dimanche 28 février 2010

Lever le doigt ?




Belle affluence hier soir au Café Philo de Soissons : à plus de vingt, c'est gagné. Bons échanges autour d'un sujet qui n'est pas pourtant particulièrement attractif : Les religions nous disent-elles la vérité ? Bonne ambiance aussi : généralement, avec ce genre de thème, on navigue de Charybde en Scylla ; il y a les croyants qui défendent leur foi sans réfléchir ou bien les athées qui dénoncent la foi sans penser. Les deux écueils ont été évités : ni culs bénis, ni bouffeurs de curés !

Une petite contrariété est venue cependant froissée ma bonne humeur. Les participants connaissent, pour la plupart, la règle et l'esprit du Café Philo : chacun intervient, s'il le souhaite, pour son propre compte, prenant le temps d'exposer son point de vue, contestant éventuellement celui des autres, mais sans interpeller personne. Une amie a jugé bon de poser une question (alors qu'on attend d'elle et de tous une réponse), des plus indiscrètes qui soient, sous une forme extrêmement maladroite : que ceux qui croient en Dieu lèvent le doigt !

Non, non et non, pas d'objurgation de cette sorte au Café Philo, et surtout pas en répondant par des mains levées ! Nous ne sommes pas dans une salle de classe ni dans une réunion politique, on n'obéit pas, on ne vote pas, on ne se compte pas, on se contente de réfléchir. Lever le doigt est une mauvaise manière en la circonstance. C'est une demande d'autorisation qui manifeste une soumission. Or le Café Philo rassemble des hommes et des femmes libres, que rien n'engage, rien ne contraint.

Certes, pour prendre la parole, il faut me faire un petit signe discret afin que je passe le micro, mais c'est purement pratique, ça ne prouve aucune autorité de ma part. Je ne suis ici qu'animateur, pas professeur. Chacun intervient sans autorisation, mais seulement avec un minimum d'organisation. Je me méfie beaucoup de ceux qui interpellent les autres pour généralement ne pas se dévoiler eux-mêmes. Je crains la dictature des mains levées, je crois en la démocratie des bouches ouvertes.

samedi 27 février 2010

Un nouveau lycée.




Hier matin, entre 10h00 et 12h00, mes élèves n'ont pas eu cours. Je devais participer au Conseil pédagogique, qui regroupe les représentants des disciplines. L'ordre du jour était la réforme du lycée, et la séance quelque peu exceptionnelle puisque le proviseur était entouré de deux inspectrices, de Lettres et de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), venues nous expliquer la bonne application de la réforme dans notre établissement, et répondre à nos questions.

Ce que j'en ai retenu, pour ce qui concerne l'enseignement de la philosophie, c'est que je pourrais éventuellement intervenir en classe de Seconde, dans le cours consacré aux Méthodes et pratiques scientifiques, pour traiter des questions d'épistémologie. Pour le reste, au-delà du découpage horaire complexe et d'un affichage des matières un peu rébarbatif, je note surtout que le nouveau lycée n'aura plus grand-chose à voir avec celui que j'ai connu élève il y a plus de trente ans et celui que j'ai intégré pour y exercer il y a 17 ans.

La scène traditionnelle du professeur solitaire en face d'une classe prise en bloc s'estompe de plus en plus, et depuis quelques années déjà. L'individualisation de l'enseignement fait son chemin. Le prof est plus un soutien qu'un clerc, son travail est plus directif que magistral.

Le contenu des parcours tend à se professionnaliser. Le lycée demeure général, mais on sent que l'objectif est de concourir à l'intégration sociale et à la formation d'un métier. Les aptitudes, les compétences sont recherchées, autant que la transmission d'un savoir.

Les professeurs sont invités progressivement à se concerter, à mettre en place des projets, à s'entendre avec les collègues des autres matières. Sans y paraître, c'est toute une dimension plus fortement collective de la profession qui s'installe.

Que faut-il penser de ce nouveau lycée ? Chacun jugera selon ses convictions. J'ai souvent entendu parler, depuis que je suis enseignant, d'une réforme du lycée, enthousiasmant les uns, rebutant les autres. Je crois que cette fois, pour le meilleur ou pour le pire, on y est.

vendredi 26 février 2010

Tsé-tsé.


Le jeudi à 16h00, ma classe revient de deux heures de sport. C'est vous dire s'ils sont prêts à goûter aux joies de l'esprit ! Hier ce n'était visiblement pas le cas. J'ai pourtant fait cours dans un calme inhabituel, dont beaucoup d'enseignants rêveraient. Mais était-ce le signe de leur concentration intellectuelle ? Je l'ai cru au début, et j'ai vite déchanté quand je me suis aperçu que quelques-uns, deux ou trois, ... dormaient.

Il suffit dans un groupe que deux ou trois éléments soient hors service pour que l'ensemble s'en ressente, et positivement. Que faire quand on surprend un élève à dormir ? La réaction la plus légitime est de l'envoyer à l'infirmerie, le sommeil en plein jour pouvant être considéré comme une maladie. Mais je ne souhaite pas compliquer la situation, j'ai en tête l'intérêt général de la classe, je fais comme si de rien n'était.

Et puis, j'ai personnellement horreur de réveiller quelqu'un qui dort. C'est un geste indécent, impudique. Surtout, je connais la puissance du sommeil, notre plus terrible ennemi. A la fac, étant étudiant, je luttais régulièrement contre lui, et il avait le dessus : on ne peut rien contre cette envie, la plus irrémissible de toutes.

Ce matin, à la première heure de la matinée scolaire, ce n'était sans doute pas le sommeil du corps qui était soupçonnable, mais manifestement celui de l'esprit. J'avais beau poser des questions, tendre des perches, m'efforcer de provoquer des réactions, rien ne venait. Je ne pense pas que les têtes étaient ailleurs, je ne l'ai pas en tout cas remarqué. Mais la classe était, de fait, inerte.

Le sommeil, de corps ou d'esprit, serait-il contagieux ? Une mystérieuse et invisible tsé-tsé m'aurait-elle piqué? Toujours est-il que dans ma voiture, en direction de l'atelier-philo de Guise, mes paupières s'alourdissaient dangereusement (au volant, forcément !). Il paraît que ma fatigue ne s'est pas ressentie durant mon animation (voir vignette). Tant mieux.

jeudi 25 février 2010

Nobody is perfect.


Je suis allé ce matin chercher la copie de ma "notice annuelle de notation administrative" chez le proviseur-adjoint. On l'appelle plus communément "note administrative", parce que c'est l'administration qui note le service de ses agents. La pédagogie, c'est l'affaire des inspecteurs, une fois tous les six ou huit ans.

Cette note administrative, le fonctionnaire est en droit de la contester et de faire appel. Je ne l'ai jamais fait. Pourquoi le ferais-je ? Ce n'est pas à moi de juger mon propre travail, ce serait éventuellement aux élèves. Mais le système n'en est pas encore arrivé là. C'est donc la hiérarchie qui s'en charge.

Suis-je cependant satisfait de cette "notice" ? Pas complètement. Le style laudatif se discute. Je ne fais que mon métier, d'autres diraient mon devoir. Rien n'est évidemment faux. J'introduirai seulement une petite nuance : ma ponctualité n'est pas ce qu'il faudrait, je mange parfois quelques précieuses minutes de cours, ayant mille choses à faire. Le conseiller principal d'éducation, connaissant cette légère faiblesse, a la bonté d'ouvrir à mes élèves la porte de la salle, et même de débuter le cours au tableau (private joke, les élèves en question comprendront). Nobody is perfect.

mercredi 24 février 2010

Le don et l'enthousiasme.


Nietzsche et le christianisme, c'est la première fois que je traitais de ce thème, cet après-midi devant l'Université du Temps Libre de Cambrai. Trouver dans L'Antéchrist des extraits qui résument la pensée du philosophe n'est pas aisé. Les trois en vignette, annotés par mes soins, répondent assez bien à l'objectif. Le premier à gauche est la dernière page, fort provocatrice, de l'ouvrage, le deuxième est une réflexion sur la compassion et le troisième une critique des trois vertus théologales, foi, espérance, charité.

Je crois que mon travail a fonctionné. Et puis, je me rends compte que je sors de la salle de plus en plus tard. La séance se prolonge sans le vouloir, c'est l'intérêt du public qui pousse à ça. Bon signe, finalement. J'ai terminé en évoquant un possible voyage à Paris, sur les traces de Jean-Paul Sartre, ce qui a immédiatement soulevé l'enthousiasme. Quoi de plus beau ? Se donner et soulever l'enthousiasme.

mardi 23 février 2010

Ciné Philo.


La directrice du Multiplexe a bien voulu me confier la rédaction de l'éditorial qui annonce les films d'Art et Essai des prochaines semaines dans le magazine Cap'Cinéma (voir la vignette). Je m'acquitte de cette tâche avec grand plaisir. La promotion du cinéma de qualité est aussi une mission de l'Education populaire.

Aux élèves d'Henri-Martin qui souhaitent bénéficier d'une place gratuite pour le Ciné Philo de jeudi, qu'ils me contactent dès que possible, ou bien qu'ils s'adressent à Yasmina Zar, élève de TL1, qui a en sa possession la feuille des inscriptions. Le sujet du film, Le Refuge, est indiqué dans la vignette ci-dessus.

Je précise que je ne serai pas l'animateur de la séance, confiée à Gérard Caudron, ancien professeur de philosophie au lycée Condorcet et animateur de ciné-club.

lundi 22 février 2010

Rentrée.


J'aime beaucoup les vacances, je pourrais les prolonger avec énormément de plaisir. Mais j'aime beaucoup le travail, je pourrais m'y consacrer indéfiniment sans difficulté. C'est sur ce paradoxe que je souhaite vous faire part de mes impressions de rentrée. En vous rappelant aussi que le Ciné Philo a lieu exceptionnellement ce jeudi.

dimanche 21 février 2010

Alerte rouge !


Il fallait que ça arrive. Ça finit toujours par arriver, mais ce n'est pas inéluctable non plus. J'ai connu des années où j'y échappais. Enfin on n'y peux rien sur le moment, ou pas grand-chose. L'alerte rouge s'est déclenchée, il faut maintenant faire face et tenter de surmonter la situation. Une prochaine alerte aura-t-elle lieu ? Je ne sais pas, je ferai en sorte que non, mais tout est possible. Ceci dit, une alerte est précisément faite pour alerter, prévenir, anticiper et ce faisant pour dissuader. De ce point de vue, j'espère que cette alerte aura tous les effets escomptés.

Mais je parle de quoi ? De mes TSV, de leurs dernières copies et du fameux rapport que j'établis entre le groupe qui dépasse la moyenne et celui qui est en deçà. Jusqu'à présent, depuis le début de l'année scolaire, le premier était toujours supérieur au second, dans mes trois classes. Cette fois-ci, pour ce devoir qui termine le deuxième trimestre, les TL ont creusé une bonne distance entre ceux qui ont la moyenne et ceux qui ne l'ont pas, les TES ont réduit considérablement et dangereusement la distance mais l'écart demeure. Quant au TSV, terminant aujourd'hui leurs corrections, c'est en rapportant leurs notes dans mon carnet de bord que l'alerte rouge s'est déclenchée, comme dans le cockpit d'un avion : 17 n'ont pas la moyenne, contre 13 qui l'obtiennent.

Pas de panique à bord, le pilote est toujours dans la cabine, il est expérimenté et a traversé des situations autrement plus périlleuses. Il suffira de redresser la barre pour la prochaine fois. Qu'est-ce qui fait pourtant qu'on en est arrivé là ? Il y a d'abord la classe, scientifique, qui ne compte pas trop sur la philo pour avoir le bac. Je suis bien d'accord avec eux. Mais qu'ils fassent gaffe : c'est à cause de la philo qu'ils pourraient rater le bac. Car les points qu'on perd ici doivent être trouvés ailleurs, et ça complique les choses.

Il y a ensuite le sujet sur le travail, Qu'est-ce qui peut donner un sens au travail ? qui a été traité sans se concentrer sur la notion de sens. Du coup, les élèves ont énuméré dans la copie toutes les raisons pour lesquelles nous devons travailler. Ce n'est pas exactement la question. En début d'année, j'aurais largement passé sur ce défaut, qu'on appelle classiquement hors-sujet. Arrivé au 6ème devoir, après cinq mois de cours de philo, non, je ne passe rien. Mes élèves savent, pour se l'être entendu répéter souvent, que la compréhension du sujet est le préalable à une bonne dissertation.

Voici l'échelle des résultats, à gauche la note, à droite le nombre de copies :

4 : 2
6 : 1
7 : 5
8 : 5
9 : 4
10 : 3
11 : 2
12 : 2
13 : 3
15 : 2
17 : 1


En vignette : le café citoyen est moins connu que le café philo, parce que moins ancien. Mais c'est tous les 2ème jeudi du mois, de 19h00 à 20h30, au même endroit que le café philo, au Manoir, avec cependant un autre animateur, puisqu'il s'agit de Michel.

samedi 20 février 2010

Monsieur Henri Martin.




Combien d'élèves connaissent l'identité de celui qui a donné son nom à leur collège et lycée, Henri Martin ? C'était pourtant un grand historien républicain du XIXème siècle. C'est un peu dommage, non ? D'autant que l'anniversaire du bicentenaire de sa naissance, c'est cette année ... aujourd'hui plus précisément ! Mais deux siècles peuvent attendre un an ! Car j'ai pour ma part l'intention de célébrer l'événement de plusieurs façons :

- D'abord en faisant venir un universitaire de mes connaissances, Jean-Paul Martin (rien à voir avec Henri !), spécialiste de l'historien, qui nous fera une conférence sur l'homme et l'oeuvre.

- Ensuite, Henri Martin n'était pas seulement professeur et savant mais militant et politique, vice-président en son temps de la très laïque Ligue de l'enseignement, que j'ai l'honneur de présider dans l'Aisne. Voilà aussi un angle d'approche du personnage à exploiter.

- Et puis, je verrais bien mes élèves de Première, en ECJS, nous faire une petite recherche sur Henri Martin, pourquoi pas avec une exposition à la clé.

- Enfin, last but not least, j'aimerais que la stèle devant le lycée, initialement consacrée à Henri Martin et depuis la guerre désespérément vide, supporte à nouveau la statue de notre grand homme.

Voilà encore du pain sur la planche ! Si des élèves ou tout citoyen de notre bonne ville veulent s'atteler à préparer avec moi ce bicentenaire, qu'ils soient les bienvenus !
En vignette : l'édition d'aujourd'hui de L'Aisne Nouvelle.

vendredi 19 février 2010

Encore Darwin.


Anny, de la Ligue des Droits de l'Homme, m'a invité à donner ce soir une petite conférence sur Darwin à la médiathèque de Roisel. Je ne connais pas du tout l'endroit, j'ignore ce que sera le public, c'est donc toujours l'inattendu qui prévaut, et la nécessité pour moi de m'adapter à mon auditoire. D'autant que la pensée de Charles Darwin n'est pas particulièrement attractive, comme tout sujet scientifique !

J'ai d'abord été agréablement surpris par le nombre de participants, assez élevé. Et puis, j'ai retrouvé avec bonheur mon vieux camarade Michel, maire de Roisel, que je n'avais pas vu depuis au moins trois ans. 18 kilomètres seulement nous séparent, mais que le temps passe vite ! J'avais préparé mon coup : dans une rencontre initiée par la LDH, mon angle d'attaque ne pouvait être que "darwinisme et droits de l'homme".

J'ai structuré en trois point mon intervention, qui n'a duré que 25 minutes (mais c'est parfait pour conserver l'attention du public, surtout en fin de journée) : d'abord le rappel de la démarche laïque du grand savant, qui consiste à observer et penser en dehors de tout a priori religieux, ce qui le conduit à remettre en cause certaines représentations de la vie tirées de la Bible ; ensuite la démonstration de l'humanisme de sa pensée, puisqu'elle affirme que la civilisation, faite d'altruisme et de compassion, est le produit chez les hommes de la sélection naturelle ; enfin la dénonciation du "darwinisme social", qui applique abusivement en la dénaturant la sélection naturelle à l'économie au profit de l'ultra-libéralisme.

L'assistance a été je crois ravie. Ces choses-là se sentent, puis se disent pendant le buffet qui a suivi. Des parents dont l'enfant est à Henri-Martin, mais pas avec moi en philosophie, m'ont avoué être venus à cause de ma "réputation". Mais oui ! Il m'a fallu environ dix ans pour avoir une "réputation" ! Quelques années seulement dans un établissement où il y a 150 enseignants, on est en revanche vite oublié.

La conférence, c'est peut-être mon intervention philosophique préférée, qui n'est pourtant pas la plus courante (je suis plus souvent animateur que conférencier). Cet exercice instaure entre le public et moi une forte intimité, une sorte de communion dans la transmission et la compréhension des idées. Oserais-je dire que c'est un acte d'amour ? En tout cas il me transporte et j'en sors heureux.

jeudi 18 février 2010

Ma philo chérie.




Très bon café philo hier soir à Bernot. Le thème Et si on parlait de la médisance ? était porteur. C'est la première fois que je le testais, il m'avait été proposé sans que j'y songe, je peux dire qu'il a fonctionné. En revanche, j'ai été moins satisfait du débat de ce soir au café philo de Saint-Quentin. La question était plus classique, trop peut-être : A-t-on encore besoin de l'école ? Les clivages traditionnels sont réapparus, les clichés aussi à propos du système scolaire. C'est finalement un sujet qui se prête plus à un café citoyen qu'à un café philo.

J'ai terminé la correction des devoirs des TES. Le sujet Quel sens peut-on donner au travail ? a souvent été préféré mais mal traité. On sauve tout de même les meubles puisque ceux qui ont la moyenne restent plus nombreux que ceux qui ne l'ont pas (le rapport est de 18 à 16). Mais l'écart entre les deux groupes se rétrécit dangereusement. Voici l'échelle des notes (à gauche la note, à droite les copies) :

6 : 2
7 : 3
8 : 4
9 : 7
10 : 4
11 : 5
12 : 3
13 : 4
15 : 2

Vignette 1 : l'introduction du café philo de Bernot.

Vignette 2 : Raphaël est au micro, la chouette de la sagesse nous tourne le dos, à gauche de la petite bouteille d'eau minérale m'attendent, sur une serviette de papier rouge, les trois Mon Chéri qui me sont à chaque fois réservés.

mercredi 17 février 2010

L'espoir au coeur.


A Paris dimanche dernier pour préparer ma prochaine sortie scolaire, je suis tombé sur cette publicité très significative de l'ambiance dans laquelle nous vivons depuis quelques jours (en vignette), si l'on en croit les télévisions, radios, journaux et magazines, que je vous résume : l'Ecole est en proie à la violence, les enseignants vont en cours "la peur au ventre" (expression entendue à plusieurs reprises). Bref, la situation de l'Education Nationale serait devenue épouvantable.

Je m'insurge évidemment, en apportant mon témoignage personnel, et je ne suis pas un cas isolé : je ne pars pas le matin "la peur au ventre" (quelle horrible formule !) mais le coeur plein d'espoir et la tête motivée par quelques principes simples. Car l'enseignement est moins une affaire de "ventre" que de coeur et de tête. Et je ne suis pas en train de vous broder de la littérature, je vous relate une situation réelle, que je connais bien puisque c'est la mienne, que je partage avec beaucoup d'autres. C'est du concret, comme on aime tant à dire aujourd'hui.

Puisque notre époque ne jure que par lui, le concret, je vais vous en donner un exemple : depuis seize ans que j'exerce dans le même lycée, je ne ferme pas ma salle à clé pendant la pause ou la récréation. Mieux : je laisse mon cartable et mes affaires, ma montre sur le bureau, parfois mon portefeuille et mon téléphone mobile dans la serviette. On ne m'a jamais rien volé. Au contraire, j'ai eu droit quelquefois à de petits mots d'amour glissés à l'intérieur de mes papiers !

Ne me dites pas que je travaille dans un établissement privilégié ! Certes je suis dans l'enseignement général, au niveau Terminale et dans un lycée de centre-ville. Mais la population n'est pas essentiellement bourgeoise. Les élèves viennent souvent du milieu populaire et rural. Je ne nie pas non plus qu'ailleurs des problèmes existent, très graves, inédits, dont nous avons eu quelques exemples spectaculairement dramatiques dans la récente actualité. Mais ça ne concerne qu'une toute petite minorité d'établissements. Il est faux d'en déduire que l'Ecole serait à feu et à sang, d'autant que les statistiques en la matière sont rares et incertaines.

Le pessimisme, la peur et l'indignation sont devenus le nouveau conformisme de notre temps, le prêt-à-penser, la posture chic, les formules chocs véhiculés par les médias, que tout le monde répète sans y réfléchir. On peut dénoncer tant qu'on voudra, et il le faut, mais pas au détriment de la vérité, pas non plus en sacrifiant l'espoir.

mardi 16 février 2010

Religion et travail.




J'ai corrigé un premier paquet de copies, les Littéraires, et j'ai pas mal avancé aujourd'hui sur celui des ES. Pour les L, surprise : je ne pensais pas du tout que la religion (La religion est-elle une source de peur ou de joie ?) serait préférée au travail (Quel sens peut-on donner au travail ?). Généralement, la religion ne branche pas trop les élèves, beaucoup étant sans doute très éloignés de cette réalité-là. Le travail, en revanche, c'est la vie quotidienne. Comme quoi ...

Les ES, eux, ont massivement opté pour le sujet consacré au travail. Il y a aussi une explication à cela : en tant qu'économistes, le travail est à leur programme, ils en entendent parler. Le danger, c'est qu'ils y réfléchissent en philo comme ils le font en éco, alors que c'est très différent. Beaucoup sont d'ailleurs passé à côté de la question, mais pour une autre raison : au lieu de se concentrer sur le sens à donner au travail, ils se sont plus banalement demandés pourquoi il fallait travailler. Une compréhension banale motive des réponses banales. Et ce n'est évidemment pas de cette façon qu'on réussit un bon devoir de philosophie.

Voici l'échelle des notes des L (à gauche la note, à droite les copies, deux d'entre elles n'ont pas été rendues), c'est une bonne cuvée :

7 : 2
9 : 2
10 : 4
11 : 4
12 : 1
13 : 6
14 : 2
15 : 1
16 : 3

En vignettes : les articles de presse sur la conférence-débat à propos de l'euthanasie, avec comme invité national Jean-Luc Romero.

lundi 15 février 2010

Contre l'ennui.




En vacances, j'ai une inquiétude : et si mes élèves s'ennuyaient de ne plus me voir ? Je suppose que mes cours doivent créer chez eux une sorte d'addiction dont le sevrage pendant les congés est difficilement supportable. Je ne veux pas les laisser dans cette souffrance. S'ils sont philosophiquement en état de manque, je leur offre cette semaine trois occasions de me revoir. Ces rendez-vous sont distractifs, ils se reposeront ainsi du travail que je leur ai donné avant le départ et qui occupe, je n'en doute pas, leur esprit.

D'abord, c'est mercredi à 18h30 le café philo de Bernot, en salle de la mairie, sur un sujet qui devrait faire jaser : La médisance, et si on en parlait ? C'est un thème que nous connaissons bien pour en avoir été parfois la victime. Mais je n'ose penser que nous pourrions en être l'instigateur.

Ensuite, le café philo de Saint-Quentin, jeudi à 19h00 au Manoir, se penchera sur une question qui brûle les lèvres et la tête de tout lycéen : A-t-on encore besoin de l'école ? J'entends parler ici ou là de e-profs, de classes en réseau, de salles désormais vides. C'est le web enseignement. Que faut-il en penser ? Et je ne parle même pas de la bonne vieille instruction et éducation dans le cadre des familles ! Les profs sont-ils en train de se construire un destin de chômeurs ?

Enfin, vendredi prochain, à la médiathèque de Roisel, 18h00, la Ligue des Droits de l'Homme m'a sollicité pour une petite conférence sur Darwin, sa vie, son oeuvre. Eh oui, le 200ème anniversaire, ce n'est pas fini. Mais Darwin le vaut bien !

Et pour vous inciter à participer à la sortie scolaire du 28 mars (voir billet d'hier), voici deux photos que j'ai prises dans le cimetière du Montparnasse :

Vignette 1 : la tombe de Serge Gainsbourg, sur laquelle on trouve des choux, des briquets et des cigarettes, entre autre.

Vignette 2 : l'une des très étranges sépultures qu'on peut découvrir dans cet endroit, le chat de Ricardo.

dimanche 14 février 2010

Sartre nous voilà !




J'ai passé la journée à Paris pour préparer ma sortie scolaire du 28 mars. C'est tout un travail : repérer le trajet et minuter le parcours. L'objectif est de rendre hommage à Jean-Paul Sartre, pour les trente ans de sa disparition. Je vous donne en primeur les grandes lignes de la visite :

Le matin, promenade dans le quartier de la Bastille et participation au Café Philo des Phares. L'après-midi, rendez-vous sur le boulevard Saint-Michel, pour une première lecture de texte, puis traversée du jardin du Luxembourg, illustrée par un passage de L'être et le néant. Sortie du côté de la Closerie des Lilas, l'établissement qu'affectionnait tout particulièrement Sartre, direction la Coupole, autre bar où le philosophe avait ses habitudes.

Montparnasse, c'est le quartier où il a fini les vingt dernières années de sa vie. Nous ferons une halte au 222 boulevard Raspail et au 29 boulevard Edgar-Quinet, les deux appartements où il a résidé en compagnie de Simone de Beauvoir. Nous terminerons par sa dernière demeure, sa tombe au cimetière du Montparnasse, qui abrite des personnalités auxquelles nous rendrons hommage, en particulier Baudelaire, Ionesco, Proudhon, Gainsbourg, Maupassant et quelques autres.

Je souhaite que les élèves puissent librement aller voir les sépultures de leur choix. C'est pourquoi j'ai fait figurer ci-dessus le plan du cimetière et la liste de ses illustres résidents. Que les lycéens n'hésitent pas à me faire part de leurs préférences afin que je prépare un parcours et des commentaires qui s'inspireront de leurs recommandations.

samedi 13 février 2010

Un petit bout de papier.




Déjà une semaine de vacances ! Je ne vois pas passer les cours, mais les jours de congé subissent le même sort. Qui donc arrêtera le temps ou le démultipliera ? Une anecdote, un petit mystère me reviennent à l'esprit : c'était la veille de ces vacances, j'ai jeté un dernier coup d'oeil dans mon casier avant de le laisser pendant quinze jours.

A la différence de certains collègues qui le remplissent jusqu'à la gueule, à tel point qu'il est difficile d'y glisser le moindre papier, le mien est entièrement vide (je le débarrasse au fur et à mesure de tout ce qui l'encombre). Du coup, je repère très vite tout élément étranger dans mon casier. Le jour du départ, c'est un petit papier rectangulaire que j'ai découvert au fond (vignette 1). C'est quoi ça ? La question est le sujet de dissertation que m'ont rendu les élèves la semaine d'avant les vacances. La réponse est le refrain d'une chanson très connue à la philosophie très contestable.

Serait-ce un collègue farceur qui m'aurait glissé cette blague écrite ? Pourquoi pas, l'arrivée imminente des vacances provoque parfois chez certains enseignants ce genre de facétie. Mais je ne crois pas. D'abord il y a le papier, un morceau de feuille à grands carreaux, qui est classiquement utilisé par les élèves. Les enseignants prennent plutôt des pages blanches vierges. Le petit format signale aussi la provenance. Un prof aurait pris la feuille entière. Un lycéen aime bien le découpage, les petits morceaux.

Surtout, il est improbable qu'un adulte écrive en lettres capitales, fasse d'un point d'exclamation (à la fin) un triangle au dessus d'un cercle, de même que les points de suspension transformés en ronds de suspension. Tout ça est ado, lycéen, rapide, ostentatoire. Enfin, le contenu ne manifeste aucune subtilité particulière qui pourrait attester d'une fine plaisanterie. On reprend platement une ritournelle qui est restée dans les mémoires et s'est transmise de génération en génération.

Qu'est-ce que ça signifie ? Un minuscule geste de rébellion, une insignifiante moquerie, l'ultime et dérisoire résistance de celui ou celle qui n'a pas d'autre choix que de se soumettre au système et qui n'aime pas particulièrement ça. Ça me rappelle cette rumeur entièrement fausse, cette légende qui traîne depuis des décennies dans les classes de philosophie : au bac, un sujet est tombé, Qu'est-ce que l'audace ? un candidat a répondu L'audace c'est ça sans autre forme de commentaire et s'est vu attribuer 19 sur 20. C'est bien sûr invraisemblable, mais nos élèves, soumis à la terrible pression de l'Education Nationale, n'ont guère que ce type de fabulation pour contester vainement la machine.

Vignette 2 : les prochains sujets que j'ai distribués à mes classes avant les vacances, pour qu'ils aient un peu de travail pendant celles-ci.

vendredi 12 février 2010

Philosophie pratique.


Je m'intéresse bien sûr à toutes les publications qui concernent la philosophie. J'ai déjà recommandé la lecture de l'excellent Philosophie Magazine. Mais ça ne signifie pas que tout ce qui parle de philo soit bon. Exemple ce tout nouveau trimestriel intitulé Philosophie pratique (en vignette). La dénomination me pose problème : c'est quoi une philosophie pratique ? Et pourquoi elle et pas une autre ? Faut-il en déduire que la philosophie théorique est moins bonne, moins utile, inférieure ? Or une philosophie n'est jamais entièrement pratique. Il lui faut bien des bases théoriques.

Et puis, la photo de couverture ne me plaît pas du tout : ces coquelicots en dessous d'un ciel bleu sombre sont ridicules, autant que la formule accompagnatrice, Les mots qui rendent heureux. Ça ne veut rien dire, les mots n'ont jamais rendu heureux personne ! (sinon beaucoup plus d'hommes seraient heureux). Désagréable aussi ce mélange des genres dans la table des matières : que viennent faire ici Hugo et Guitry, qui ne sont pas des philosophes ? Cela aurait au moins dû être expliqué.

De plus, des inconnus viennent clore le dossier, Pierre Cormary, Marc Alpozzo, que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, dont on ne me présente aucun titre qui justifierait leur intervention. Pas sérieux tout ça. Il y a aussi cette faute dans la présentation de l'Ethique à Nicomaque d'Aristote, qui devient Etique à Nicomaque, d'un négligé du plus mauvais effet.

Aucun éditorial ne vient expliquer les choix d'auteurs, ni même expliciter le thème retenu. Les textes manquent souvent d'aération dans leur présentation, fort compacte, indigeste. Le plus grave, c'est que les écrits étrangers ne sont pas accompagnés du nom de leur traducteur, précision universitaire des plus élémentaires.

Je ne vous dis pas de ne pas lire ce nouveau magazine, je demande simplement d'être prudent dans son utilisation. Fort de cette précaution, vous pouvez tenter de l'aborder, mais sachez qu'il y a mieux.

jeudi 11 février 2010

A la vôtre !




Je fréquente beaucoup les cafés, mais c'est pour la bonne cause ... philosophique. On retient surtout le café-philo, parce qu'il existe depuis douze ans. Mais il y a le tout récent café-lire (vignette 1), animé par Michèle, et le déjà ancien café-citoyen, animé par Michel (non, la consonance n'est pas volontaire ; nous avons de l'humour, mais pas à ce point). Et puis, il y a les animations à la demande, comme de temps en temps à Guise (vignette 2).

Je ne sais plus qui disait que "le soleil ne se couche jamais sur l'Empire britannique". Il en va un peu de même pour Rencontre Citoy'Aisne : pas une semaine ne passe sans qu'il ne se passe quelque chose. Tenez, ce soir, c'est le café-citoyen, au Manoir. Sujet : Débat sur l'identité nationale, utile ou inutile ? Vous venez ? J'y serai, je vous attendrai, on prendra un verre. A la vôtre !

mercredi 10 février 2010

Etre autonome.


Dans mes animations philosophiques, j'aime beaucoup les figures imposées. Il y a la surprise du sujet, l'obligation à y réfléchir, hors de toute préférence, de toute convenance, et c'est toujours fructueux. La Maison du Sophora m'a donné un intitulé qui m'a laissé au départ perplexe : Vie autonome après vie en collectivité. La question préoccupe évidemment ses résidents, qui sont des traumatisés crâniens, pris en charge par l'institution mais espérant pouvoir un jour en sortir, retrouver l'autonomie perdue. De là à en faire un thème philosophique, je ne voyais pas trop.

L'exercice était pour aujourd'hui, cet après-midi, et en me levant ce matin, je n'avais encore rien préparé. Sans cependant être trop inquiet : c'est les vacances, j'ai le temps. Mais j'aime anticiper, laisser une animation maturer. Le matin est pour moi propice au travail. Très vite, le miracle philosophique s'est à nouveau reproduit : les idées s'enchaînent aux idées, les questions entraînent les questions et par dessus tout le sujet si particulier, qu'on pouvait croire réservé à un seul public, devient universel, chacun peut s'y reconnaître, chacun se sent concerné.

L'autonomie est pleinement une préoccupation philosophique, et non plus un problème psychologique ou moral. Tout homme ressent le besoin d'y réfléchir parce que les questions qu'elle déclenche sont essentielles, fondamentales, profondément humaines. C'est le signe que nous sommes entrés en philosophie. Jugez-en par l'introduction que j'ai distribuée à chaque participant pour susciter sa pensée (en vignette ci-dessus).

Avant de quitter la Maison du Sophora, j'ai discuté avec Gaëtan et Eric, les deux responsables, leur demandant si mon travail correspondait bien à ce qu'ils attendaient. Je le fais toujours, après n'importe quelle animation philosophique. J'ai besoin de ce regard distancié et critique sur ce que je fais. Je n'ai aucune illusion sur la philosophie et mes activités, qu'on peut parfaitement considérer comme des discussions de salon sans grande utilité.

J'ai cependant la prétention d'apporter quelque chose sans trop bien savoir quoi, mais d'abord le plaisir de se retrouver ensemble et d'échanger, ce qui n'est pas rien. Gaëtan et Eric me disent que le café philo est le seul endroit, le seul moment où les résidents peuvent s'exprimer en toute liberté. S'il n'y avait que ça, j'aurais amplement gagné ma journée.

mardi 9 février 2010

AG et projets.




C'était samedi dernier l'assemblée générale de Rencontre Citoy'Aisne, un moment d'amitié, de rappel de l'année écoulée et de mise en perspective du proche avenir. Les projets ne manquent pas. J'en énumère quelques-uns, pour vous mettre l'eau à la bouche et la matière grise en ébullition :

- Les 30 ans de la disparition de Sartre seront dignement célébrés au printemps ou à l'automne par un pèlerinage philosophique à Paris, sur les lieux où le grand penseur français a vécu, appartements et cafés, jusqu'à sa dernière demeure, où il gît auprès de Simone de Beauvoir, le cimetière de Montparnasse.

- Pour prolonger le centième anniversaire de la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne, la belle exposition confectionnée par Jean-Hugues Lenoir sera mise à disposition, notamment en vue d'un débat sur la future loi interdisant la burqa.

- La Fête des Voisins, en mai, sera mise à profit : n'est-ce pas l'occasion d'une éducation à la citoyenneté la plus concrète, pratique ? Le centre-ville de Saint-Quentin ne s'est pas saisi ces dernières années de l'événement. Nous le ferons, du moins essaierons.

- L'appel du 18 juin 1940 fêtera cette année ses 70 ans. La circonstance est belle pour se reposer la question : A quoi faut-il aujourd'hui résister ? La Ligue des Droits de l'Homme et les associations d'anciens combattants seront sollicitées.

- Le Jour de la Nuit, en octobre, dénonce les pollutions lumineuses (voir le billet que j'y ai en son temps consacré). Il faut voir plus grand que l'an dernier ( toujours plus grand, notre adage !) en plongeant Saint-Quentin dans l'obscurité. Je galèje, bien sûr, mais il y a du vrai : repérer les éclairages jugés inutiles et les éteindre cette nuit-là. La municipalité fera des économies, les amoureux pourront contempler main dans la main le ciel étoilé, les philosophes et les poètes retrouveront dans sa quasi intégralité, au dessus de leurs têtes pensantes et imaginantes, l'immense espace lumineux et obscur de leur inspiration.

- Avec mes amis astronomes, j'ai aussi en projet deux conférences-débats : Astronomie et astrologie, La vie dans l'univers (l'exobiologie).

Avez-vous l'eau à la bouche et la matière grise en ébullition ?


Vignette 1 : avant l'AG.
Vignette 2 : après l'AG.

lundi 8 février 2010

Un débat digne.




Très belle conférence-débat ce soir sur l'euthanasie, avec Jean-Luc Roméro (le deuxième à ma gauche, vignette 1), devant un public nombreux et attentif (vignette 2). Je ne connaissais notre invité que pour l'avoir vu à la télévision. C'est un homme de coeur, un militant passionné. Son intervention a aussi été une leçon de vie : il est atteint du sida depuis vingt ans, d'un cancer depuis 2008 mais il garde une pêche formidable.

En le faisant venir à Saint-Quentin, je souhaitais simplement amener à réfléchir sur un sujet de société aussi important pour notre époque que l'ont été jadis la contraception, l'avortement ou la suppression de la peine de mort : comment finir sa vie ? Faut-il avoir recours à la mort volontaire ? Je sais parfaitement que le thème est passionné, délicat, grave, que les avis divergent. Mais le débat a été mené avec une grande dignité, et c'est ce qui fait que je suis ce soir satisfait. Après, chacun se fera sa propre opinion. La mienne est faite, depuis un certain temps déjà.

dimanche 7 février 2010

Un symbole inadmissible.


La photo ci-dessus est terrible. Je l'ai découverte ce matin dans le Courrier Picard. Un poste est menacé de suppression dans une école à Nesle. Les parents protestent, c'est normal. Mais ce qu'ils font est anormal : ligoter sur une chaise l'enseignante et l'accrocher à la grille. Regardez bien cette scène, je la trouve révoltante, inadmissible. Rien ne justifie qu'on se comporte ainsi.

La collègue est tassée sur sa chaise, comprimée par les cordes, un carton sur les genoux en otage qu'elle est devenue, le visage flouté (pourquoi ?) comme un dernier geste de déshumanisation. Autour d'elle, malgré des pancartes qui expriment la colère, les ravisseurs ont l'air calme, souriant, bon enfant, une maman portant même son petit. Je ne sais pas dans quelles conditions cette photo a été prise, mais je vois bien qu'il s'agit d'une humiliante mise en scène.

La colère a bon dos. Je n'accepte pas cet outrage fait à une collègue. Il y a tant d'autres moyens de protester, pourquoi celui-ci, sûrement moins efficace qu'un autre, qui rabaisse, qui a un petit goût de barbarie tranquille. C'est d'autant plus sauvage que nous sommes dans une école, que la maîtresse représente l'autorité, ici bafouée, devant les enfants, devant ses écoliers.

Vous me direz peut-être que le tableau est symbolique, qu'il n'y a pas violence réelle. Mais c'est précisément cela qui me choque, la portée de ce symbole, la gratuité de l'acte, que rien n'obligeait à commettre. Quant à la violence, ne soyons pas hypocrite, elle existe, quand on force et ligote une personne.

Dans un conflit social, il arrive que les salariés séquestrent leur patron, mais je ne les ai jamais vus l'attacher à son fauteuil. Et puis, le dirigeant d'entreprise symbolise le pouvoir, l'argent, il est souvent directement responsable de la situation. La pauvre enseignante ligotée n'y est strictement pour rien, comble d'absurdité ! Le pire, c'est qu'elle est, elle aussi, victime puisque son poste va être supprimé.

Pour justifier l'injustifiable, vous me direz sans doute aussi que les parents ont voulu montré qu'ils tenaient tellement à ce que l'enseignante reste qu'ils l'ont ... attachée. Reconnaissez quand même que le symbole serait alors pervers : on ne fait pas d'une prise d'otage un soutien à l'otage !

Ce qui est proprement aberrant, c'est de lire que les familles ont été "surprises" par la présence des forces de l'ordre. Comme si la liberté des personnes n'était plus la loi commune, comme si la police n'était pas là pour faire respecter le droit ! Quand on pense que des gamins de banlieues pourries sont sanctionnés sans faiblesse pour avoir brûlé des voitures (là aussi il y a expression d'un mécontentement, autrement plus puissant, et qui ne porte pas atteinte aux personnes), on s'étonne que l'opinion ne réagisse pas devant la délinquance de bons pères de famille. Où est donc la justice ?

Le plus dramatique dans cette affaire, c'est que la victime a cédé à ses bourreaux, ne portant pas plainte contre eux, saluant même leur "action citoyenne". On n'est jamais allé aussi loin dans la dérision involontaire, en taxant de "citoyenne" une démarche anti-citoyenne, privative de liberté, usant d'une calme violence. La citoyenneté, c'est le respect de la liberté de l'autre et l'usage pacifique de sa propre liberté.

Des élus locaux et régionaux ont paraît-il signé la pétition qui demande le maintien du poste. En représentants du peuple, j'espère qu'ils sauront dire jusqu'où le peuple ne saurait aller trop loin sans menacer l'esprit de la République. J'exagère ? Non, nous sommes dans une école, une institution de la République, dans un lieu exemplaire et qui doit le rester.

samedi 6 février 2010

La philo chez Rohmer.




N'ayant pas beaucoup le temps de regarder de dvd en période scolaire, j'aime à commencer les vacances par un film. Hier soir, j'ai regardé un Rohmer que je ne connaissais pas, Conte de printemps. J'apprécie son cinéma très littéraire. Surprise : le personnage principal est une jeune prof de philo (il y aurait toute une étude à faire sur l'image de la philosophie et de ses enseignants sur le grand et le petit écran : avis aux amateurs !).

Ce qui est assez fort, c'est qu'au milieu de plusieurs références philosophiques assez légères, Rohmer s'attarde sur une théorie très difficile et même quelque peu rebutante : l'analyse chez Kant des jugements analytiques et des jugements empiriques, leur différence avec les jugements synthétiques a priori, conception particulière au philosophe de Königsberg. Et tout ça expliqué pendant un repas, alors qu'on découpe le gigot !

Et puis, il y a cette remarque de la jeune prof, que je résume : quand on a zéro en maths, on le dit sans honte ; mais une très mauvaise note en philo, on le cache, parce que c'est l'intimité de notre pensée, donc de notre personne qui sont atteintes. Pas mal. Je n'y avais pas songé.

vendredi 5 février 2010

Pré-vacances.


Déjà les vacances ! Je n'en reviens pas, Noël ne me semble pas si loin. C'est toujours comme ça : arrivé en février, j'ai l'impression de dévaler très vite une pente fatale qui me conduit sans m'en rendre compte jusqu'aux épreuves du bac. Signe de vieillesse, à coup sûr !

Les pré-vacances, c'est toujours périlleux. Les élèves sont là mais dans leur tête ils sont partis. J'ai parfois des corps sans esprits devant moi. J'exagère un peu mais il y a de ça. Hier, je me suis énervé grave. Nous terminions Lucrèce et j'ai plaisanté, en racontant l'un de mes sketches préférés : après la mort, j'aimerais devenir squelette dans une classe de biologie. Private joke : Lucrèce, chapitre III de son De rerum natura que nous avons quinze jours étudié, porte sur la mort. Sauf que rire avec les élèves les déconcentre aussi. Je commentais les dernières lignes de l'ouvrage, une élève était ailleurs, faisant je-ne-sais-quoi. J'ai gueulé, toute la classe a tremblé, peut-être même le lycée. J'étais furax.

Bon, ce matin, c'était plus marrant, mais involontairement. J'ai eu, en prononçant "complètement", une intonation aiguë sur le "plè"qui m'a échappé mais pas à la classe qui a rigolé. Dans ce genre de situation, il vaut mieux rigoler avec la classe, sinon c'est fichu. La classe d'après, la dernière heure, n'a pas été facile à tenir sur la fin. La difficulté d'une dernière heure, c'est surtout le dernier quart d'heure. J'ai quand même tenu bon. L'enseignement est un combat !

Avant de rentrer chez moi et de me dire que j'étais en vacances, j'ai cédé à la tradition, au rite personnel que je me suis donné à moi-même avant chaque départ en vacances : je passe au CDI et je choisis au hasard quelques bouquins. Voilà ce que ça produit (en vignette) : Michelet, parce que le Berrichon que je suis est toujours intéressé par la sorcellerie, Girard parce que j'ai souvent parlé de son grand ouvrage que je n'ai jamais lu, les Croisades parce que je suis fasciné par ce western oriental qui a poussé femmes et enfants à se ruer au Moyen Age vers Jérusalem.

Mais avant d'attaquer tout ça, je me suis lancé aujourd'hui dans la lecture du Club des Incorrigibles Optimistes, de Jean-Michel Guenassia, dont on parle beaucoup depuis sa parution, qui a reçu le Goncourt des lycéens mais qui fait ... 750 pages. Bonnes vacances, bonnes lectures !

jeudi 4 février 2010

Rétroaction.




Au Café Philo de décembre portant sur "Qui est Dieu ?" et animé par Raphaël (vignette 1), je n'avais pas eu les photos illustrant la séance. Maintenant c'est fait, le photographe attitré de Rencontre Citoy'Aisne me les ayant ces jours-ci envoyé. Je vous les livre donc. En vignette 2, une partie de l'assistance au bar Le Manoir.

mercredi 3 février 2010

Cogito ergo sum.




Après-midi à Cambrai, à l'Université du Temps libre, pour un sujet pas facile : le Cogito ergo sum de Descartes, "Je pense, donc je suis", la formule la plus connue et la moins bien comprise de toute l'histoire de la philosophie. Mais avant de me lancer, une étudiante a voulu intervenir sur le sujet précédent, "La rumeur", pour contester après expérience une de mes affirmations : la pièce de métal rongée par le Coca Cola n'est qu'une calomnie anti-américaine. Je n'ai pas repris, je laisse chacun juger. Au demeurant ce n'est pas très grave.

Descartes, c'est une autre affaire. J'ai proposé trois extraits (vignette 1) du Cogito, trois versions du même raisonnement. La première, dans le Discours de la méthode, est la plus accessible, rédigée en français par le philosophe dans ce but. La deuxième, initialement en latin, s'adresse aux lettrés de son temps, dans les Méditations métaphysiques, d'une lecture pas très facile. La dernière, tirée des Principes de la philosophie, est brève, synthétique, conçue comme tel, la moins élégante, la moins convaincante, car pas faite pour ça.

En vignette 2, c'est la feuille que j'avais sous les yeux pendant l'heure trente qu'a duré mon intervention. A mes élèves, je demande de travailler ainsi un texte, souligner, encadrer, annoter, griffonner. Rien ne doit rester vierge. A la fin, il m'a semblé avoir réussi mon coup, même si quelques personnes m'ont avoué ne pas avoir toujours très bien suivi. Pour les prochaines fois, je leur ai concocté quelques jolies petits sujets qui devraient leur plaire :

- Nietzsche et le christianisme
- Réflexions sur la laïcité
- La philosophie bouddhiste
- La philosophie dans le tonneau (une étude sur Diogène et les Cyniques)

Si des lecteurs sont intéressés par ce genre de conférences, ils n'ont qu'à me demander via ce blog.

mardi 2 février 2010

Philosophie rurale.




Vignette 1 : ce sont les trois mousquetaires de la philosophie, prêts à aller jusqu'au bout du monde pour participer à un Café Philo. De gauche à droite, sans que l'ordre ait une signification politique : Arthur le pensif, Maxime le souriant, Raphaël le vigilant. Nous étions à Bernot, capitale rurale de la philosophie, le plus petit village de France à accueillir un Café Philo. A quand cette mention dans le Livre des Records ? Si vous voulez en savoir plus : http://bernot-life-02120.wifeo.com/

Vignette 2 : Guise cette fois, au Centre social, où nous avons échangé sur le pessimisme ... avec beaucoup d'optimisme. Je vous donne un florilège des questions que nous nous sommes posés :

- Le pessimisme empêche-t-il d'être heureux ?
- Pourquoi s'intéresse-t-on aux mauvaises nouvelles ?
- Est-ce que tout pourrait être pire ?
- Le pessimiste est-il en manque d'amour ?
- Faut-il éduquer les enfants au pessimisme ?
- Y a-t-il de bonnes raisons d'être pessimiste ?
- L'optimiste est-il fou ?

lundi 1 février 2010

Les yeux rougis.




Nous terminons cette semaine, avec les Littéraires, l'étude du chapitre III du De rerum natura de Lucrèce, commencée la semaine précédente. Je veux en finir avant les vacances, pour passer à la rentrée à autre chose. C'est un magnifique texte, très littéraire, l'auteur étant autant écrivain que philosophe. Du coup, j'ai envie de tout lire, j'ai du mal et quelques scrupules à charcuter l'ouvrage. Mais notre temps est compté et il faut préparer le bac. Avec Kant ou Hegel, je n'ai pas ce genre de problème : ils écrivent comme des cochons !

Autre problème, les thèmes abordés par Lucrèce : l'immortalité de l'âme, qu'il conteste, la crainte de la mort, qu'il décrit dans toute son horreur, avec parfois un réalisme très cru, choquant. Des collègues me disent que je ne devrais pas, que les adolescents sont fragiles, que ce texte pourrait les traumatiser, peut-être avoir sur eux une mauvaise influence. Je récuse toutes ces précautions : nos ados sont plus solides qu'on ne croit, et les adultes donneurs de leçons plus fragiles qu'ils ne paraissent.

Au contraire, il est bon, il est sain de parler de la mort. Si on ne l'aborde pas en philo, où alors ? Nulle part, et la douleur sera refoulée, ce qui n'est guère mieux. Non, la mort doit être méditée en classe, d'autant que Lucrèce nous offre une voie pour nous détacher d'elle, pour surmonter la peur qu'elle nous inspire. Et puis, ma pédagogie n'a rien de tragique ; je mets quand il le faut de la rigolade dans un sujet pourtant fort grave.

Il est vrai cependant que j'ai vu cet après-midi des yeux rougir et s'embuer à la lecture de Lucrèce et à l'écoute de mes commentaires. Les larmes font partie de la vie. Ne craignons rien de tout cela, exprimons-le, nous en sortirons grandis et gagnants. Que des jeunes filles s'émeuvent à la lecture de Lucrèce, voilà qui est plutôt rassurant pour leur avenir.

Vignettes 1 et 2 : la presse locale fait honneur à notre lycée, revenant sur le pin's et la journée portes ouvertes de samedi.