lundi 11 mai 2009

Mauvais signes.

Le proviseur-adjoint m'a appris, mais je m'en doutais, que la fin officielle des cours en Terminale aura lieu le vendredi 12 juin, soit six jours avant la première épreuve du bac, la philo. Plus qu'un mois donc : le compte à rebours a commencé. Avec les S et ES, ça va à peu près bien, je maîtrise. La surprise vient de là où elle ne devrait pas venir : les L. La semaine de rentrée, il y avait sept absents. Itou cette semaine. Sur 32, ce n'est pas rien.

Des absents, me direz-vous, ça ne dérange personne. Et puis, ils ont peut-être de bonnes raisons. Peut-être, mais dans mes deux autres classes, il n'y a pas un tel taux de défections. Surtout, les absents donnent le mauvais exemple : si eux se permettent de ne pas être là, pourquoi les autres ne se le permettraient pas ? Ces chaises vides éparpillées ici et là démotivent, démobilisent la classe, comme des trous d'air qui aspirent un avion. Une classe est une unité. Si vous l'affaiblissez, vous affectez toute la classe.

Il y a aussi ces signes de fatigue qui ne trompent pas. Un élève au fond de la classe ferme les yeux. Je jurerais qu'il somnole, tout en restant droit devant sa table. Son corps est figé, les membres ne bougent plus. Il croit sans doute que je ne vois rien. C'est le grand espoir et la grande illusion des élèves. Un enseignant voit tout et n'oublie rien.

Il y a ces élèves qui sourient très légèrement. Et alors, où est le mal ? Le mal non, mais la faute oui. Un élève qui se concentre, écoute ce que je dis, prend des notes, essaie de comprendre, cela se voit sur le visage, comme le nez au milieu de la figure. Cette face-là sera sérieuse, appliquée, tendue, légèrement sombre, mais absolument pas souriante. Ce simple trait de la bouche est un signe d'absence, de négligence, de légèreté. C'est comme si un fidèle souriait pendant la messe, au moment de l'ostentation du Saint-Sacrement. Les mauvais élèves, je ne les reconnais pas à leur travail mais à leur sourire. Ils se condamnent alors sans appel.

Il y a ces regards qui flottent, virevoltent, sont incapables de me regarder, de regarder leur feuille, de regarder leur ouvrage (nous sommes en train d'étudier la Lettre à Ménécée d'Epicure)de regarder quoi que ce soit. Il y a ces têtes qui bougent, comme celles des chiens artificiels à l'arrière des voitures. Il y a ces corps qui n'arrivent pas à rester fermes sur leur chaise, qui devraient être des statues et se délitent en pâte à modeler. Il y a ces élèves qui ne sont pas assis droits devant leur table mais installés de biais, échappant ainsi à leur travail pour s'ouvrir à toutes les sollicitations de la classe. Il y a ces murmures qui viennent d'on ne sait où, de partout et de nulle part, qui ne sont même pas de francs bavardages facilement repérables mais une sourde protestation de fin d'année. La classe mugit comme une bête qui souffle son sang.

Il y a le pompon, à quinze minutes de la libération, le coup de grâce : cette élève qui lance avec désinvolture un stylo à un camarade deux tables plus loin. Elle fait ça comme si elle était chez elle (le ferait-elle d'ailleurs ?), comme si les autres alentours n'existaient pas. Je la reprends et je reprends l'ensemble de la classe, qui est en train de s'égarer alors qu'il nous reste un mois de vie commune.

Une classe qui se relâche, ce n'est pas des esprits qui abdiquent, ce qui ne se voit ni ne se sent. Mais ce sont des corps qui échappent à la discipline, s'ensauvagent. Et ça, le professeur ne le constate pas, il le vit, le subit, en souffre comme d'une agression. C'est son métier d'y mettre bon ordre, de rétablir la discipline, de réinstaurer la norme. Il faut que la rivière regagne son lit.

14 commentaires:

Anonyme a dit…

Normal qu'il y était autant d'absents, il y avait le voyage en Italie la semaine de la rentrée.

Emmanuel Mousset a dit…

Sauf que nous ne sommes plus dans la semaine de la rentrée et qu'il y a toujours autant d'absents. Et pour le voyage en Italie, aucun élève ne m'a prévenu.

Anonyme a dit…

Il fallait lire la feuille dans la salle des profs.

Emmanuel Mousset a dit…

Rechercher une info en salle des profs, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Les murs sont remplis de feuilles et d'infos de tous ordres ! Même dans nos casiers, c'est parfois la surdose ...

Anonyme a dit…

Évidement si l'imminent professeur n'a pas à se renseigner et à lire les informations qu'on lui communique... Inutile de préciser qu'un élève ne serait pas pardonner.

Anonyme a dit…

dans ce cas là, si on est pas capable de regarder des informations, on ne fait pas le métier de professeur, ce ne sont pas les élèves qui doivent faire votre boulot à votre place ! et TOC !

Emmanuel Mousset a dit…

A l'avant-dernier commentaire, je réponds que je lis toujours les informations qu'on me communique. Sauf que là, on ne m'a rien communiqué !

Au dernier commentaire, je réponds que pour regarder, il faut voir, et dans la salle des profs, je ne vois qu'un fatras d'informations où le regard de n'importe qui se perd très rapidement. Et TOC !

Anonyme a dit…

Quand on veut se trouver des excuses... quelle mauvaise foi !

Emmanuel Mousset a dit…

Une explication n'est pas une excuse. Prouvez-moi que mon explication n'est pas valable ? Vous n'y arriverez pas ! Quand des élèves sont absents, il faut prévenir directement l'enseignant. Et puis, rien n'empêche les élèves présents d'intervenir et de parler pour leurs camarades.

Sur la "mauvaise foi" : Sartre en fait une analyse très intéressante.

Arthur Nouaillat a dit…

"Et toc", pas un peu ridicule et pathétique de dire ça ? ..

Emmanuel Mousset a dit…

Tout dépend de quel TOC vous parlez. Le mien est une légitime riposte.

Arthur Nouaillat a dit…

Oui je sais je l'avais remarqué.

Anonyme a dit…

et TOC, c'est branché de dire ça , Emmanuel, tu devrais être In depuis le temps que tu exerces cette profession !

Emmanuel Mousset a dit…

L'expression me paraît plutôt avoir vieillie. Je ne suis pas "in" (ça, c'est les années 70), ni "dans le coup" (années 50) ou "à la mode" (années 60). Je suis "tendance".