dimanche 23 mai 2010

Une idée de livre.


Mercredi dernier, à l'UTL de Cambrai, j'ai donné une conférence inédite et je crois originale : une réflexion sur le phénomène contemporain des Cafés Philo et plus généralement sur l'engouement actuel pour la discipline, en allant chercher ses origines très loin dans l'histoire de la pensée. Si inédite et originale (je n'ai jamais rien lu là-dessus) que je serai presque tenté d'en faire un livre, d'autant que nous fêterons en 2012 les vingt ans de la création du premier Café Philo (celui des Phares à Paris). L'anniversaire fait l'occasion, comme l'occasion fait le larron !

Ma thèse, c'est que la philosophie, de réputation élitiste, doit répondre dès ses origines à une demande populaire qu'on ne trouve pas toujours dans les arts ou les sciences. Tout commence avec Socrate, qui fait redescendre la réflexion du ciel sur terre, en délaissant les cosmologies de ses prédécesseurs pour s'intéresser à l'homme et à la question éthique.

A la même époque, les Sophistes, peu appréciés par Platon dont la pratique philosophique est au sens propre aristocratique, mettent leur savoir et leur rhétorique au service de la Cité, sous condition de rémunération. A la suite, les écoles épicurienne, stoïcienne et cynique s'ouvrent aux esclaves et parfois aux femmes. La popularisation de la philosophie est en marche.

A l'époque classique, Descartes fait date en publiant son Discours de la Méthode en langue française, alors que la philosophie de l'époque et des siècles précédents s'exprimait dans le langage des clercs, le latin. De Montaigne jusqu'à Diderot se développe une philosophie à la française, claire, concrète, abordable, qui plaisait tant à Nietzsche, et que viendra contrarier, à l'époque moderne, la philosophie allemande ésotérique aux communs des mortels, avec en tête les immortels Kant et Hegel. Marx corrigera cette dérive en publiant son Manifeste, un ouvrage philosophique en direction des ouvriers instruits, le livre le plus lu après la Bible, dit-on.

Dans l'après-guerre, Sartre et Beauvoir peopolise avant la lettre leur couple philosophique qu'on retrouve dans les cafés à la mode. Les existentialistes dominent la vie nocturne de Saint-Germain, les boîtes, le jazz, Gréco et Vian. La philo sort de la Sorbonne et des bibiothèques pour causer, swinger et dans les années 60 s'engager, Sartre montant sur son tonneau devant les ouvriers de Billancourt.

Dans les années 70, la philosophie entre dans les studios de télévision, devient médiatique. C'est le phénomène éditorial des "nouveaux philosophes", BHL et Glucksmann en tête, lancés par le très regardé Apostrophes. Puis viendra, dans les années 1980 et 1990, le temps des grands pédagogues : André Comte-Sponville (dont j'ai eu l'honneur d'être l'étudiant), Luc Ferry, Michel Onfray.

Aujourd'hui, la philo est partout alors qu'elle était autrefois réservée à des cercles privilégiés. Depuis 2 006, elle a même son mensuel, comme il y a un magazine de la pêche ou du jardinage ! Je pense que c'est formidable. Mais des collègues s'en inquiètent : la philosophie n'est-elle pas ainsi dénaturée, pourquoi pas prostituée ? Je ne crois pas. Les profs de philo devraient être fiers que leur matière soit ainsi popularisée.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourquoi pas? C'est un sujet intéressant et mes élèves reprochent souvent à la philosophie ce côté élitiste.
J'émettrais juste une réserve : considérez-vous que BHL soit un philosophe? Il me semble que "philosophe" et "people" soient des concepts contradictoires. De plus il m'apparaît que c'est de la pure fatuité que de s'intituler "philosophe"? Quoi qu'on puisse dire, je ne pense pas que ce soit un métier.
S. R. enseignante à Lausanne

Emmanuel Mousset a dit…

Cher collègue,

Oui BHL peut être qualifié de "philosophe" puisqu'il écrit des ouvrages de philosophie qui ne sont pas des manuels de pédagogie. Il n'est pas, comme je le suis, professeur de philosophie.

Souvent, on lui dénie ce titre qu'on préfère réserver aux "grands" philosophes, ceux que l'histoire retiendra. Mais je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas de "petits" philosophes (sans rien de péjoratif). En tout cas, ce mot ne doit pas être un privilège ou une étiquette réservés à quelques-uns.

Vous avez raison, "philosophe" n'est pas un métier, c'est un désir, un besoin, une vocation, un devoir peut-être, mais pas une profession. Prof de philo si, évidemment.

Sur le "people" : un philosophe peut l'être, comme il peut être banquier ou soldat. Ce n'est pas son apparence qui compte mais sa pensée.

Emmanuel Mousset a dit…

Pardon : Chère collègue ...