jeudi 14 janvier 2010

La vérité d'une classe.


Quand je suis entré ce matin dans la salle de classe, le rangement des tables n'était pas en lignes parallèles mais en double carré. Un prof de langues avait dû passer avant moi. Cette disposition permet plus facilement la participation des élèves. Elle n'a cependant pas que des avantages. Le point focal, celui vers lequel convergent tous les regards, n'est plus le bureau, le tableau et le professeur, mais le milieu vide de la pièce. Du coup, les regards ne sont plus concentrés en un point ô combien éminent mais ils se croisent entre élèves, favorisant ainsi toutes les distractions, toutes les complicités.

En rang d'oignons, on est condamné à voir le dos de ses camarades, et au-dessus, au loin, le corps et la tête du prof, et si l'on veut bavarder, on est dans l'obligation de se tourner ou de se retourner , ce que l'enseignant repère assez vite. En carré, un bavardage certes muet mais néanmoins perturbant peut s'organiser, par de prompts coups d'oeil que nulle discrétion ne peut camoufler. Car le professeur, moi en l'occurrence, a l'oeil tout aussi vif et saisit bien vite les courants de sympathie qui se mettent en place.

Pourtant, la disposition classique a un avantage pour l'élève : il peut plus facilement se cacher derrière ses camarades de devant. Le professeur ne voit surtout que les premiers visages. Le reste lui échappe, surtout s'il reste assis à son bureau, le rang sous ses yeux masquant largement les autres. Et quand il n'y a pas la traditionnelle petite estrade pour rehausser et créer un aplomb qui permet de mieux dominer, c'est fichu, la classe n'est plus sous contrôle.

Dans une telle configuration, l'élève le plus astucieux ne choisit surtout pas le dernier rang, par essence suspect à l'enseignant, devinant que les derniers au fond de la classe seront les derniers de la classe, contrairement au précepte évangélique. Non, l'élève intelligent et précautionneux s'installe au milieu. Le poisson rouge se remarque moins au centre de l'aquarium, parmi les autres, qu'au bord ou au fond.

Bref, il faut enseigner debout, comme un soldat qui s'apprête à monter au front. Ainsi, la classe apparaît sous un beau panorama, qui laisse peu de chance à l'indiscipliné d'échapper à votre vigilance. Ce matin, c'était terrible puisque le carré m'offrait à voir tous les visages, sans dissimulation possible. Et quel spectacle ! Plusieurs avaient les traits relâchés, les yeux vides, la tête pivotante, leur déconcentration s'affichait avec impudeur, leur absence m'agressait littéralement. Quand un éclair passait dans le regard, c'était pour solliciter un autre regard (et pas le mien !).

J'étais devant des sourds à la philosophie, ce qui les rendait muets. Leur corps, leurs gestes, leur allure montraient indécemment le laisser aller, le désintérêt, l'envie d'être ailleurs. Et le pompon, c'est leur sourire, celui du Bouddha en méditation, qui manifeste avec éclat qu'il n'est plus de ce monde. J'étais face à des morts. J'exagère bien sûr, je ne retiens que quelques cas, je généralise abusivement. Mais je traduis en même temps la vérité d'une classe, même si celle-ci est minoritaire.

La sonnerie de fin d'heure a redonné vie à tout ce petit monde, qui s'est alors précipité au dehors pour rejoindre le réel.


En vignette, le dernier corrigé du bac blanc, concernant le commentaire de texte. Je me suis hier trompé, en vous donnant un corrigé de dissertation déjà adressé.

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