samedi 25 juillet 2009

Mon prof d'histoire-géo.

J'ai retrouvé Jocelyne sur Copains d'Avant il y a trois ans, nous avons un peu échangé puis la vie a repris son cours. C'était une camarade de classe, en Terminale, il y a trente ans. Ces jours-ci, je reçois de ses nouvelles, sa fiche a été mise à jour. O surprise, je découvre parmi ses "amis" un nom qui me revient : Jean-Pierre Chapoulie, 63 ans, prof, habitant Bagnères-de-Bigorre. C'est lui, bien sûr, mon prof d'histoire-géo quand j'étais lycéen à Argelès-Gazost ! Ca fait un petit choc quand même. Si je n'avais pas lu ce nom, m'en serais-je souvenu, aurais-je l'occasion de m'en rappeler ? Pas certain ...

Monsieur Chapoulie, l'année scolaire 1978-1979 ... L'année précédente, dans le même établissement, en Première, mon prof d'histoire-géo était un drôle de petit bonhomme assez âgé (pour moi qui avait 17 ans !), doté d'une voix pas très agréable et lisant mécaniquement ses petites fiches blanches cartonnées en guise de cours. Il marchait en s'appuyant sur une canne, qu'il déposait au travers de son bureau, un peu menaçant, ce qui rajoutait à l'aspect étrange et peu séduisant du personnage (pour un lycéen, tout prof est vu comme un personnage en soi, qu'on aime ou qu'on n'aime pas).

Ma prof de français d'alors disait de lui qu'il était "anarchiste de droite". Anar de droite ! Quel paradoxe quand on est adolescent ! Ce n'était pas faux, il était râleur, semblait aigri, critiquait tout, versait fréquemment dans l'ironie. Mais ce paradoxe le sauvait : c'était le seul mystère qui rendait un peu attirant ce prof qui ne l'était vraiment pas (et qui ne cherchait pas du tout à l'être !).

A la rentrée 1978, quand j'ai eu comme prof d'histoire-géo Monsieur Chapoulie, ça changeait du tout au tout : il était jeune, passionnant et, au physique, le contraire du prof précédent. Trente ans après, j'ai en tête quelqu'un de coquet, portant souvent gilet et foulard, un petit bouc à une époque où ce n'était pas encore la mode, des yeux très noirs, très vifs, des cheveux très bruns, un fin sourire aux lèvres, un visage vivant et qui donnait de la vie à son enseignement.

Monsieur Chapoulie prenait autant soin de ses cours que de sa personne. Rien qu'à le voir sortir délicatement ses notes et documents de son cartable, les disposer avec respect et précision sur le bureau, j'avais envie de l'écouter. Je le revois encore, le visage penché sur ce bureau, regardant ses feuilles sans les lire, les bougeant du doigt pour qu'elles restent bien droites devant lui, et c'était parti pour une heure ou deux de passions à travers l'espace ou le temps, la géographie ou l'histoire. On ne dira jamais assez combien l'allure, la démarche, la présentation du professeur jouent un rôle auprès des élèves, qui les amènent ou pas à adhérer à ce qui leur est transmis.

Du personnage de Monsieur Chapoulie se dégageait une élégance toute simple, sans affectation. Je crois me souvenir qu'il s'intéressait justement à la mode et à ses évolutions à travers les âges, mais peut-être que je confond, que ma mémoire me joue des tours. De même, j'ai à l'esprit qu'il était engagé politiquement, communiste il me semble, élu municipal (son raffinement ne correspondait pas à l'idée que je me faisais d'un militant communiste, on est toujours un peu bête quand on a 17 ans). Cela se disait entre nous, mais les lycéens causent et se trompent beaucoup ... Quoi qu'il en soit, son enseignement était d'une totale objectivité.

Je m'amusais, moi qui m'intéressais déjà à la politique, de discerner chez lui, dans ce qu'il nous disait sur telle période de l'histoire (en Terminale, on étudie le XXème siècle), un mot, un jugement, une allusion qui auraient pu trahir son appartenance communiste. Rien, jamais rien pendant toute cette année scolaire n'a transpercé, ne s'est exprimé. Monsieur Chapoulie était scrupuleusement laïque.

J'ai toujours aimé l'histoire (la géo un peu moins), Monsieur Chapoulie me l'a fait aimer encore plus. Je me souviens d'un devoir dont j'avais été particulièrement fier puisque j'avais eu 19 ! Le sujet portait sur le Front Populaire. Trente ans après, s'en souvenir, moi qui ai oublié tant de choses depuis, vous vous rendez compte ! Oui, j'ai aimé et admiré ce prof, comme j'aimerais qu'aujourd'hui quelques élèves m'aiment et m'admirent. Je sais bien que c'est une faiblesse que de l'avouer. Mais on ne peut pas tout le temps être fort ...

Je vais envoyer à Monsieur Chapoulie ce billet, je ne sais pas s'il le recevra, mais si je vois son nom s'inscrire sur ma boîte de réception, mon coeur va battre très fort, c'est sûr. Trente ans, ce n'est pas rien. Il ne se souvient sans doute plus de moi. Et je ne suis même pas certain que le portrait que je viens d'en faire soit exact, fidèle. Si ma bouteille à la mer reçoit une réponse, je vous le dirais.

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