mercredi 3 juin 2009

Retour en prison.

Hier à Château-Thierry, je suis retourné à la maison d'arrêt pour animer une deuxième séance de café philo. Cette fois, je n'ai pas eu le choc de la première fois, d'il y a quinze jours, avec le ballet impressionnant des portes qui s'ouvrent et qui se ferment, la découverte des couloirs, des cellules, des détenus et des matons. Je me suis habitué à ces visages endurcis ou amollis par la vie.

Nous ne sommes pas allés dans la buanderie, pas très confortable, à l'écart, mais dans une salle tout près des cellules (je rappelle que les portes sont ouvertes, que les prisonniers, frappés par de courtes peines, peuvent déambuler dans les couloirs, mais leur univers est tout petit). "C'est leur salle", m'avait dit le CIP (conseiller d'insertion et de probation). Il y a deux fenêtres (avec évidemment les traditionnels barreaux), une jolie vue sur la ville, des sortes de fauteuil, une table, c'est un coin sympa, celui dans la prison qui ressemble le moins à la prison. Les détenus peuvent y fumer (c'est bien le seul lieu "public" et fermé, dans notre société, où l'on puisse encore fumer, la prison !), prendre un café ... et discuter. D'où l'idée d'y faire le café philo.

Sur le mur, un magnifique tag, peint par les détenus eux-mêmes, fait entrer un peu de couleurs dans ce monde aux teintes grises ou délavées. Cette fois, je suis seul avec mes huit gaillards, même si la porte reste ouverte et qu'un gardien grand jusqu'au plafond passe de temps en temps sa tête pour voir si je suis toujours en vie (je plaisante). Il n'empêche qu'avant d'entrer, le CIP m'a donné un talkie-walkie que j'ai accroché à ma ceinture : s'il y a un problème, vous jetez à terre le talkie, l'alarme se déclenchera automatiquement. J'ai beau ne pas avoir peur, cette prudence me rappelle que je ne me retrouve pas avec n'importe qui, mais avec des types qui peuvent éventuellement faire n'importe quoi.

Après le bonheur, j'ai choisi cette fois la violence comme sujet de réflexion. J'ai pensé que ça pouvait les intéresser, les faire réagir. Je ne me suis pas trompé. Nous avons passé en revue toutes les formes de violence, des plus condamnables au plus légitimes, y compris la violence de la prison. Pour tout vous dire, je n'ai pas encore trouvé mes marques. Je laisse rouler la conversation, je laisse faire les digressions, je n'impose rien, je suis très peu directif. Je n'ai même pas sous les yeux une feuille qui me permettrait de guider la réflexion, d'éventuellement l'orienter. Je veux être, avec eux, le moins prof possible, car je crois que ça ne passerait pas. Je tiens beaucoup à ce que nos rencontres soient totalement volontaires. Si ça ne leur plaît pas ou apporte rien, je ne reviens pas.

Est-ce que ça marche, est-ce que ma méthode est la bonne ? Je n'en sais rien. Je me dis parfois qu'il faudrait que je sois plus directif, qu'ils ont besoin et attendent peut-être ça, une orientation, des structures (sans pour autant qu'on tombe dans un cours classique). Pas facile, je ne me suis pas encore fait une opinion. J'étais mal placé géographiquement, je ne voyais pas tout le monde, tournant le dos aux fenêtres, à côté desquelles certains s'étaient installés. Mon style "conversation intelligente à bâtons rompus" est-il le bon ? Je ne sais pas. Il manque peut-être le travail de l'esprit.

Toujours est-il que j'ai eu une bonne accroche avec un prisonnier, plus âgé que les autres, qui m'a d'abord demandé si la philosophie et la psychologie, c'était la même chose ? J'ai répondu que non, que je n'étais pas ici pour les guérir de quoi que ce soit. Il m'a rétorqué : il y a tout de même un petit rapport ? J'ai bien dû reconnaître que oui ... En sortant, il m'a lancé malicieusement : pourquoi n'a-t-on pas fait de philo ? J'ai expliqué que c'était quand même un peu de la philo, mais que si c'en était complètement, personne ne viendrait. Il m'a dit qu'il me comprenait, que j'avais raison. Moi aussi, je l'ai compris.

2 commentaires:

.nn. a dit…

Et quels exemples de "violences légitimes" avez-vous trouvés?

Emmanuel Mousset a dit…

La violence légitime, c'est lorsqu'on est attaqué, qu'il faut se défendre, qu'on s'en prend à vos proches, à vos enfants, qu'il faut résister à un oppresseur, etc. Se faire violence est peut-être aussi une violence légitime.