mardi 22 décembre 2009

Les bonnes manières.




Au bout de onze ans d'animations philo en tout genre, j'ai fini par créer un style et des manières, qu'on n'est d'ailleurs pas obligé d'apprécier ni d'approuver. Je l'ai encore constaté hier, pendant le ciné philo (vignette 1). Il y avait 50 spectateurs (29 en tout lors des cinq autres séances dans la semaine, ça montre bien le "plus" qu'apporte le ciné philo, c'est-à-dire un débat autour d'un invité après la projection).

Pendant les échanges et après, au moment du debriefing, je me suis rendu compte à quel point mes "bonnes manières" n'allaient pas de soi pour qui les découvre pour la première fois. C'était le cas hier, notre invitée, la psychologue Catherine Rouch, ayant drainé une dizaine d'ami(e)s. Je vous énumère le savoir-vivre, le code de bonne conduite du café et ciné philo :

1- Avant la séance, dans l'après-midi, une amie me téléphone pour me demander si, à cause de la neige, le ciné philo sera annulé. Elle ne viendra pas, faute d'une bonne circulation routière. Je lui réponds que je n'annule JAMAIS aucune activité, même quand le temps est mauvais, même quand le public est peu nombreux. Parce que ce qui est promis doit avoir lieu. Hier, j'ai d'ailleurs bien fait.

2- Les participants au débat doivent parler dans le micro. Certains n'aiment pas, se rabrouent, critiquent cette injonction. Mais comment faire autrement si l'on veut que TOUS entendent confortablement ce qui se dit ?

3- Des personnes ont du mal à s'empêcher d'intervenir spontanément, hors micro. Je les réprimande, elles le prennent mal. Mais c'est ainsi chez moi, dans le cadre que j'ai depuis onze ans constitué : ce n'est pas la pulsion qui prime, c'est la réflexion.

4- Une collègue dans la salle me dit, quand j'avance vers elle le micro, qu'elle a oublié maintenant ce qu'elle voulait dire tout à l'heure instantanément. Je ne le lui dis pas mais je le pense très fort : une idée, quand elle est authentique, pertinente, vraie, elle reste à l'esprit, on s'en souvient.

5- Des interventions se proposent de "rebondir" sur ce qui s'est dit auparavant. Non, je le déconseille : la pensée n'est pas un ballon ou un trampoline. Réfléchir, ce n'est pas réagir à l'autre, c'est construire un raisonnement par rapport à soi.

6- Je suis fort irrité par les personnes qui commencent par "Je suis d'accord avec ...", en signe d'approbation d'une intervention précédente. Pourquoi signaler un tel soutien, qui n'apporte rien ? Pas la peine de prendre la parole si c'est pour acquiescer ou répéter. C'est fréquent en politique, mais là c'est normal : il s'agit de manifester de façon ostentatoire sa fidélité à tel ou tel leader. Mais dans un débat philo, nuls rapports de forces, nuls enjeux de pouvoir, pas besoin donc d'exprimer une quelconque sujétion.

7- Irritation aussi quand quelques personnes applaudissent une autre. Nous ne sommes pas dans un meeting, on ne recherche pas des effets de tribune. Qu'est-ce qu'apporte la manifestation bruyante qui suit une parole qu'on apprécie ? Strictement rien.

8- Quand on s'exprime, c'est pour tous, dans une réunion qui est publique, et non pas dans un échange, presque un aparté d'individu à individu, comme il a failli se passer hier, si je n'y avais pas mis bon ordre. Je n'ignore pas que la nature humaine recherche l'intimité, que celle-ci est moins intimidante que parler devant et pour 50 personnes. Mais c'est ainsi, ce sont mes "bonnes manières". Un ciné philo n'est pas une conversation de salon, une activité de cercle privé.

9- Pour finir, on me demande pourquoi je ne laisse pas la liberté à chacun d'intervenir comme il l'entend, même avec les désagréments inhérents à cette liberté. Je réponds que la liberté ainsi pratiquée se transformerait très vite en innommable bordel, et j'en parle d'expérience. Le style "Droit de Réponse", la fameuse et excellente émission de Polac, c'est bien à la télévision, quand des personnalités se donnent en spectacle. Mais dans un café ou ciné philo, non ça ne fonctionne pas, ou très mal.

Je suis persuadé que certains sont partis en me trouvant bien austère, "psycho-ridige" comme on dit aujourd'hui, et même un peu chiant. Mais c'est le prix à payer pour qu'un débat se déroule dans de bonnes conditions et que les gens aient envie de revenir. Car il y a toujours un prix à payer, quoi qu'on fasse. Et reconnaissez que celui-là n'est tout de même pas très élevé.

Vignette 2 : Catherine et ses amis de l'association Psychanalyse et petite enfance, d'obédience lacanienne.

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