samedi 6 juin 2009

Les barreaux de Laon.

Je suis allé hier en prison. Encore ! Mais à Laon cette fois. L'établissement est complètement différent de Château-Thierry : à l'extérieur de la ville, très grand, 600 détenus, très moderne. C'est une prison comme on en voit dans les films. Les portes et grilles sont automatiques, il n'y a pas ce jeu sinistre avec les clés qui ouvrent et ferment. Les couloirs sont très longs. Une pelouse de foot occupe le centre. L'ensemble est spacieux, fonctionnel, bien organisé. Finalement, ça me semble plus agréable, plus supportable que la maison d'arrêt de Château, malgré le caractère "familial" de celle-ci.

Côté administration, on se croirait dans les bureaux d'un lycée. Ce qui me frappe également, c'est le nombre de femmes en contact avec les prisonniers, sans que ça pose manifestement de problème. J'ai un contact sur place, si j'ose dire : c'est Estelle, une amie, qui est conseillère d'insertion et de probation. Elle me conduit sur les lieux du café philo. Et là, surprise : c'est une bibliothèque comme n'importe quelle bibliothèque, on ne se croirait pas du tout en prison. A Château, on ne pouvait pas oublier l'univers carcéral.

Surprise aussi en saluant les cinq détenus qui ont accepté de participer : deux parmi eux ont ces visages marqués par la vie, ces traits de violence et de souffrance que j'avais déjà remarqués à Château. Mais les trois autres, non, pas du tout : l'un ressemble à un gamin facétieux, l'autre à un jeune lycéen, le troisième à un monsieur très sérieux, à l'élocution impeccable. Ils ne font pas du tout voyous.

J'ai choisi de nous regrouper autour d'une table. C'est une bonne idée. Assis derrière une table, le corps se discipline, et l'esprit aussi. A Château, sur leur chaise, les détenus finissent par se lever, se déconcentrer. "Se retrouver autour d'une table", c'est un signe de paix, de discussion, en politique, en diplomatie. Un homme devant une table n'est jamais entièrement mauvais. La table est à la fois ce qui rassemble et ce qui éloigne, ce qui installe entre moi et l'autre un irréductible espace.

Les rayons de livres participent aussi au calme de l'endroit, à son atmosphère studieuse. J'ai choisi mon thème fétiche, que je sors quand je ne connais pas vraiment le public : le bonheur. Et la conversation roule très vite. A certains moments, je n'ai même plus besoin d'animer (là, c'est quand on devient très bon !). Le monsieur qui parle bien est de confession musulmane. Il est entre ces murs depuis pas mal de temps. L'Islam incontestablement lui a donné une raison de vivre derrière les barreaux. La religion, quoi qu'on en pense, a parfois cette capacité de structurer un individu.

Ce café philo a été plutôt réussi, contrairement à celui de Château, que je n'ai pas trop su maîtriser. Les idées ont circulé et se sont confrontées, c'est l'essentiel. Estelle m'apprend qu'il existe des cours en prison, mais rien qui soit comparable à mon café philo. D'où l'intérêt de l'expérience. J'ai déjà donné le prochain sujet, pour que les détenus y réfléchissent et en parlent autour d'eux : la violence.

2 commentaires:

.nn. a dit…

Décidément, la prison et/ou les prisonniers vous attire(nt)!
J'aimerais bien connaître les motivations qu'ont les prisonniers à participer à ce genre de débat. Sont-elles identiques ou différentes de celles des personnes qui assistent à vos cafés philo?

Emmanuel Mousset a dit…

Les détenus viennent par curiosité, par distraction, parce que le temps est long en prison. Viennent-ils pour la philo ? Peut-être pas au début. Mais j'aimerais qu'on en arrive là.