dimanche 5 avril 2009

Histoire de feignasse.

Vendredi, avec mes Littéraires, j'ai poursuivi l'opération "Carte de la Fraternité". Vous vous souvenez? Les élèves commentent une photo en rédigeant au verso un texte libre, les meilleurs sont sélectionnés et lus durant la journée contre le racisme et les discriminations. La suite, c'est que les cartes sont échangées avec d'autres élèves, d'autres classes, parfois d'autres établissements, il y a donc des réponses.

J'ai demandé à mes élèves de TL2 de répondre aux 6èmes 1 et 2. C'est intéressant d'établir un pont entre les âges. Ce petit exercice sympa, auquel les élèves aiment généralement à se plier, n'a duré que 20 minutes, en fin de séance. Il faut dire aussi que nous venions de terminer le cours sur la pensée de Karl Marx, qui a duré près de cinq heures! Une petite "récréation" n'était pas imméritée.

J'ai bien précisé à mes élèves de se mettre à la portée de leurs jeunes camarades, de soigner ce travail (car cela reste un travail, même s'il est distrayant). Je leur ai précisé que les collégiens seraient heureux de recevoir ainsi leur témoignage, six ans avant de rejoindre eux-mêmes les bancs de la Terminale. J'ai insisté, car les exercices les plus simples ne sont pas toujours les mieux compris. Mais là, pas de problème (du moins le croyais-je), la rédaction des cartes s'est faite dans la bonne humeur et une certaine motivation. Ne sont-ce pas dans ces suspensions de cours qu'on juge l'état d'esprit d'une classe?

Moi-même, j'avais baissé la garde, étant un peu moins vigilant sur ce que faisaient les élèves. Petite faiblesse professionnelle, sans doute. C'est le dernier jour de la semaine, il ne me reste plus que quelques minutes de cours, mon esprit est toujours empêché par la grippe, je me relâche, je plaisante, je fais moins attention... et je frôle du coup l'incident, qui aurait pu être grave .

A quelques secondes de la sonnerie qui libère tout le monde, je ramasse les cartes, que je ne relis pas, accordant ma confiance aux élèves. Et puis, je veux que les 6èmes aient leurs réponses dès ce matin. Sauf qu'en reprenant les textes, mon regard parcourt vaguement certains d'entre eux. C'est un réflexe et une curiosité: quand un prof prend le travail d'un élève, il ne peut s'empêcher de regarder.

Je tombe alors, en bas d'une carte, sur un mot qui me fait sursauter: feignasse...! Ce n'est pas un mot, c'est une insulte. Je lis du coup le message de mon élève à une petite fille de 6ème, c'est hallucinant: la petite fille n'a écrit qu'une phrase de commentaire, mon élève le lui fait remarquer, lui reproche de n'en avoir pas fait assez et termine par le mot qui m'a fait sursauter. Je réagis au quart de tour, piqué à la foi par ma négligence, l'abus de confiance et l'insolence de l'élève: "Et si je disais que tu étais un sale con, est-ce que tu serais content?"

Imaginez un peu: j'ai failli ne pas voir l'incident venir, j'aurai pu le laisser passer, la petite fille aurait eu et lu sa carte, montrée à sa prof, avec un joli petit scandale à la clé. Pour peu que les parents s'en mêlent et c'était le bazar total. Le métier d'enseignant est dangereux, une petite étincelle de rien du tout peut mettre le feu aux poudres.

Cette histoire de feignasse, comme toutes les histoires, a une moralité. Celui qui s'est permis cette insulte, quel élève est-il? Il a des moyennes à faire peur! La feignasse, vraie de vraie, c'est lui! "C'est celui qui l'dit qui y'est", s'exclame la sagesse des enfants. L'être humain a la fâcheuse tendance de projeter sur les autres son propre cas. Et moi, idiot que je suis, il faudra la prochaine fois que je fasse plus attention. Avec les élèves, il faut tout surveiller, tout contrôler, surtout quand on a l'impression que ce n'est pas nécessaire.

5 commentaires:

Poisson d'avril a dit…

(J'utilise ce pseudonyme car vous me l'avez suggéré, aucun lien avec mon message)

Je suis surpris de voir qu'un élève peut écrire des mots pareils lorsqu'il sait qu'il s'adresse à un enfant.
Je ne sais pas exactement en quoi consiste l'image de ces cartes, mais d'après moi, ça n'est pas un exercice facile pour un élève de 6e que de rédiger un commentaire.

J'espère que, pour la prochaine dissert de l'élève, vous allez écrire "feignasse" en gros sur sa copie si elle fait moi de 8 pages! haha ;)

Emmanuel Mousset a dit…

Les images sont en effet pas évidentes à commenter, ce sont des photos qui suggèrent des situations de discrimination, mais il faut une réflexion personnelle pour en tirer quelque chose.

Je n'insulte pas les élèves dans l'appréciation d'une copie, même s'il peut m'arriver, dans le feu de la colère, d'avoir des jugements très durs à l'oral.

Anonyme a dit…

"On voit toujours la paille qui est dans l'oeil de son voisin mais pas la poutre qui est dans le sien"
En ce qui concerne les jugements insultants, je suis totalement contre (surtout si l'élève est susceptible). J'ai moi-même un prof de philo qui est, disons, "trop franc" dans ses jugements. Il n'hésite pas à traiter un élève de con s'il le pense. Si si, c'est même arrivé plusieurs fois cette année: bonjour les polémiques!
Quoiqu'il en soit, insulter un élève ne lui servira jamais à grand-chose, à part peut-être à l'humilier et à lui faire perdre confiance en lui... ce qui n'est normalement pas le boulot d'un prof.

(au fait, c'est moi le poisson d'avril! quel pseudonyme vais-je bien pouvoir trouver maintenant...?)

Emmanuel Mousset a dit…

D'accord avec vous, un prof n'a pas à insulter un élève. Sauf que dans mon histoire, c'est un élève qui en insulte un autre. Ne faut-il pas lui faire comprendre que c'est inacceptable?

Anonyme a dit…

Si, bien sûr. Je trouve d'ailleurs cette personne très méprisante vis-à-vis de sa "camarade". Malheureusement on voit de ça tous les jours; il suffit de regarder, au collège, comment les "grands troisièmes" traitent les "petits sixièmes". Et certains gardent cette mentalité par la suite. Ils devraient pourtant se souvenir qu'eux aussi, ils sont passés par là...