samedi 19 septembre 2009

Formules et sketchs.


Pour rendre vivant un cours, il faut aussi peu faire cours que possible. Sous ce paradoxe, je veux dire qu'un exposé fastidieux qui porterait le nom de "cours" n'aurait aucune chance de fonctionner auprès des élèves. Pourtant, tout enseignement, parce qu'il oblige l'élève à travailler, a un côté laborieux. Mais ce n'est pas une raison pour charger la bête. C'est pourquoi j'essaie d'agrémenter mon cours de quelques bons mots et sketchs, qui n'ont d'autre objectif que de maintenir l'élève en éveil et provoquer sa pensée. J'ai trois exemples récents à vous donner :

a- "C'est un mort qui vous parle", voilà la formule que j'ai employée il y a quelques jours pour secouer la classe. Des regards consternés se sont allumés ! Je ne sais plus très bien de quoi nous parlions, raison peut-être pour laquelle il fallait passer à autre chose (faire cours, c'est savoir parfois faire court). J'ai donc lancé cette énigme, immédiatement décryptée devant eux : trente ans nous séparent. Quand ils auront mon âge, je serai un vieillard (si tout s'est bien passé !). Quand ils seront des vieillards, je ne serai plus de ce monde. Voilà l'explication.

J'ai devant moi des êtres humains qui pour la plupart seront encore vivants quand je serai mort. Par extension, quand nous observons notre environnement, tout sera encore là quand nous ne serons plus là. Nous sommes en quelque sorte des mortels au milieu de l'éternité. Je ne sais pas si ça les fait réfléchir, sûrement les inquiète un peu, et aussi les fait rêver.

b- Le philatéliste : c'est un sketch de ma composition pour illustrer le thème du désir, pour montrer sa puissance au coeur même de l'activité la plus ordinaire, la plus anodine et la moins passionnante : collectionner des timbres ! Le philatéliste est en effet l'être le plus pacifique au monde. On image même un garçon frustré, perdu dans ses albums, une grosse loupe dans une main pour compter les dents de ses précieux petits bouts de papiers postaux, une petite pince dans l'autre main pour les prendre sans les toucher, passant ses gris dimanches après-midi à ranger, trier, classer, c'est à dire l'occupation la plus chiante qui puisse exister sur terre.

Mais voilà, le désir peut tout, transforme tout, déplace les montagnes et les albums de timbres, transfigure un individu, l'enflamme, l'élève, le grandit. Un passe-temps stupide devient alors une passion violente, unique, obsessionnelle. Un sketch ne se raconte pas mais se joue. En l'espace de quelques minutes, j'incarne ce terne philatéliste qui se métamorphose, par la magie du désir, en amoureux fou de son activité, complètement timbré !

c- La bourgeoise et le loubard : toujours pour illustrer le désir, sa puissance et son irrationalité, mais cette fois dans le rapport amoureux, j'improvise un couple improbable mais pas impossible, pour défendre la thèse que le désir est l'attirance des contraires (alors que l'amitié est l'attraction des semblables). Elle, serre-tête, nattes, chemisier fermé à ras du cou, jupe écossaise plissée, socquettes blanches : c'est la parfaite catho bourgeoise coincée. Lui, mal rasé, cheveux gras, décolleté poilu, blouson noir : c'est le parfait loubard de banlieue dévergondé. Et pourtant ils s'aiment, la belle et la bête ! C'est mon numéro, généralement très apprécié, pour introduire une réflexion nécessairement plus nuancée sur le désir et ses ressorts.

En vignette, mon calendrier pédagogique. Vous noterez tout particulièrement les conseils de classe, la réunion parents-profs et les bacs blancs. Et vous remarquerez bien sûr que mon établissement regroupe un collège et un lycée.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne pensais pas être fatiguée au point de ne pas comprendre votre billet du jour, mais j'avoue que votre première phrase ("Pour rendre vivant un cours, il faut aussi peu faire cours que possible.") me pose problème... Pouvez-vous me l'expliquer, s'il vous plaît?

Il y a d'autres petites "coquilles", mais on arrive à les élucider celles-là.

Anonyme a dit…

Ah, ça y est, je crois que j'ai compris!
Ne tenez donc pas compte de ma précédente requête.
Je pensais que vous vous étiez emmêlé les pinceaux, mais non, c'est compréhensible. Je suis donc vraiment fatiguée... Mille excuses.

Cependant avouez que cette première phrase n'est pas très "heureuse"...

Emmanuel Mousset a dit…

Ma première phrase est très heureuse pour ceux qui la comprennent.

Quant aux coquilles, je ne suis pas un crustacé.

Anonyme a dit…

Je n'ai jamais insinué que vous étiez un crustacé, mais si vous aimez croire qu'on vous agresse, alors défendez-vous même s'il n'y a pas d'agression.

Je ne vais pas vous faire l'affront de vous expliquer la signification du mot "coquille", et encore moins son origine car ce blog est professionnel.

Et pour en finir avec la source du "problème", je persiste et je signe, cette phrase en fera sûrement buter plus d'un! J'espère que vos cours sont plus digestes.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce qui est indigeste à mon estomac, ce sont les fruits de mer. Foi de crustacé !

Mais vous n'appréciez pas l'humour, je ne recommencerai donc pas (avec vous), c'est promis.

Anonyme a dit…

Si, j'apprécie l'humour, mais à l'écrit et venant de vous, il n'est pas facile de reconnaître une plaisanterie.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est ce qu'on appelle un humour froid. Il faut savoir s'y réchauffer.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas franchement besoin d'être réchauffée, mais à l'avenir je saurai que votre ton n'est peut-être pas si agressif qu'il n'y paraît, alors.

Emmanuel Mousset a dit…

Avec les élèves, c'est pareil : un mot un peu vif et c'est la vexation ! Notre époque est trop portée sur la sensiblerie.

Anonyme a dit…

Sauf que devant les élèves, ou tout autre public "physique", l'intervenant peut utiliser le ton et la gestuelle adaptés à ses intentions, et par la même faire comprendre plus aisément s'il plaisante, provoque ou est des plus sérieux.
Mais il est vrai qu'à notre époque, les mots sont souvent trop vite mal interprétés, et que certains ont vite fait de prendre la mouche.

AG a dit…

Il y a maintenant quelques années, alors que votre cours portait sur le concept de choix, vous aviez dit à votre classe; "si quelqu'un vous tend dans sa main droite un bon gâteau au chocolat et dans sa main gauche une grosse merde bien dégueulasse, on ne peut pas dire qu'il y ait réellement un choix à faire, il ne s'agit donc pas d'un choix" afin de nous montrer qu'un choix doit forcément être difficile pour qu'il en soit un.

J'apprends donc maintenant que c'était une méthode pédagogique et pas seulement un délire de prof !
Cela dit, ça a marché, la preuve je m'en souviens encore

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne m'en souviens pas, mais je dis tellement de choses ... Ceci dit, la formule me plaît et correspond bien à mon style.