samedi 11 avril 2009

Salauds de pauvres?

"Salauds de pauvres!" Vous vous souvenez de cette apostrophe de Jean Gabin dans le film de Claude Autant-Lara La Traversée de Paris, d'après une nouvelle de Marcel Aymé. Cette formule nous est restée pour son scandale: un pauvre, parce qu'il est pauvre, ne doit pas être traité de salaud. Le riche, c'est différent: il est puissant, détient des responsabilités, l'argent peut le corrompre... La "saloperie" est plus de son côté que de celui du pauvre. Notre culture chrétienne et humaniste accepte difficilement qu'on insulte celui-ci.

Je me faisais cette réflexion, et bien d'autres, en animant hier soir à Wassigny un café philo proposé par Manuel et son association L'Entente du Gué de l'Oise. Nous étions invités par Jérôme à deviser sur le thème "Les spirales de la misère", dans la belle salle de la mairie, joli lustre, parquet ciré et petites tables de jardin pour recevoir les participants. Raphaël, du café philo de Bernot, était là aussi, en presque voisin. La Thiérache va-t-elle ainsi tisser toute une toile philosophique sur ses villages?

Salauds de pauvres? Malgré l'opprobre qui pèse sur cette expression et l'idée qu'elle recouvre, je me suis demandé si elle ne rencontrait pas l'acquiescement discret et complice d'une partie de l'opinion, aussi choquant qu'il puisse paraître. C'est en tout cas l'impression que j'ai eue dans un premier temps de nos échanges. Quelques préjugés profonds et tenaces sont ressortis:

- Le pauvre préfère acheter le téléphone portable dernier cri ou le téléviseur à écran plasma plutôt que de nourrir correctement ses enfants.

- Le vrai pauvre ne se plaint pas, il a sa fierté pour lui (ce qui sous-entend, en gros, qu'un pauvre doit fermer sa gueule).

- Le faux pauvre peut cacher un vrai riche (plein de fric qu'il nous dissimule pour qu'on s'apitoie sur lui).

- Le pauvre est un paresseux qu'il faut secouer.

Il a manqué cette remarque, que vous avez sûrement déjà entendu comme moi: les pauvres font beaucoup d'enfants pour toucher les allocations familiales.

Attention: le débat entre nous ne s'est pas réduit à ça (encore heureux!), mais ces idées, parfois formulées moins clairement que je ne viens de vous les rédiger, étaient bel et bien présentes. L'intéressant, c'est qu'au fil des points de vue contradictoires (car les pauvres ont eu aussi leurs défenseurs, dont moi!), les réflexions ont évolué, les avis ont été moins tranchés, bref la pensée a fait son oeuvre dans l'esprit de chacun.

J'avoue m'être parfois départi de mon rôle neutre d'animateur de café philo pour redevenir le militant engagé qui sommeille toujours en moi. Il faut dire que le sujet poussait au crime. Mais je n'ai imposé, règle d'or du café philo, aucune conclusion, aucun message social, politique ou moral. C'est à chacun de faire ce travail, et de garder ses préjugés s'il en a envie. J'ai cependant la faiblesse de croire que ceux-ci résistent mal, du moins provisoirement, au feu d'une réflexion contradictoire.

C'est ça aussi la fonction, quasi cathartique, du café philo: libérer les préjugés pour les soumettre à rude épreuve et pour peut-être s'en libérer. Je ne vois pas en tout cas d'autres moyens pour y mettre fin. Les leçons de morale, l'enseignement scolaire sont, nous le savons bien, entièrement vains. On ne pense qu'en toute liberté, et en prenant les risques de la liberté.

Salauds de pauvres? Méfions-nous avant de tomber dans cette facilité. Car on est toujours le pauvre de quelqu'un d'autre. On a oublié que Gabin interpellait de cette façon non des miséreux mais un couple de bistrotiers. Préjugé pour préjugé, "salauds de riches" me semble moralement préférable. Eux au moins ne souffrent pas trop qu'on les qualifie ainsi.

2 commentaires:

dussart christian a dit…

Salaud de pauvres: gabin s'adressant aux couples de bistrotier,leur en veut deleur pauvrete intellectuelle,de cette misere qui rend l'homme plus ignoble dans ses rapport humains. Dans leur cas ils exploitent une jeune juive et font regner leur ordre sous couvert de la presence ennemi.il y a du Zola dans ces propos..quand aux salauds de riches, on est toujours le riche de quelqu,un...

Anonyme a dit…

la misere corromps également les esprits, il n'y a qu'a voir l'avancée du vote FN chez les pauvres...