lundi 26 avril 2010

Lost en philosophie.

Une journaliste de Télérama m'a contacté, par le biais de ce blog, à la suite de la découverte d'un de mes billets consacré à la série télévisée Lost, datant de l'été 2 008. Elle prépare un article pour la diffusion du dernier épisode, prévue le 23 mai à la télévision américaine. Je lui ai donc livré mon analyse (texte ci-dessous) et nous nous sommes entretenus par téléphone. Son travail paraîtra dans Télérama du 19 mai. En attendant, je vous présente en primeur ma réflexion :


Lost, un divertissement philosophique.
 
Incontestablement, la série américaine Lost est singulière, nullement comparable à ce qui a pu se faire jusqu'à présent en matière de séries de ce genre, à l'exception notable du Prisonnier, dans les années 60, où la dimension philosophique était également évidente, même si les thèmes étaient assez différents (quoique la notion d'emprisonnement dans une île mystérieuse rapproche les deux séries ; mais la dimension religieuse, fortement présente dans Lost, est totalement absente du Prisonnier, dont la philosophie est plutôt libertaire et beaucoup plus sommaire, incomparablement moins riche de sens que celle de Lost).


Lost est un divertissement philosophique d'abord dans sa démarche. Dès le premier épisode, c'est l'effet d'étonnement qui s'empare du téléspectateur, et qui ne le quittera plus tout au long de la série. Pour Aristote, l'étonnement est le commencement de la démarche philosophique. Tout pensée débute par là. Sinon c'est le préjugé ou l'évidence qui l'emportent. Il y a des séries qui passionnent, qu'on admire, mais très peu étonnent, surprennent, intriguent : Lost en fait partie.

Mais l'étonnement n'est encore philosophiquement rien, il n'est que l'émerveillement de l'enfant, s'il n'est suivi de l'interrogation. Depuis Socrate, toute la philosophie est un processus de questionnement qui n'en finit pas d'engendrer d'autres questions, presque à l'infini. C'est l'impression que nous avons en regardant Lost : qu'une question en produit une autre, que le mode interrogatif domine la série, qu'aucune thèse sur les mystères de l'île n'est tenable, qu'aucun credo n'y résiste.

Le questionnement ne suffit pas encore, car il pourrait être un doute stupide. La finalité de la philosophie, c'est la vérité, et celle-ci est probablement inaccessible, mais on peut s'en rapprocher, tel un puzzle que patiemment on reconstitue. Ainsi Lost se déroule-t-il dans une tension permanente vers la vérité, qui est la seule obsession de la série, concentrée vers l'énigme de l'île et sa résolution. Ces personnages n'ont qu'une seule quête, celle de la vérité (alors qu'ils pourraient tout simplement s'efforcer de survivre ou attendre d'éventuels secours).

Si la philosophie a une fin, la vérité, elle a aussi un moyen : la raison. Lost pourrait se borner à être une série fantastique de plus, ou bien de science-fiction. Même si certains épisodes empruntent les caractéristiques de ces deux genres, jamais la série n'y bascule entièrement. Au contraire, les naufragés manifestent beaucoup de distance et de dérision à l'égard du surnaturel, ils s'efforcent de comprendre ce qui se passe et ce qui leur arrive. A leur suite, les téléspectateurs sont invités à cogiter, à tenter une rationalisation des événements. Jamais la série ne se complaît dans l'irrationnel qui pourtant la parcourt, elle essaie au contraire de le surmonter, de l'éclairer par la raison.

Philosophique dans sa démarche, Lost l'est aussi dans ses thématiques. La première est le temps, dont la problématique est constante. Dès le début, les personnages, prisonniers de l'île, ne le sont manifestement pas du temps, puisque le téléspectateur est renvoyé à leur passé puis à leur futur, jusqu'à ce que ces personnages eux-mêmes, non plus cette fois en pensée mais réellement, voyagent dans le temps, qui apparaît de plus en plus, au rythme des saisons, comme le fil qui conduit à la solution.

Mais ce temps n'est pas n'importe quelle durée : c'est celle de la moralité. Les personnages sont torturés, confrontés au mal, à la faute, au remords, cherchant une forme de rédemption. La série bascule ici dans la philosophie éthique. On a le sentiment que leur présence sur l'île correspond à une forme d'épreuve, une sorte d'expiation. La souffrance est présente, la mort aussi. Le rapport à l'autre est maintes fois soulevé, avec une prédominance pour les relations filiales conflictuelles.

C'est aussi pourquoi Lost est imprégné de religiosité, à tel point que certains téléspectateurs en quête d'explications ont cru bon soutenir que tous les personnages étaient morts dans le crash de l'avion et se retrouvaient au Purgatoire ! Ce n'est probablement pas la solution finale, mais la métaphysique religieuse baigne la série et explique son grand succès auprès d'un public américain qui y retrouve ses thèmes religieux préférés.

Philosophique dans sa démarche comme dans sa thématique, Lost n'est cependant qu'un divertissement de grande qualité. Et quelle que soit la clé de l'énigme que nous livrera le tout dernier épisode, il y a fort à parier qu'elle décevra, comme Le Prisonnier en son temps lorsque fut connue la fin, qui n'en était pas vraiment une. Car ce genre de série est condamné à ne pas finir. Car Lost, comme la philosophie, ne peut être qu'un éternel recommencement.

3 commentaires:

Lightbulb a dit…

Aviez vous remarqué que de nombreux personnages portent des noms de philosophes:Locke,Hume,Rousseau?

Emmanuel Mousset a dit…

Oui bien sûr, mais ce ne sont que des clins d'oeil, parce qu'il n'y a pas vraiment de rapport entre les personnages et les philosophes.

Anonyme a dit…

http://fr.lostpedia.wikia.com/wiki/Philosophie

Pourtant il y a des rapports entre les personnages et les philosophes!