jeudi 21 mai 2009

Militant de la philo.


Beaucoup de monde hier soir à Bernot au café philo. Pour un village de 400 habitants, attirer une trentaine de personnes, c'est pas mal du tout ! Je n'y suis d'ailleurs pour rien, tout le travail revient à mon élève Raphaël, à sa mère et au Foyer rural. Non seulement la participation a été forte (aussi bien qu'à Saint-Quentin) mais la séance a été très réussie (ce n'est pas le cas pour tout café philo) : j'ai réussi à installer une ambiance, c'était vif, nerveux, intéressant, marrant, une grande diversité de points de vue, pas de temps morts, bref un café philo comme je les aime.

Sur la photo, assis au sol, vous reconnaissez Raphaël qui porte l'écriteau avec le sujet du jour : "la sincérité existe-elle vraiment ?" Tout au fond, à l'extrême gauche, on aperçoit entre deux visages monsieur le maire. Tout à gauche mais au premier rang, la dame avec un décolleté prononcé, c'est Lise, la "patronne" du café philo de Guise, venue en voisine, mon employeur par intermittence. Derrière, cachée par la dame au chemisier jaune, la maman de Raphaël ne dévoile que son abondante chevelure. Pudeur ou coïncidence ?

Au mur, sur la droite, vous remarquez un oeil : celui de la connaissance et de la sagesse, qui jette un regard bienveillant et protecteur sur nos débats. Au dessus du groupe, un drôle de chapeau géant doit vous intriguer : normal, ceci n'est pas un chapeau géant mais une tasse à café géante, symbole du café philo de Bernot. Au début de mon animation, madame Blanchard, la mère de Raphaël, m'a posé une devinette : je devais chercher dans la salle quelque chose que j'aime bien, mon péché mignon. Devinez quoi ? Quatre chocolats "Mon Chéri", qui se trouvaient à votre avis où ? Sur les bords du chapeau, pardon de la tasse !

Quelques mots sur le déroulement de la séance, quelques mots seulement parce qu'un café philo, c'est comme un bon film ou un bon livre, ça ne se raconte pas. Nous avons devisé sur la sincérité, vaste sujet ! Est-on sincère quand on dit, les yeux dans les yeux, "je t'aime" ? Un camp de naturistes n'est-il pas le seul lieu d'une complète sincérité ? Un homme politique peut-il être sincère, sachant que l'opinion attend de lui des réponses agréables à entendre ? Peut-on être sincère avec soi-même ? Le médecin doit-il tout dire à son malade ... et le conjoint infidèle à sa femme !? L'hypocrisie n'est-elle pas la première des politesses ? La franchise s'apprend t-elle ? Peut-on mentir avec sincérité ? Etc.

Bref, des questions qui ne prennent pas la tête mais qui excitent le cerveau, le tout dans la bonne humeur. Ça vaut une soirée télé, je vous promets ! Et si vous ne me croyez pas, venez voir ... En tout cas, depuis une bonne semaine, j'enchaîne les animations philo. Une stagiaire de l'IUFM, devant lequel j'ai fait un exposé sur la responsabilité (voir le billet du 12 mai), souhaitant que j'organise un goûter philo dans son école, m'a qualifié dans un courriel de "prophète" de la philo. C'est bien sûr exagéré et faux. Je ne suis pas un gourou, je ne m'inscris pas dans une démarche religieuse, je suis foncièrement laïque, rationnel et tolérant. La philo, je comprends très bien qu'on s'en moque, car il n'y a pas que ça dans la vie !

En revanche, je suis persuadé que la philo telle que je la pratique peut apporter quelque chose à une partie de l'humanité, que réfléchir à des sujets fondamentaux est à la fois plaisant et utile dans la vie. Je pense en particulier à cette part de l'humanité qui n'a pas eu accès à la philosophie, qui lui a même été parfois interdite au nom d'une inaccessible rationalité. Ainsi, j'ai fait de la philo avec des pauvres, des enfants, des fous, des handicapés, des taulards. Il me reste tant de territoires à explorer, de cafés philo à monter, chez les vieux, les putes, les militaires, les sportifs, pour ne citer que quelques catégories qui me viennent spontanément à l'esprit et pour lesquelles j'ai des projets. Prophète non, mais militant ou pèlerin de la philo oui.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Un camp de naturisme n’est pas un lieu de complète sincérité, loin de là ! C’est un lieu de liberté, car les individus n’y sont plus enfermés dans leurs vêtements ; d’égalité, car une fois nu personne ne peut deviner votre statut social ; et de tolérance corporelle. Ce n’est pas parce qu’on y affiche la vérité sur son corps, que les pensées sont sincères. Mettre son corps à nu est sûrement beaucoup moins dangereux que mettre son esprit à nu, car la tolérance morale admet une infinité de niveaux. Un corps dénudé ne peut pas mentir sur son image, tandis qu’un esprit qui dit se livrer entièrement peut encore cacher des choses. On ne peut être sincère que lorsqu’on est sûr que les individus qui nous écoutent ou nous voient, ne porteront pas de jugement sur nous, ou que l’on se fiche éperdument du jugement de ces personnes.
Quel genre de sujet proposeriez-vous à des sportifs ? Croyez-vous que les sportifs ne philosophent pas ? Eux ont un avantage sur vous : les sportifs sont en vie, ils rencontrent donc tous les problèmes de la vie que vous abordez dans vos cafés philo, et y réfléchissent pour y répondre. Certes ils ne le font peut-être pas autour d’un café et devant un animateur (ils ont plutôt tendance à choisir une boisson alcoolisée à base de houblon quand ils « refont le monde » en groupe), mais individuellement, eux comme tout être humain essaient à leur manière de répondre à ces questions que la philosophie traite. Par contre, vous qui passez votre temps à philosopher, vous n’êtes pas obligé de faire fonctionner votre corps. Eux jouent sur les deux tableaux. Sauriez-vous être « sportif » autant qu’ils sont « philosophes » ?

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis en gros d'accord avec vous sur la nudité, le corps et l'esprit. De toute façon, nu ou pas, la franchise ne peut jamais être totale. Il me semble cependant que l'homme ou la femme, dans le plus simple appareil, sont moins tentés de jouer, de masquer, de maquiller. Pourquoi à votre avis Adam et Eve étaient-ils nus au Paradis, le premier camp de naturistes au monde ?

Sur les sportifs, je n'ai jamais dit qu'ils ne philosophaient pas, puisque je pense que tout être humain est en capacité de philosopher. C'est même la raison d'être de mes cafés philo.

Vous me dites que les sportifs ont un avantage sur moi : ils sont en vie. Vous supposez donc que je suis mort ! Je crois être moi aussi bien vivant.

Enfin, vous avez manifestement un préjugé sur (et contre) les profs de philo : ils passeraient leur temps à philosopher et ne se serviraient jamais de leur corps ! Un peu comme si moi je disais qu'un sportif ne se sert que de son corps et pas de sa tête !

Savez-vous qu'enseigner la philosophie est pour moi une activité très physique, dans laquelle je me dépense énormément, allant et venant d'un bout à l'autre de ma classe, ne restant jamais pétrifié à mon bureau ?

Je souhaite de tout coeur que vous fassiez un jour la connaissance d'un prof de philo, vous constateriez alors qu'il ne correspond pas à l'image que vous vous en faites.

Anonyme a dit…

Vous vous référez à Adam et Eve ! Je croyais que vous étiez laïc… Peut-être n’avaient-ils tout simplement pas le besoin de lutter contre le froid en utilisant des vêtements.
Je n’ai pas dit que vous étiez mort, mais qu’à partir du moment où on est en vie, sportif ou pas, on était obligé, d’une manière ou d’une autre de philosopher ; alors qu’un philosophe n’est pas obligé de faire du sport. Vous ne pouvez pas dire qu’un sportif ne se sert pas de sa tête, puisque c’est elle qui commande son corps, alors que moi je peux penser que vous ne vous servez que très rarement de votre corps.
Je conçois la marche comme une activité physique.
Vous avez laissé une question en suspens : quel genre de sujet proposeriez-vous à des sportifs ?

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis laïque, ce qui ne m'empêche pas de lire la Bible comme un ouvrage de culture générale, utile pour comprendre les fondements de notre civilisation. Ca n'implique pas de ma part une quelconque foi ou adhésion à la religion.

Autant un sportif a besoin de sa tête, autant un philosophe a besoin de son corps. D'ailleurs, la philosophie antique se préoccupait beaucoup du corps, des désirs, de la diététique.

La différence est peut-être qu'aujourd'hui certains sportifs ont le culte du corps, de la performance, de la compétition, et que cette vision des choses est très contestable. On peut se faire une autre idée, plus sage, plus raisonnable, du sport.

Mon premier café philo à St Quentin, il y a 10 ans, avait pour sujet : le corps est-il mon ami ou mon ennemi ? Comme quoi le corps et le sport peuvent être des objets de préoccupation et de réflexion pour la philosophie.

Je vous propose d'autres sujets qui pourraient intéresser des collègues profs d'EPS:

Le sport conduit-il au culte du corps ?

Le sport nous apprend-il le plaisir ou la souffrance ?

L'activité physique peut-elle se passer des règles du sport ?

Le sport est-il une école d'obéissance ou de libération ?

Y a-t-il une morale dans la pratique sportive ?

Peut-on vivre en oubliant son corps ?

Le spectacle sportif n'abrutit-il pas les masses ?

Je pourrais continuer, je préfère arrêter, car je crois que le meilleur sujet sera celui que les profs d'EPS choisiront eux-même, quitte ensuite à ce que je le reformule un peu plus philosophiquement (c'est ainsi que je procède, en règle générale, quand on me demande un café philo).

Vous remarquerez les questions volontairement mais pas gratuitement ou méchamment provocatrices. Si l'on veut que la réflexion démarre, il faut la "buster", la provoquer.

Anonyme a dit…

Oui, certains sportifs poussent le culte du corps, de la performance et de la compétition à l’extrême. Et alors ? Pourquoi serait-ce contestable, si eux ne veulent retenir que cette partie de leur sport ? Je croyais que vous étiez tolérant… Ceux à qui cela ne convient pas ne sont pas obligés de les suivre.
Pourquoi le sport devrait-il être « sage » et « raisonnable » ?

Pourquoi n’adressez-vous vos sujets qu’aux profs d’E.P.S. ?

Enfin, rapidement, MES réponses si elles vous intéressent :
Pas forcément.
Le plaisir par la souffrance.
Oui.
Les deux mon capitaine.
Sûrement.
Non.
Certaines, si !

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis tolérant, un café philo admet toutes les opinions, mais cela ne me prive pas d'avoir mon point de vue, de m'interroger, d'exercer mon esprit critique.

Dans notre société, le sport est performant et concurrentiel. Pourquoi serait-ce la seule façon de pratiquer le sport ? Il n'est pas interdit de se poser des questions, d'imaginer d'autres pratiques et d'autres conceptions du sport.

Après, comme vous le faites très justement remarquer, chacun fait ce qu'il veut et personne n'est obligé de suivre mon avis ou l'avis de quiconque. Le mieux est encore que chacun se fasse sa propre idée. C'est ça l'objectif d'un café philo.

Il se trouve que je préside une association départementale, la Ligue de l'enseignement, qui regroupe deux fédérations sportives, l'USEP et l'UFOLEP, défendant une conception du sport qui ne se réduit pas au culte du corps, à l'exhibition narcissique de soi, à la performance extrême et à la concurrence brutale.

Vos réponses m'intéressent, elles restent à être argumentées et si possible convaincantes. Avoir des idées est bien, savoir écouter et comprendre celles des autres aussi. C'est ça aussi l'objectif d'un café philo : s'enrichir de l'autre sans nécessairement renoncer à soi.

Anonyme a dit…

Il y a effectivement 10 000 façons de faire du sport. Tout simplement parce que tout le monde n’admet pas la même définition de ce terme.
Vous me demandez d’argumenter mes réponses, je ne suis pas contre, mais si je ne l’ai pas fait c’est parce que cela prendrait beaucoup trop de temps, et donc d’espace sur votre blog !

Emmanuel Mousset a dit…

10 000 je ne sais pas, mais au moins deux : une conception élitiste ("Que le meilleur gagne") et une conception plus conviviale (l'épanouissement de soi). L'une et l'autre sont recevables, je ne porte pas de jugement moral.

Ce que je veux simplement montrer, c'est que le sport a toujours été le produit d'une idéologie. En ce sens, c'est une activité éminemment philosophique qui mérite d'être questionnée, méditée, éventuellement contestée.

Quant à la nécessaire argumentation, ce n'était qu'une remarque, pas une obligation : je sais bien qu'un blog n'est pas le lieu pour une dissertation de 25 pages.

Anonyme a dit…

Bernot est sur le chemin de la philosophie mais surtout d'instants conviviaux et ne compte pas le quitter.
Vivement le 10 juin les voisins n'ont qu'à bien se tenir

Emmanuel Mousset a dit…

Tous les chemins de la philosophie mènent à Bernot !

Pour le prochain café philo sur "voisinage et civisme", quelques formulations possibles :

Les voisins sont-ils mes amis ou mes ennemis ?

Rapports entre voisins, problème de société ?

Bon conjoint, bon parent, bon voisin ?

Bon voisin, bon citoyen ?

Les voisins ont-ils des droits et des devoirs ?

Les voisins sont-ils nécessaires à notre bonheur ?

Aimer son prochain, aimer son voisin ?

A toi de choisir, Raphaël !