samedi 31 octobre 2009

Le lieu du crime.


Corriger une copie d'élève, c'est commettre un crime. J'extorque à quelqu'un qui ne m'a rien demandé ni fait aucun mal le fruit de son travail, je me permets de le juger alors que nous savons la fragilité de la pensée, j'attribue une note qu'un autre prof pourrait fort bien ne pas suivre, je marque au fer rouge la page blanche et la réputation de l'élève. Évaluer c'est voler, quelque chose, quelque part. Je crée des illusions quand la note est bonne, je produis du désespoir quand elle est mauvaise. Voilà le crime, voici en vignette le lieu du crime.

Je m'y suis mis sérieusement aujourd'hui. Le paquet des Littéraires (j'ai commencé par lui) a bien avancé. Je l'aurai terminé demain, c'est certain. Le lieu du crime, c'est ma mansarde. On peut corriger en de nombreux endroits. Je connais des collègues qui font ça dans des cafés. C'est sympa et sartrien. Je ne suis ni sympa ni sartrien. Café philo d'accord, mais pour les corrections non.

Dans le train, pourquoi pas, quand le voyage est long, qu'on a du temps. Il n'y a alors que le paysage qui peut nous distraire de notre travail. C'est bien mais ça bouge, les annotations sont pénibles et tremblantes. Et puis, je ne vais pas me payer un aller et retour dans mon Berry natal à chaque fois que j'ai des copies à corriger !

Certains collègues, parmi les plus jeunes, font le boulot au bahut, dans la salle des profs. Ils veulent rentrer le soir sans avoir le lycée, les classes, les élèves, les copies dans leur maison. Ça ne me viendrait pas à l'esprit. J'ai besoin d'intimité pour commettre mon crime. Mon salon, pas question : c'est pour les repas, les invités, pas pour ce travail de boucher qui consiste à corriger environ 90 copies.

Alors je m'élève, je me rapproche du ciel, je m'installe dans le point haut de ma maison, sous les toits, derrière un vasistas qui m'aspire dans l'espace (il fait nuit sur la photo). Le décor est sommaire, c'est une cellule d'ascète, murs blancs et planche de bois pour table. Car rien ne doit me distraire. Sauf les oiseaux, les nuages et les anges au-delà de la vitre : ils sont là pour reposer mon esprit, m'inspirer éventuellement une note qui m'échappe, que je saisis mal.

Élèves, voyez le lieu où vous allez être jugés, cuisinés, mangés. Cette pièce a la sobriété d'un tribunal. Mais j'y commets ce crime d'apposer un chiffre sur un être humain. Ils le savent bien : au moment de la remise des copies, c'est le grand silence, la peur de la mauvaise note. La blancheur de mes murs, la dureté de ma table s'imprègnent sur leurs copies. C'est redoutable. C'est ça être élève, c'est ça être prof.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Dit comme ça, ça fait peur. Joyeux Halloween à vous.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est fait pour ça. Ce vasistas un peu vermoulu, son crochet qui pend ...

Arthur Nouaillat a dit…

Je trouve que ça fait quand même très froid comme ambiance, n'est-ce pas plus convivial de corriger ses copies au coin du feu en buvant un bon café thé ou autre et en mangeant des petits gâteaux ?

Emmanuel Mousset a dit…

Surtout pas ! La chaleur et la nourriture vont m'assoupir, ou bien m'amollir, me rendre indulgent. Je dois rester un juge impitoyable !

Anonyme a dit…

C'est aux détails,
le vasistas vermoulu qu'on voit qu'une maison n'est pas entretenue.

Emmanuel Mousset a dit…

Il ne faut surtout pas entretenir un vasistas qui a la chance d'être vermoulu. De même que la poussière et les toiles d'araignée d'une mansarde doivent être précieusement sauvegardées. Le charme des lieux repose tout entier sur ces détails-là. Et vous voulez les détruire !

Anonyme a dit…

C'est vrai le lieu doit ressembler à son propriétaire,
quand l'un est vermoulu,
l'autre doit l'être aussi.

Anonyme a dit…

Vous êtes branlant comme vos tréteaux.

Anonyme a dit…

le lieu sobre est somme toute assez ... flppant et dire que ma copie est passé sur cette planche de bois dans cette pièce à l'ambiance morbide sous le crayon d'un juge dit impitoyable ... la pauvre j'espère qu'elle ne fut pas trop griffée de votre stylo vengeur et qu'elle s'en sort avec une note correcte...

Emmanuel Mousset a dit…

Il faut cette ambiance pour que la justice passe. Un tribunal, ce n'est pas non plus olé olé. Réponse jeudi pour votre copie. Priez pour elle, si vous avez la foi.

Anonyme a dit…

ok monsieur je dédieré quelque pensées à elle en espérant la récupérer en bon état, je ne prieré pas a proprement parlé car ma foi est très peu développée dans la mesure ou lorsque jai voulu prié car je n'avais plus rien d'autre a faire cela ne m'a pas avancé ... nous verrons cela jeudi donc espèrons que nous resterons amis après cette note come pour la première dissert' dont la note m'avait satisfaite ^^