mercredi 10 juin 2009

La dernière élève.

Elle s'appelle Laëtitia Lassale. C'était ce matin, en Terminale ES, ma dernière élève. Le couloir était presque vide. Quelques Scientifiques bizarrement déguisés fêtaient la fin de l'année. Et devant la salle 131, une seule élève, là où j'étais habitué à en voir trente-quatre en rangs serrés. C'est traditionnel : les derniers jours, les élèves craquent, ils sèchent, le bac approchant. Ça ne me choque pas complètement, mais il faut limiter les dégâts, c'est à dire réduire ce temps de vacance que certains utilisent à autre chose qu'à leurs révisions. Au début dans la profession, j'avais du mal, les désertions commençaient quinze jours avant la libération officielle. Maintenant, je maîtrise assez bien : seuls les derniers jours sont touchés, grâce à la pression que j'exerce sur les élèves et qui les fait venir presque jusqu'à la fin.

La fin, nous y sommes, c'est après-demain. En Littéraire, ce matin, ils étaient huit. Mais demain ? En ES, je me suis donc retrouvé avec Laëtitia, et un petit moment de doute : je fais quoi ? Je ne fais pas cours, je la laisse faire ce qu'elle veut, aller travailler en permanence ou au CDI ? J'aurais pu, après tout. D'autant qu'un petit intérêt personnel m'y poussait, une invitation à déjeuner à Paris. En à peine une heure et demi, par le train, j'y étais. Sauf que Laëtitia était là, que je suis fonctionnaire, censé faire cours aux ES de 10h00 à 12h30 jusqu'à la fin officielle de l'année. Petit problème de déontologie professionnelle vite tranché : j'ai demandé à l'élève ce qu'elle souhaitait, puisque ma présence n'a de sens que pour elle. Avec en tête ce rappel : tout élève a droit à l'enseignement du professeur, même s'il est seul dans la classe. Elle m'a dit qu'elle voulait que je fasse cours, je me suis exécuté.

Laëtitia n'a pas eu de bons résultats cette année en philo. C'est d'autant plus courageux pour elle et un peu émouvant pour moi de la voir participer à mon dernier cours. C'est le genre d'élève qui ne se font pas remarquer, discrète, effacée, n'osant pas intervenir, mais travaillant beaucoup, profondément honnête, souffrant peut-être de ne pas parvenir malgré les efforts à de bonnes notes. Qui sait si sa présence ce matin n'était pas une forme de défi ? Pour me prouver et se prouver à elle-même que la philosophie était malgré tout à ses yeux quelque chose d'important. L'audace qui lui aura manqué dans l'année et dont elle rêvait en secret, elle me l'aura signifiée ce dernier jour, ce dernier cours, en étant présente alors que tous les autres sont absents. Qui sait si ce n'était pas pour elle l'ultime recours pour ne pas être oubliée, pour montrer qu'elle avait le droit d'exister dans ma mémoire ? A vrai dire, je n'en sais strictement rien, j'imagine, j'extrapole. Toujours est-il qu'à travers ce billet dont elle est le personnage, mais qu'elle ne lira peut-être jamais, elle gagne une présence, une reconnaissance que l'année scolaire n'a pas su lui donner.

Un autre petit problème déontologique m'est venu à l'esprit quand je suis entré avec Laëtitia dans la salle 131 : est-il permis à un professeur de faire cours à une élève seule ? J'ai toujours entendu dire que ce n'était pas possible, sauf à laisser la porte de la classe ouverte. Je ne sais pas si c'est vrai, je ne suis jamais allé chercher dans les textes réglementaires. Ce qui est certain, c'est que j'ai fermé ce matin la porte derrière nous, comme je le fais chaque matin. Cette soi-disant règle me semble être une pure rumeur. Car ce serait donner du professeur une piètre image que de croire qu'il serait capable de prodiguer à son élève autre chose que son enseignement. Cette porte ouverte aurait un aspect offensant et ridicule. Et pourquoi une élève ? Pourquoi pas deux ? Si j'avais un peu de temps à perdre, j'irais rechercher l'origine de cette rumeur scolaire comme il en existe beaucoup d'autres (il me faudra un jour y consacrer un billet spécifique).

Donc, porte normalement fermée, nous avons philosophé. En première heure, j'ai évoqué la dernière notion du programme, "la matière et l'esprit", et en deuxième heure j'ai proposé à Laëtitia des sujets de dissertation pris au hasard dans les Annales du Bac, que nous avons problématisé et un peu développé. A la fin de la séance, elle est partie en me disant "au revoir monsieur". Je crois cette fois-ci que je ne la reverrai plus jamais.

19 commentaires:

Arthur Nouaillat a dit…

Je confirme que c'est interdit de faire cours à un seul élève. L'année dernière il m'est arrivé en Latin d'être le seul élève. La prof a refusé de me faire cours en m'expliquant qu'elle n'avait pas le droit notamment parce que j'étais un homme et elle une femme.
Néanmoins je reste d'accord avec que vous que c'est ridicule de penser qu'un professeur et un/une élève fasse autre chose que de travailler..

Anonyme a dit…

pourquoi n'écrivez vous pas un roman, vous avez un bon style d'écriture! parole d'un littéraire !

Emmanuel Mousset a dit…

A Elève en 2nde :

Un témoignage n'est pas nécessairement une vérité. Je persiste à croire qu'il s'agit d'une rumeur. Mais c'est à vérifier.

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne crois pas que j'aurais assez d'imagination pour écrire un roman. Je suis un chroniqueur, pas un romancier. Je peux décrire mon vécu, pas inventer un récit et des personnages.

Arthur Nouaillat a dit…

Oui mais vous pourriez écrire des essaies ..

Emmanuel Mousset a dit…

J'ai déjà fait, j'écris depuis quelques années un essai chaque année, pendant les vacances d'été.

une PE a dit…

En tout cas s'il s'agit d'une rumeur, elle est sacrément bien implantée en primaire!...
Je me renseignerai, mais je ne pense pas que ce soit une rumeur.
Dans notre école, si un(e) enseignant(e) se retrouve seul(e) avec un(e) seul(e) élève (et cela arrive notamment dans le cadre de l'aide personnalisée), il a le réflexe d'ouvrir une porte de sa classe qui communique avec une autre, ou de s'installer dans la classe déjà occupée d'un(e) collègue.
Oui, il est ridicule de penser qu'un enseignant puisse faire autre chose que de travailler avec un(e) élève (tout comme il est ridicule de penser qu'un adulte puisse être pédophile...), mais les dérives de notre société actuelle nous ont conduits à être prudents. Même si l'enseignant(e) ne fait que son travail avec cet(te) unique élève, si ce(tte) dernier(ère) est mal intentionné(e), il (ou elle) peut raconter n'importe quoi, et qui croire aujourd'hui? L'adulte, ou l'élève? Alors que si les élèves sont plusieurs, il est plus difficile de mentir, même si malheureusement ça arrive aussi.
Et pour être complètement honnête, j'ai déjà eu vent de pratiques plus que douteuses de la part de certains enseignants, dont la véracité ne fait aucun doute.
Un conseil dont vous ferez ce que vous voudrez : la prochaine fois, refusez de faire cours à un(e) seul(e) élève ou installez-vous dans une salle déjà occupée.

Un TES2 a dit…

Mdr Mdr Mdr Mdr la pauvre, c'est les Fucking risques ca.
En meme temps revisions quoi !
Moi je dit respect leticia,elle a reussi la ou beaucoup ( comme moi ) avons abandonner ^^

Emmanuel Mousset a dit…

Je t'ai reconnu, TES2 (Mdr).

Emmanuel Mousset a dit…

A PE :

Tant qu'on ne m'aura pas montré le texte réglementaire qui justifie cet interdit, je ne changerais rien à mes habitudes (argumentées).

une PE a dit…

Le texte réglementaire existe bel et bien en primaire! Et s'il existe en primaire, il serait logique qu'il existe aussi en secondaire. Cependant, je ne sais pas si c'est le cas.

Arthur a dit…

Bonjour Emmanuel, je profite de cet espace pour te témoigner ma reconnaissance pour ce blog si précieux et absorbant. J'espère que l'on se verra bientôt (peut être en août si t'es dispo)! Moi, je n'ai pas encore fini mon année scolaire, étant donnée qu'ici les philosophes ont peut être moins d'heures en terminale mais ont aussi des élèves plus jeunes à leur charge.... Il fait très (très, très) beau à Valence, tu pourrais venir!!

Emmanuel Mousset a dit…

Bonjour Arthur.

Très heureux d'avoir de tes nouvelles et de savoir que ce blog te plaît. En août, se rencontrer, pourquoi pas. A Beauvais ? Début août, je serai près de Montpellier. C'est loin de Valence ?

Anonyme a dit…

Mr mousset, ça fais longtemps que je ne vous ai pas vu... !!
J'imagine quel plaisir a du ressentir laeticia de vous avoir que pour elle .. !
Même si je me serais dit "si j'avais su j'aurais pas venue" j'aurais kiffé être "THE dernière élève"! enfin...
Juste pour vous dire que j'ai grave kiffé la philo cette année (en espérant que cela porte ses fruits demain)Et je tenais a vous dire au revoir solennellement,
donc voilà "Au revoir Mr mousset"

Emmanuel Mousset a dit…

Au revoir à toi aussi, mais qui es-tu ? Bonne chance et bon courage pour demain.

Anonyme a dit…

Moi je ne fait pzs cours avec un eleves ou deux c est minimum trois et basta

Anonyme a dit…

Avec toutes ces histoire de pedophilie je preffere me mettre le CPE ou le CDE a dos mais je ne ferais pas cours trop risque !

Emmanuel Mousset a dit…

Mon dernier de cours de 2015, il y avait deux élèves. J'ai enseigné une heure. L'heure d'après, il n'y avait plus qu'une seule élève : là, comme vous, j'ai dit "basta !"

Emmanuel Mousset a dit…

La vie consiste à prendre des risques, même pour un enseignant.