mercredi 20 mai 2009

Philo sous écrou.

La prison de Château-Thierry est "familiale", m'avait curieusement dit le responsable au téléphone. Tout ça parce qu'elle renferme environ 80 détenus et que sa vieille bâtisse est en pleine ville. Il n'empêche qu'une prison est une prison et qu'avant d'y entrer, hier après-midi pour la première fois de ma vie, j'avais quelque appréhension. Les murs épais, les barbelés, les traditionnelles fenêtres avec barreaux forment une masse menaçante et impressionnante. J'ai compris alors le pourquoi de l'expression "porte de prison" : quelque chose de froid, d'anonyme et de muet devant lequel vous poireautez avant qu'on vous dise de passer par la petite entrée d'à côté. Une "porte de prison" ne s'ouvre jamais.

J'explique aux gardiens que je viens animer un café philo, je sens que je surprends. On me demande d'abandonner tout ce qui est métallique et de laisser bien sûr ma pièce d'identité. Le responsable des activités culturelles me fait visiter. On a beau avoir vu mille fois l'intérieur d'une prison à la télé, au ciné ou ailleurs, "pour de vrai" comme disent les enfants ça fait un choc. Ce qui me marque, c'est la vétusté des lieux, ce sont surtout ces portes que sans cesse on ouvre et on ferme. L'arme ici, ce n'est pas le pistolet ou le bâton, c'est la clé.

Pour ma première, on m'a conduit dans le quartier des courtes et moyennes peines. Les cellules sont portes ouvertes (les seules à ne pas être fermées !), les détenus ont le droit de se balader dans le couloir. Quand on les croise, on ne peut s'empêcher d'être troublé : ceux qui sont ici ont commis le mal, ont transgressé les lois de la société, sont peut-être prêts à récidiver. De ce point de vue, cette rencontre est unique, ce face à face est édifiant. Mais je répète : j'ai moins été impressionné par les prisonniers que par la prison, par les hommes que par les lieux.

Les détenus portent leur condition sur leur visage, des traits, des regards tendus, une violence dont on sent qu'elle pourrait à se réveiller, ou bien au contraire des faces relâchées, fatiguées. On constate, c'est frappant, que la sérénité n'est pas en eux, qu'ils ont des physiques marqués par la vie. L'un me demande ce qu'est un café philo. Un surveillant, au passage, me dit que c'est une bonne idée.

Nous nous retrouvons à une toute petite dizaine de volontaires (et sélectionnés par l'administration) dans le coin de la prison qui ressemble le moins à une prison, la buanderie, au bout du jardin potager que cultivent quelques prisonniers. Ils sont arrivés en file indienne, accompagnés bien sûr par un surveillant, je serre la main à chacun d'eux, je dis "bonjour monsieur", j'y tiens. J'aurais étrangement moins de respect dans un café philo "normal".

Mais très vite, les murs de la prison sont oubliés et ce café philo devient "normal". Je leur ai expliqué qui j'étais et pourquoi j'étais ici, mon plaisir d'exporter la philosophie dans tout milieu, y compris le leur. Nous sommes partis d'un mot, que j'ai choisi parce qu'il marche bien, auprès de n'importe qui : BONHEUR. Et c'est parti pour une heure ! Le but du jeu, parce que c'est aussi un jeu, est de faire le tour du concept, d'en tirer le maximum de questions, à charge pour chacun de proposer ses réponses.

Ça a très bien fonctionné. La seule différence avec un autre café philo, c'est que le thème de la détention est omniprésent, à tel point que devant le surveillant j'en étais un peu gêné (mais celui-ci m'a dit après que ce n'était pas gênant, qu'au contraire il fallait que certaines pensées "sortent"). Quand j'ai esquissé l'idée que le bonheur c'était peut-être de s'évader, je pensais à la littérature, à l'imagination, au rêve, eux songeaient évidemment à autre chose et on a bien rigolé.

En partant, j'ai à nouveau salué chacun d'une poignée de mains, mais sans rajouter "monsieur", parce qu'au bout d'une heure on se connaissait un peu mieux, on avait lié une complicité (seulement philosophique !), on était sur un pied d'égalité, le titre devenait alors inutile. Je les ai invités à réfléchir à un sujet pour la prochaine fois, et puis toutes les portes se sont refermées derrière moi. Dehors, ça fait un drôle d'effet, presque autant que dedans. La philosophie est capable de tout, même d'aller en prison (Socrate a fini là sa vie). Moi, j'y retournerai dans quinze jours.

2 commentaires:

Jacques Bry, ancien instituteur a dit…

J'ai vécu autrefois une expérience du même genre: une journée dans la prison de Saint-Quentin, requis avec un collègue pour y faire passer le certificat d'étude! Vous décrivez fort bien l'impression ressentie devant la muraille et les portes, surtout lorsque celles-ci se referment derrière vous! Les 4 ou 5 candidats étaient des délinquants "en col blanc" ( escroqueries diverses) Les surveillants nous avaient donné cette information pour nous rassurer, nos "clients" n'affichaient pas un profil dangereux et certains d'entre eux étaient super diplomés, mais le certif manquait à leur palmarès et c'était important, car l'obtention de ce modeste parchemin leur assurait une remise de peine de trois mois! Donc, mon collègue et moi détenions (sans jeu de mot) le pouvoir de liberté anticipée, ce qui ne manquait pas de nous tracasser! Heureusement, nos gaillards étaient à la hauteur et c'est très honnêtement que nous leur avons délivré leur diplôme libérateur. J'ai gardé un souvenir mitigé de cette expérience.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce que je retiens de votre expérience et de la mienne, c'est que la culture, l'enseignement ont toute leur place en prison. Victor Hugo disait qu'ouvrir une école c'était fermer une prison. Je ne suis pas aussi optimiste que lui. Le mal existera toujours et il faut bien le châtier. Mais je suis persuadé qu'une prison doit ressembler à une école si on veut efficacement sortir les détenus de leurs conditions.