mardi 21 avril 2009

Le sourire d'Anne.

J'avais hier soir Ciné Philo, sur le thème de la réinsertion après la prison, avec la projection d'un film assez lourd, Boy A, de John Crowley. Peu d'élèves de mon lycée étaient présents, qui ont pourtant droit à trente places gratuites. Mais c'est les vacances, et les lycéens préfèrent sans doute aller voir OSS 117 (comme moi ce soir!). Camille, Mallory et Quentin, trois de mes Littéraires, étaient tout de même là.

Pour cette séance, nous avions une invitée. Je me dis de plus en plus que c'est une bonne idée que de faire appel à un témoin pour éclairer le film, même s'il n'est pas toujours facile à trouver. Cette fois, c'était une conseillère d'insertion et de probation du SPIP (Service pénitentiaire d'insertion et de probation), Anne. Elle est jeune, un peu stressée, peu habituée à affronter un public (parce qu'un public, ça s'affronte!). Je l'ai rassurée: les participants, ce soir 53 spectateurs, sont plutôt bienveillants. Mais on ne sait jamais comment un débat peut tourner, même si je maîtrise assez bien.

Problème technique comme il en arrive souvent: il n'y a qu'un seul micro. Ce qui m'oblige à courir d'un bout à l'autre de la salle de cinéma. Ce n'est pas trop ça qui est gênant, mais le fait qu'en prenant plusieurs interventions à la suite (trois ou quatre), Anne ne se souvient pas nécessairement de toutes les questions qu'on lui a posées. Et moi non plus!

Sinon, tout s'est très bien passé. Comme pour chaque Ciné Philo, une fois le film terminé et la lumière revenue, il est difficile de sortir de sa torpeur, surtout quand ce qu'on vient de voir vous a donné un coup de poing à l'estomac. Les débuts sont donc hésitants, les prises de parole peinent à se manifester. Le fait que je doive me déplacer pour distribuer le micro, même si ça ne prend qu'une quinzaine de secondes, cela suffit à provoquer des interventions sauvages, hors sonorisation, qui font qu'on ne les entend pas... Mais c'est l'indispensable tour de chauffe. Un débat se règle comme n'importe quelle mécanique.

Il a été question de l'inhumanité de la prison, de sa nécessité face au Mal, du parfois démagogique droit des victimes, d'une société plus portée aujourd'hui à punir qu'à réinsérer. Anne s'est très bien débrouillée, malgré sa gêne du début. A la fin, j'ai vu dans son sourire qu'elle avait aimé. Car la confrontation avec le public s'est transformée en une sorte de communion, où elle a pu livrer ce qui lui tenait à coeur. Elle a aussi constaté, par les questions posées, qu'on s'intéressait à son métier, pas très bien connu. Je crois que ça lui a fait du bien. Voilà le miracle de mes débats philo: amener chacun à se livrer et donc à se libérer, par l'échange.

Et puis, pour elle, c'est l'occasion de sortir de la dimension purement administrative de son métier, c'est lui redonner un sens qui s'estompe parfois dans la routine professionnelle. Quand je lui ai demandé, en dernière question, si une société idéale conserverait un système pénitentiaire, elle a compris, et elle me l'a dit ce matin au téléphone, que nous étions entrés dans une autre dimension, proprement philosophique.

Sa réponse: non, à part pour une minorité, la prison est la plus mauvaise solution, la réinsertion au sein de la société reste le moyen le plus efficace. Philosopher, c'est prendre conscience de ce qu'on est et de ce qu'on fait. Réfléchir, au sens propre, c'est refléter, regarder dans le miroir. Ce n'est pas facile mais ça fait beaucoup de bien. C'est ce que me disait le sourire d'Anne.

15 commentaires:

l'anonyme révolté a dit…

et si Monsieur Mousset devait choisir trois films, les trois meilleurs qu'il ait vu durant sa vie, lesquels seraient-ils?

Emmanuel Mousset a dit…

Question très difficile. Il faudrait que je réfléchisse et je suppose que vous souhaitez une réponse immédiate. Je me lance donc:

- "La grande illusion", de Jean Renoir.
- "Le septième sceau", de Bergman.
- "Casanova", de Fellini.

l'anonyme révolté a dit…

non, vous pouvez prendre votre temps, après tout si l'on vit jusqu'à 170 ans, vous aurez tout le temps de me répondre.

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, mais un accident est si vite arrivé. L'allongement de la durée de vie n'est pas une assurance tout risque contre la mort.

l'anonyme révolté a dit…

et si on vivait éternellement?

Emmanuel Mousset a dit…

Demandez à Dieu ce qu'il en pense.

l'anonyme révolté a dit…

je n'ai ni Dieu, ni maître, pour reprendre la devise des anarchistes.
allez le lui demander.

l'anonyme révolté a dit…

à quoi bon rajouter des entraves à la vie, surtout quand cette entrave s'appelle Dieu et interdit tout plaisir.
je prône le respect de ce qui croit, mais, je suis comme ce bon Saint Thomas ( bizarrement c'est un religieux ), je ne crois que ce que je vois.
et je n'ai toujours pas vu la réussite du PS, peut-être suis-je devenue aveugle ?

Emmanuel Mousset a dit…

Le comportement de saint Thomas est très contestable: il lui suffit de voir et de toucher pour croire. Moi je préfère réfléchir.

l'anonyme révolté a dit…

mais la réflexion seule permet-elle de croire quelque chose?
n'avons nous pas besoin d'autre chose pour croire ?

Emmanuel Mousset a dit…

D'accord avec vous. Tout dépend ensuite la part qu'on accorde à la foi et à la raison. Tout dépend aussi de quelle croyance on parle: la confiance est une foi rationnelle envers quelqu'un, la foi religieuse n'a rien de rationnel.

l'anonyme révolté a dit…

sur ces belles paroles, je n'ai qu'une réponse à vous donner: AMEN

Emmanuel Mousset a dit…

Attention : ni politique, ni religion sur "Prof Story", uniquement de la réflexion !

l'anonyme révolté a dit…

ne voyez dans mon précédent commentaire que de l'ironie de ma part, je n'inciterai personne à aller à la messe ni à boire mes paroles en guise de sang du christ.

La religion rend-il l'homme aveugle ?
est-elle, ce que Marx appelle "l'opium du peuple" ?
d'ailleurs, l'opium du peuple, ce serait-ce pas toute croyance, tout acte de croire en quelque chose ?
le fait de croire, ne rendrait-il pas l'homme faible?

Emmanuel Mousset a dit…

Bonnes questions, à vous de tenter d'y répondre.