vendredi 12 juin 2009

L'année est terminée.

C'était ce matin mes deux dernières heures de cours de l'année scolaire 2008-2009. Si j'étais superstitieux, je dirais que la fin résume ce qu'a été toute l'année. Peut-être, après tout ... En tout cas, c'est un moment très particulier, comme vous pouvez facilement l'imaginer. Quelque chose s'achève, qui ne reprendra, avec des élèves différents, qu'au début septembre. Un grand vide va donc s'installer, de plus de deux mois et demi. C'est évidemment faux, et vous verrez en lisant ce blog dans les semaines qui viennent combien le temps sera largement occupé.

Mais avec mes Littéraires, c'était bel et bien ce matin la fin. Qu'est-ce qu'on peut bien faire durant les deux dernières heures de cours de l'année ? J'ai commencé, avec autant de solennité que pour les deux premières heures de l'année, par faire l'appel, dans un grand silence puisque huit élèves seulement étaient présents (ce qui n'est pas si mal pour la fin des fins). J'ai donc noirci mon billet d'absence de plein de noms. A peine si je pouvais ajouter ma signature ...

Et puis après ? Une élève, Julie, avait insisté il y a quinze jours pour que nous terminions par un goûter. J'étais sceptique : une petite fête au jus d'orange et biscuits dans une salle de classe, ça ne le fait pas, comme on dit aujourd'hui. Mais pourquoi pas, si les élèves le souhaitent. Je leur dois bien ça, en quelque sorte : ils m'ont subi neuf mois, huit heures par semaine, ça mérite une petite récompense. Sauf que ce matin, pas de Julie, pas de biscuits, pas de jus d'orange. Jusqu'à la fin, j'ai cru que la porte allait s'ouvrir et le goûter arriver ! En vain ...

Malgré tout, je voulais offrir ces deux dernières heures aux élèves, les laisser faire ce qu'ils voulaient. Que voulaient-ils ? Rien de particulier (c'est le drame de l'enseignant : les élèves ne veulent jamais rien de particulier !). La moitié révisait autre chose que la philo, l'autre attendait. Finalement, une proposition est venue : reprendre les deux ouvrages étudiés dans l'année, de Nietzsche et d'Epicure. Je me suis exécuté. Il restait à la fin encore une petite demi-heure à combler. J'ai pris dans les Annales du Bac quelques sujets de dissertation.

Bref, pour en revenir à ma superstition du début, je dirais que l'année s'est terminée comme elle a commencé et évolué, dans une ambiance studieuse. Encore une fois, les élèves étaient libres de faire tout autre chose, ils sont restés fidèles à la philosophie et à mes exercices. Qui sont ses derniers élèves qui m'auront suivi jusqu'au bout ? On pourrait croire que ce sont les meilleurs élèves, vaguement fayots sur les bords ... Non, d'abord parce que les "fayots", je n'en vois guère parmi les élèves, c'est une espèce en voie de disparition, et surtout parce que fayoter les deux dernières heures, ça ne sert strictement à rien. Parmi ces huit élèves, il n'y en avait aucun de très bons (ceux-là savent qu'ils réussiront, ils n'ont plus besoin de moi). Une seule n'est pas mauvaise du tout, pour avoir bien progressé au troisième trimestre, deux sont moyens, les cinq autres n'ont pas eu de très bons résultats, certains ont même manqué d'assiduité pendant l'année.

Terminer l'année avec une poignée de rescapés constitués en partie d'élèves à qui j'ai donné des notes médiocres ou mauvaises, ça fait réfléchir ... Ils auraient de bonnes raisons de faire comme les autres, comme les meilleurs, de ne pas revenir. Ils savent qu'ils ne risquent guère de sanction, au point où nous en sommes arrivés. Viennent-ils alors réviser, sachant qu'ils en ont plus besoin que n'importe qui ? L'hypothèse se défend mais je n'y crois pas. Les dés sont jetés, les révisions sont une formalité, on ne va pas rattraper en deux heures ce qu'on n'a pas fait dans l'année.

Est-ce un lien particulier qui les relie à moi, qui les attache à ma personne ? Peut-être aussi ... Toujours est-il que cette dernière séance s'est déroulée jusqu'au bout comme n'importe quelle autre séance. A tel point qu'au fond de moi, presque gêné par une telle situation, j'en suis venu à souhaiter qu'il arrive quelque chose d'exceptionnel, pour ne pas que nous terminions dans la banalité. Hier par exemple, avec cette même classe, j'ai eu droit, venant de l'extérieur, à deux pétards qui ont, à trente minutes d'intervalle, éclaté devant ma porte. Un mini-attentat, si vous préférez, venant probablement d'un élève cherchant à se venger de ses mauvaises notes (je plaisante, je n'en sais rien). Ça ne m'était jamais arrivé, l'explosion a été assez forte. Mais aujourd'hui, rien, même pas ça ! C'en était presque angoissant.

Il a bien fallu quand même se quitter. Je n'ai même pas eu le courage de leur souhaiter bonne chance pour le bac ou bien bonnes vacances tellement j'étais assommé par la banalité de la situation, qui semblait encore plus banale qu'à l'ordinaire. Et je ne voulais pas y remédier artificiellement par des propos convenus. Les élèves ont quitté la salle, me saluant ou pas, comme les autres fois, comme si on allait se revoir la semaine prochaine. Je suis resté dans la salle de classe, vide, silencieuse, les tables un peu en désordre, quelques papiers au sol. C'est là que je me suis rendu compte : l'année scolaire est terminée.

7 commentaires:

élève a dit…

je ne vous cache pas que j'ai eu une pensée pour vous ce matin, et quand j'ai lu l'article en rentrant chez moi, j'ai eu la larme à l'oeil.

boucenna le kabyle, alexis le russe a dit…

et avec vos TS? vous avez déja oublié... on aurait du frapper plus fort alors ah ah ah

Julie a dit…

Vous dites que j'ai proposé un goûter, mais c'est vous qui nous avez proposé de faire quelque chose,en dehors du lycée, pour la fin de l'année. Or, l'année scolaire nous a démontré que lors d'une sortie avec les profs en dehors du lycée, il y avait plus de profs que d'élèves, ces derniers étant peu intéressés... J'ai juste proposé un goûter dans le lycée craignant les absences, mais vous n'aviez pas l'air emballé. Pour moi, ce projet était donc un échec et je ne me suis pas senti concernée par la suite du déroulement. Vous m'auriez clairement demandé de m'en occuper, je l'aurai surement fait, mais j'ai cru que c'était votre projet, votre organisation, et vos choix pour ce qui est du lieu et du moment. Ne me tenez donc pas pour responsable de cet échec s'il vous plaît.

Anonyme a dit…

on reconnait là le caractère de Julie ! elle va vous manquer l'année prochaine ?

Anonyme a dit…

Des julies,
il y en a eu d'autres et il y en aura d'autres.

c'est terrible de ne pas se comprendre.

Anonyme a dit…

Elle manquera pas vraiment...

Emmanuel Mousset a dit…

A propos de Julie et du goûter, ma réaction était plus de l'humour qu'un véritable problème. Il n'y a donc pas d'incompréhension entre nous.

Oui, elle va me manquer, comme tous les élèves vont me manquer. Car une classe est irremplacable, ne ressemble à aucune autre.