mardi 9 juin 2009

Philo mômes.


Goûter philo cet après-midi dans le domaine de Beauregard, à Belleu, près de Soissons, dans le château de la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne : nous sommes installés dans le salon, devant la grande fenêtre. Beaucoup de lumière entre, alors que le ciel est gris et le temps pluvieux. Bon endroit, confortable, pour un goûter philo. Attention, on ne mange pas, il est trop tôt. Ce qu'on goûte, c'est la philo, et rien d'autre.
Je suis avec les enfants de l'école d'Homblières, divisés en deux groupes pour discuter plus facilement. Ils sont à Beauregard pour un séjour éducatif de trois jours. Ce matin, ils ont fait du raku (une technique de cuisson de poterie). Après la pratique, quoi de mieux que la théorie ? Le goûter philo avait pour thème l'art.
La philo avec des enfants, ça marche. Pas comme avec des adolescents, mais ça marche quand même. Ce qui est chouette, c'est leur spontanéité, leur curiosité, que je ne retrouve pas chez mes lycéens. Bien sûr, cette ardeur a ses limites : parfois, les interventions sont mécaniques. On a l'impression que les enfants parlent pour parler, sans profondeur, avec une naïveté qui a peu de rapport avec la sincérité. Mais quelque chose passe quand je les questionne et qu'ils me répondent.
Parfois, leurs propos sont étonnants, profonds, plus profonds que ceux des adultes. Mais je crains qu'ils oublient très vite, qu'ils passent à autre chose, qu'ils ne retiennent pas grand-chose. Ce ne sont après tout que des enfants ! Dans l'instant où nous conversons, c'est cependant un grand bonheur, pour moi en tout cas. Car un enfant pense, comme une grande personne. C'est différent, mais c'est de la pensée.
Je dois les surveiller en permanence. Les corps s'agitent très vite, ont du mal à tenir en place, la chaise est manifestement pour eux un instrument de torture, certains remuent comme des vers coupés ! J'élève la voix, je fixe du regard, je veux qu'ils écoutent, qu'ils suivent. J'y parviens, mais de haute lutte. Leur maîtresse filme au caméscope nos échanges.
Avez-vous remarqué ce détail sur les photos ? Les enfants sont en chaussettes ou chaussons. Ils sortent probablement d'une activité sportive, ils se sont changés (les chambres sont au dessus du salon). J'ai commencé en me présentant et en expliquant ce qu'était la philo. J'ai terminé en disant que je les verrai peut-être dans quelques années en Terminale, dans mon lycée. Dans 8-10 ans, ce n'est pas si loin ! En attendant, puisque leur village d'Homblières est proche de Saint-Quentin, je leur propose de nous retrouver dans leur école pour un nouveau goûter philo.

13 commentaires:

.nn. a dit…

Quels genres de questions avez-vous posées sur l'art?
Et quels propos des enfants vous ont étonné?

Emmanuel Mousset a dit…

Par exemple : citez-moi des arts ? Spontanément, un élève me donne la peinture. Très bien. Mais j'aimerais qu'ils me proposent aussi la musique, le cinéma. Non, les autres réponses vont tourner autour de la peinture, parfois en une pure et simple répétition. Comme si l'intelligence de l'enfant se focalisait sur ma question, sans prendre en compte les réponses précédentes (et donc éviter les redites). C'est ça qui est surprenant. L'intelligence de l'enfant semble réactive, elle ne fait pas le lien avec les autres interventions. Parfois, elle joue purement et simplement avec les mots. Une élève me cite le "lard" à propos de l'art. Elle a bien conscience que ça n'est pas le sujet, que ça n'a rien à voir, mais elle en parle quand même. Comme si son objectif n'était pas d'abord de réfléchir mais de parler.

.nn. a dit…

Je reformule ma première question, car votre réponse ne convient qu'à la seconde.
Quels genres de questions PHILOSOPHIQUES avez-vous posées sur le thème de l'art?

Emmanuel Mousset a dit…

Ma réponse convient très bien à votre première question, que vous ne reformulez pas mais que vous complétez et précisez. J'ajoute que c'est déjà philosopher que de citer des arts, parce qu'on est vite confronté à des difficultés. Est-ce que la cuisine est un art ? On parle d'art culinaire. Mais quel rapport entre un vacherin et un Picasso ? Donc, des questions en apparence non philosophiques conduisent assez rapidement l'enfant à des interrogations philosophiques : qu'est-ce qu'une oeuvre d'art ?

Un élève m'a répondu : "L'art, c'est ce qui ne ressemble à rien". J'ai trouvé cette réponse formidable et très discutable. Elle a été le fil directeur de notre réflexion, avec les pensées suivantes, par exemple :

Une oeuvre d'art n'est pas faite pour ressembler à quelque chose mais pour traduire l'état d'esprit de quelqu'un ou pour représenter la réalité sous une forme totalement différente de celle que nous lui connaissons (on appelle ça un style).

une PE a dit…

On voit que vous n'êtes pas habitué aux enfants, mais aux ados. Sachez que la spécialité des enfants, c'est de lever la main pendant une heure pour dire exactement la même chose que ce qui vient d'être dit 10 fois! ... Mais pas par eux. Donc l'enseignant ne peut pas avoir entendu les 10 premières réponses identiques.
Et qui sait? Peut-être que la même réponse de Tartampion, sera validée par l'enseignant, si elle est donnée par Trucmuche...
De plus, arriver à parler est déjà une victoire pour certains, alors laissons-les dire ce qu'ils ont à dire, même si cela a déjà été dit, ou si cela n'a rien à voir avec le sujet. Il ne faut pas leur en tenir rigueur, il suffit de le leur faire remarquer.

.nn. a dit…

Pour moi, demander à quelqu'un de citer des arts, n'était pas une question typiquement philosophique, ou alors je fais de la philosophie tous les jours.
Je confirme, j'ai bien reformulé ma question. Et pour faire apparaître le sous-entendu que je ne pensais pas que vous aviez saisi (cf. 1er § de cette réponse), j'ai dû la préciser en la complétant.
Votre deuxième réponse me convient.

Arthur Nouaillat a dit…

C'est quand même plus conviale quand il y a quelque chose à grignoter et à boire.

Emmanuel Mousset a dit…

A PE :

Je suis d'accord avec vous, je ne tiens nullement rigueur aux enfants d'être des enfants et pas des ados.

Emmanuel Mousset a dit…

A Elève en 2nde :

Les règles diététiques et scolaires sont strictes : les enfants avaient un goûter à l'heure prévue, je ne pouvais pas leur faire grignoter ou boire quelque chose avant. Ca me semble d'ailleurs normal. Un goûter philo n'est pas ce qu'on appelle communément un goûter. Il suffit de leur expliquer.

Anonyme a dit…

Monsieur Mousset un enfant qui n'a jamais grandi.
vous avez peut être souffert de quelque chose dans votre enfance ?

un manque, un complexe, une peur que vous ne cessez de refouler depuis des années ? et la philo s'avére dans ce cas votre remède ?

bon mise à part ça, vous qui pronez bien entendu (comme tous vos littéraires le savant) les fausses sciences, qu'est ce que vous voyé dans votre boule de cristal comme sujet le jour du bac?

Emmanuel Mousset a dit…

Le début de votre commentaire est intéressant et vous avez peut-être raison. Mais je ne me dévoilerai pas plus ...

Pour la boule de cristal, hélas non : impossible de prédire les sujets du bac.

Titi a dit…

Peut on faire de la psycologie sans faire de philo? ou l'inverse? =/

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, bien sûr, psychologie et philosophie sont deux disciplines très différentes et autonomes. Mais il y a un peu de psycho dans la philo.