samedi 23 janvier 2010

D'accord, pas d'accord.

J'ai 17 ans d'enseignement et 12 ans de débats publics derrière moi. L'expérience m'a appris certains choses en matière d'intervention humaine. Quand une prise de parole commence par un "Je suis d'accord avec ...", c'est généralement une grosse connerie qui s'annonce. En effet, pourquoi s'exprimer si c'est pour dire à peu près la même chose qu'un intervenant précédent ? A moins qu'on ne veuille dire autre chose, mais qu'on s'abrite par prudence, par facilité, derrière ce qui a pu se dire auparavant ? On se sent alors moins seul, on dissuade une éventuelle contestation, on fabrique une fausse complicité, on compromet l'autre pour se protéger soi.

Je ne vois qu'une exception qui rend le "Je suis d'accord avec" un peu pertinent, mais néanmoins peu glorieux : c'est dans la confrontation politique, où il exprime un signe de complicité, d'allégeance à l'égard de celui qu'on affectionne tout particulièrement. Ce qui revient à lui dire et à nous faire comprendre : "je te soutiens, je suis avec toi". Et là, on se retrouve dans une logique de répétition, qui conforte le propos de celui qui a parlé avant, qui le légitime, même si ce propos est idiot, surtout s'il est idiot, qui n'a donc plus que la redondance pour se faire accepter.

Le "je ne suis pas d'accord" n'est guère plus intelligent, mais il a pour lui le sens critique, le côté faussement rebelle. Il est tout de même plus honorable de s'opposer que de s'aligner. Sauf que l'opposition peut être sur commande, c'est-à-dire dans le même esprit de servilité que l'alignement. Et puis, la formule a quelque chose de systématique, le petit jeu un peu bébête de celui qui ne peut exister qu'en étant contre. J'ai pu notamment le remarquer dans les goûters philo que j'organise à l'école primaire.

Conclusion : à mes élèves, à mes invités, à mes auditeurs, je déconseille vivement l'utilisation du "Je suis d'accord" ou "Je ne suis pas d'accord". Je les incite à réfléchir par eux-mêmes, à construire leur propre réflexion, à produire des idées personnelles, sans jamais se déterminer par rapport à l'autre, en pour ou en contre. Car c'est toujours la preuve d'une faiblesse, d'une facilité ou d'une ruse. Je les dissuade de "rebondir", comme le dit si bien et si idiotement ce verbe. Le cerveau n'est pas un ballon, même si le crâne qui le contient en a vaguement la forme.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourtant, j'ai souvent remarqué que sur votre blog politique vous répondiez très souvent par ces formules "d'accord avec vous"...

Emmanuel Mousset a dit…

Très souvent non, mais de temps en temps oui. Et dans les commentaires seulement, pas dans les billets. Surtout, la forme écrite est complètement différente de la forme orale. Une approbation n'a rien d'idiot. Elle est une réponse directe à une remarque qu'on me fait. Mais quand elle est ostentatoire, devant un public, dans le cadre d'un débat, c'est autre chose, c'est le mécanisme psychologique négatif que j'ai décrit dans le présent billet. Du moins est-ce une interprétation que je livre au débat.