mardi 23 juin 2009

S'entendre.

Si quelqu'un, hier dans l'après-midi, avait déposé une bombe au CRDP (Centre régional de documentation pédagogique), rue Saint-Leu à Amiens, la fine fleur de la philosophie picarde (dont moi) aurait été exterminée. C'est que nous avions notre commission d'entente du baccalauréat, qui consiste à réunir tous les profs de philo de l'académie pour discuter des critères de correction des copies, à partir de devoirs-tests dont nous comparons les évaluations.

Un prof de philo, c'est déjà, en soi, un phénomène. Une petite centaine de profs de philo réunis au même endroit, c'est un spectacle. Il faut savoir que les profs de philo sont très différents les uns des autres, que notre culture commune n'a pas élimé nos différences, qu'elle les a au contraire exacerbées. On dit : ressemblant comme deux gouttes d'eau. On devrait dire aussi : différent comme deux profs de philo. Quand un d'entre nous en rencontre un autre, c'est le plus souvent sur le mode du désaccord.

Ça fait incontestablement le charme de cette drôle de corporation qui n'en est pas une (pensez : on se retrouve seulement une fois par an de façon collective, au moment du bac ; le reste de l'année, c'est chacun dans son lycée et ses bouquins). Sauf que pour corriger les copies, arriver à un minimum de consensus, établir des critères communs, c'est coton. La commission d'entente, c'est pourtant fait pour ça, et c'est pas triste.

Je retrouve les collègues de Saint-Quentin, Agnès, Bernard, ceux que je connais depuis longtemps, Philippe, ceux même avec qui j'ai passé mes années d'étudiant il y a vingt ans, Emmanuelle. On se salue, on se dit quelques mots, pas plus, jusqu'à l'an prochain, comme si on se voyait chaque jour, comme si on n'avait pas besoin d'en dire plus. C'est bien. Un prof de philo est bavard devant sa classe. Ailleurs il a plutôt tendance à se taire. Mais je connais aussi quelques notables exceptions.

Hier, nous étions réunis dans une immense salle avec gradins, où l'on se tourne le dos et où l'on entend très mal quand quelqu'un parle. Pas les conditions idéales de travail. Mais un prof de philo se fait à tout, pourvu qu'il ait son cerveau avec lui ... et ses copies-tests en l'occurrence. Parmi nous, celui qui porte une cravate fait intrus. Il n'y en a qu'un, c'est l'inspecteur, qui nous est supérieur, qui supervise nos travaux, mais qui est comme nous prof de philo. Il n'exerce certes plus, mais prof de philo, c'est comme prêtre : c'est pour la vie, même quand on a arrêté. J'aime bien cet inspecteur, le même depuis environ dix ans : il est sympa, serviable, bienveillant et ... bavard.

Vouloir faire s'entendre deux profs de philo, c'est une gageure, un défi. Vouloir en faire s'entendre cent, c'est une folie. Je me demande même si un prof de philo est capable de s'entendre avec lui-même. Toujours est-il que des profs de philo qui s'entendent, c'est comme de vieux amis qui se fâchent, c'est plutôt rare. A propos des six copies-tests, chacun a donné sa note et son commentaire, sans vraiment écouter les commentaires des autres. On parle en même temps, on se coupe, on se répète, on ne se comprend pas, chacun veut avoir raison, c'est vite le brouhaha.

Mais que peut-il sortir de tout cela ? Vous ne me croirez pas et c'est pourtant vrai : du désordre surgit l'ordre, de la cacophonie s'élève une symphonie, l'incroyable se produit, l'entente s'opère. Vous n'aurez pas un prof de philo par les bons sentiments mais par les bons arguments. Or dans cette philosophique assemblée, les bons arguments finissent par l'emporter. On s'entend parce que l'entendement, vieux mot pour désigner la raison, est toujours victorieux. Après tout, c'est la marque de fabrique des profs de philo. Comment pourraient-ils l'oublier ? Chacun d'entre nous est donc reparti confiant, rassuré, avec quelques enseignements qui lui permettront d'affronter les 130 copies en moyenne qui nous attendent sur la table de notre cuisine. Rendez-vous même jour, même heure, même lieu dans une semaine, pour la commission d'harmonisation.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

D'un autre coté,
qui aurait une aussi drôle d'idée
et puis,
si ça arrivait qui s'en apercevrait
et à qui cela manquerait.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Qui ? Quelqu'un qui n'aime pas les profs de philo (je suppose que ça doit exister).

2- Qui s'en apercevrait ? Tout le monde ! Ca ferait les gros titres des journaux !

3- A qui ça manquerait ? A l'Education Nationale et aux milliers d'élèves privés de cours.

Anonyme a dit…

Quand on est prof (de philo) c'est pour la vie : pas d'accord!
Quand certains passent conseillers pédagogiques, ou professeurs d'IUFM, ou encore inspecteurs, ils oublient malheureusement bien trop vite la réalité du terrain!

Le "brouhaha" dans une réunion de professeurs, ce n'est malheureusement pas spécifique aux profs de philo. Je trouve ça aberrant. Des gens qui imposent à leurs élèves d'écouter en silence alors qu'adultes ils sont INCAPABLES de le faire!

Emmanuel Mousset a dit…

Les évolutions de carrière dans les fonctions que vous citez sont très minoritaires. Ca n'arrive pas à tous les profs !

Quant à la fameuse "réalité du terrain", je ne sais pas trop ce que c'est. On peut être prof devant sa classe et ne rien voir de la réalité qu'on a sous les yeux, et surtout ne rien y comprendre. En revanche, le prof d'IUFM peut avoir le recul, le temps et la mission de réfléchir aux problèmes scolaires et ainsi en dire quelque chose de pertinent.

Les profs qui font du bruit entre eux, ça ne me choque pas trop, c'est aussi une façon de s'exprimer. Mais des profs qui font du bruit quand l'administratiion ou la direction sont là, je suis choqué parce que c'est faire exactement ce qu'on reproche aux élèves.

Anonyme a dit…

TOUS les profs ne deviennent pas conseillers pédagogiques, profs d'IUFM, ou inspecteurs, mais ces postes sont bien occupés par des enseignants, non?

Oui, certains profs ne comprennent rien à une classe, mais en secondaire je pense que la formation en est en grande partie responsable.
Oui, le prof d'IUFM, le conseiller pédagogique ou l'inspecteur, PEUT et DEVRAIT avoir le recul nécessaire pour être pertinent. Malheureusement, certains (pas tous) oublient trop rapidement, ce qu'est un élève et la gestion d'une classe, et sont donc très peu pertinents.

Je ne vois pas ce que la présence ou non de l'administration ou de la direction change au problème!

Emmanuel Mousset a dit…

A la dernière remarque : entre nous, on fait ce qu'on veut, l'essentiel étant d'être efficaces, peu importe la façon, même bruyante.

En ce qui concerne les profs d'IUFM, il y a pas mal de préjugés (négatifs) qui les frappent. Je trouve qu'ils ne méritent pas autant de critiques (je le dis très librement, n'étant pas prof d'IUFM, sauf pour quelques rares interventions dans l'année). Mon explication : un prof est quelqu'un qui a horreur qu'un autre prof vienne lui dire ce qu'il faut faire.

Mais vous devriez être satisfait (pas moi) : les IUFM vont bientôt être fermés ...

Anonyme a dit…

Comment voulez-vous être efficace quand personne ne s'écoute?

Je ne parle pas que des profs d'IUFM, et je ne les mets pas tous dans le même panier.
Je n'ai aucun préjugé, je parle de comportements que j'ai malheureusement pu observer.
Enfin, je ne ressens aucune satisfaction par rapport à la fermeture annoncée des IUFM, bien au contraire!