lundi 2 mars 2009

Gran Torino.

Je suis allé ce soir au cinéma voir le dernier Eastwood, "Gran Torino", dans un but précis: utiliser éventuellement ce film dans le cadre de la Semaine contre le racisme et les discrimination, que j'organise depuis une douzaine d'années dans mon établissement. Au départ, c'était une modeste table que j'avais installée dans le CDI, et quelques livres, essais et romans sur le sujet, que j'avais sortis des rayons.

Et puis, l'opération a pris de l'ampleur, avec un film pour les scolaires et diverses activités autour, jusqu'à la célébration officielle de la Journée mondiale contre le racisme, chaque 21 mars. Le film, ça fait bien dix ans qu'on le propose. Mais les idées s'épuisent. Il faut dire que c'est une gageure de trouver un titre qui convient aux écoles, collèges et lycées, pas trop long, sans sexe, sans violence, compréhensible par tous les élèves et pédagogiquement exploitable.

Cette année, je sèche. Et surtout, je manque d'animateurs pour se charger du travail. Quand j'utilise la salle de projection de mon lycée, qui ne contient que 100 places, ça mobilise plusieurs séances. Une année, nous avons eu plus de 1 000 élèves, essentiellement de l'école primaire. Si je choisis de réserver une salle au multiplexe, une journée suffit, avec deux séances, matin et après-midi.

Reste la sélection du film. Quand j'ai vu que "Gran Torino" allait passer, je me suis dit: pourquoi pas? Ce soir, de retour du cinéma, je me dis plutôt: trop difficile! C'est un beau et riche film, avec en son coeur les problèmes de l'immigration asiatique aux Etats-Unis, les tensions entre les différentes communautés, l'incompréhension entre les cultures, les réactions racistes.

Mais la forme, le style, limpides pour des adultes, ne sont pas si évidents pour des jeunes, et encore moins pour des enfants. Il n'est pas certain que ceux-ci ne se contentent pas du premier degré, une histoire assez violente. Il n'est même pas certain que des élèves ne commettent pas des contresens sur les blagues racistes que s'envoient les personnages, qu'il faut prendre avec distance.

Bref, "Gran Torino" ne serait exploitable qu'à travers une forte préparation pédagogique, en amont et en aval de la projection, un investissement important des enseignants. Sinon, la richesse du film sera appauvrie par le regard de pur spectateur de l'élève, sa complexité sera transformée, par ce même regard, en caricature, en facilité.

Tout cela pose le problème plus général de l'exploitation de l'image. Certains enseignants s'y refusent, reléguant le cinéma à une distraction sans vertu pédagogique. Je ne suis pas loin de penser que tout peut être pédagogique, pourvu que le pédagogue soit là et qu'il en maîtrise le sens. A tel point que les erreurs de l'élève sont parfois plus pédagogiques que ses réussites (à condition de ne pas en abuser!).

La première difficulté, comme souvent, c'est de vaincre l'habitude, le préjugé: l'élève hors de sa classe, et plus encore dans une salle de cinéma, a le sentiment qu'il n'est plus dans un cadre scolaire, qu'il n'a plus affaire à un travail, que vient de s'ouvrir pour lui en quelque sorte une récréation, une parenthèse, une suspension du cours. L'enseignement par l'image est plus difficile, plus exigeant que par la parole ou par le livre, parce l'image est immédiatement associée à un loisir. Mais l'école n'est-elle pas là pour faire mentir les idées fausses et amener l'élève à travailler, quel que soit le support de ce travail?

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