mardi 25 août 2009

L'armure et le chat.

A une semaine de la rentrée, que fait et à quoi pense un enseignant ? Les plus sérieux ou les plus menteurs vous diront qu'ils préparent leurs cours. Pas moi, pas maintenant en tout cas, même si j'ai une tonne de papiers à classer en vue de la prochaine année scolaire. Je fais quoi alors (et je crois que nous sommes ainsi nombreux) ? Rien, strictement rien. Je me délecte de ces derniers jours, je ne songe à rien d'autre.

Pourquoi ? Parce que dans une semaine, je vais reprendre mon train d'enfer, et pour un an. Alors c'est normal que je profite des instants de paradis qui me restent. Cours, copies, réunions, café philo, ciné philo, animations diverses et toutes mes activités publiques, je n'aurais plus le luxe de ne rien faire. Autant jouir de cette liberté maintenant. Mais cette fin de vacances n'est pas vide : je lis, j'écris ... et je dors. J'ai transformé ma maison en monastère, sans téléphone, presque sans messagerie. Je m'isole du monde avant d'y être replongé jusqu'au cou.

Je suis paisible, et ça aussi c'est le privilège du moment. Dans quelques jours, avec la reprise des cours, je sais que je retrouverai les problèmes, les habituels et les inédits, que vous découvrirez au jour le jour en lisant Prof Story, comme les lecteurs de l'an dernier les ont découverts. La préparation des cours, ce n'est rien, juste un travail. Non, la difficulté, ce sera la rencontre, la confrontation avec de nouvelles classes, et toute une année à tenir.

Je dis que je suis actuellement paisible, que je ne pense pas à la rentrée, mais ce n'est pas tout à fait vrai. L'an dernier, j'ai enseigné l'ECJS à une classe de Première, que je peux donc parfaitement retrouver à la rentrée en Terminale de philo. Sauf que ce ne serait pas parfait. Ces élèves se sont faits de moi, en deux heures mensuelles d'un enseignement très libre, une image assez décontractée, qui ne correspond pas du tout au prof de philo que je suis.

Si je les ai, ils seront donc très étonnés, il y aura une rupture, ce qui n'est pas bon : la pédagogie n'est efficace que dans la continuité. Eux devront me subir tel qu'ils ne me connaissaient pas, ce qui est désagréable. Et moi, je devrais en rajouter dans la sévérité, pour bien leur faire comprendre que je ne suis plus le prof d'ECJS assez cool de l'an dernier mais l'austère prof de philo qui doit les préparer rudement au baccalauréat.

J'espère que mon proviseur-adjoint aura eu la main heureuse en ne m'affectant pas cette classe (si j'avais anticipé, je lui en aurais bien sûr parlé). Sinon, j'aviserai. Voilà en tout cas un premier sujet de préoccupation qui vient un peu troubler ma tranquillité de cette fin de vacances.

Oui, je me sens libre, je me sens moi-même. Mais dans un coin, une armure m'attend, celle que j'endosserai dans une semaine en retournant au lycée. Pour enseigner, il faut être blindé sinon c'est fichu, on se fait bouffer. Je vais dans quelques jours affronter une centaine de garçons et filles que je ne connais pas, qui n'en ont rien à faire de moi, qui ne chercheront pas spontanément à travailler, qui seront soumis à mon désagréable pouvoir. Pendant des mois, je vais devoir les conduire jusqu'au bac, dans les meilleures conditions de réussite pour eux. Ne croyez-vous pas qu'il faut une solide armure pour ça ?

Ça ne m'enchante pas plus que ça. J'aimerais rester à visage découvert. Il paraît qu'un homme politique doit savoir "fendre l'armure". Un enseignant surtout pas. Ça ne m'amuse pas, je n'ai pas l'instinct guerrier et je ne cherche pas spécialement à emmerder autrui. Mais le boulot est le boulot. A côté de l'armure, mon chat se repose. Je l'observe et je l'envie : il mange, il boit, il joue, il dort, il se promène sur les toits. On parle d'une "vie de chien", pour s'en plaindre. Je ne sais pas, je n'ai pas de toutou. Mais une vie de chat est une vie de sage, bien préférable à l'armure que je m'apprête à revêtir. Il n'y a que les moineaux que je n'aimerais pas croquer. Sinon j'échangerais volontiers ma cuirasse contre son pelage.

2 commentaires:

Arthur Nouaillat a dit…

Cette année vous aurez encore une première litteraire en ECJS ?

Emmanuel Mousset a dit…

Oui.