureau.

4 commentaires:

chuuuutttt a dit…

ah pour une fois que vous repérez les portables !.

l'année dernière , dans notre classe ,je voyais plein de statuts facebook "je suis en cours de philo " d'éléves de ma classe dés que j'allais sur le site à ce moment là , et vous en aviez jamais repéré un ;-).

Sinon être seul , n'est pas suspect . Je connais un éléve qui se met seul , parce qu'il sait que sinon il bavarde trop et n'écoute pas le cours !

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne suis pas préposé à la détection des portables. En classe, je dois surtout faire cours. Mais je vous remercie de dénoncer ainsi vos camarades. Vous m'êtes un précieux auxiliaire et je souhaite que nous restions en contact pour approfondir notre collaboration.

Quant à l'élève bavard et distrait qui devient vertueux dans la solitude, bravo.

Anonyme a dit…

Cela fait maintenant 5 mois que je lis votre blog, je me permet de poser mon premier commentaire.

A croire que moi et mes 3 copains sommes plus intelligent que les autres notre place privilégiée est au premier rang ou au second. Le professeur comme vous le dites a pour habitude de se " balader" dans la salle, d'aider les élèves qui ont un problèmes, répondre à une question.

en étant au premier rang, il y a 4 chances sur 5 que le professeur ai un angle mort sur celui-ci.

C'est donc la place idéale pour blaguer, discuter, faire les 400 coups. Lorsqu'il se déplace dans les rangs ( 3/4 du temps pour mes professeurs), nous avons champs libre pour rêver ou nous retourner avec un grand sourire sur le rang de filles derrière le notre.

Le premier rang est donc selon mon expérience personnelle, le lieu où le professeur est le moins attentif à la tenue des élèves, se concentrant sur le fond de la salle.C'est également le meilleur endroit pour sortir son portable puisque les bureaux étant collés: le professeur ne peut pas déceler de portable.

Emmanuel Mousset a dit…

Je confirme.