mardi 31 mars 2009

La petite croix.

La grippe chopée au Père Lachaise (ou avant) gagne du terrain. Après la voix puis le corps, c'est mon outil de travail qui a été atteint aujourd'hui, c'est à dire le cerveau. Que les élèves qui lisent ce blog ne se fassent aucune illusion: ils auront droit demain dès 8h00 à mon cerveau en classe (et ce qui suit). Depuis 16 ans de métier, je n'ai jamais été absent pour cause de maladie, même quand j'étais malade.

Hier, mon cerveau a justement été mis à rude épreuve psychologique, sans que la grippe y soit directement pour quelque chose. Je devais remplir sur internet les feuilles d'orientation des élèves, qui résument d'abord leurs deux premiers trimestres en philo et dans chaque matière, qui valident ensuite leurs voeux d'études pour l'an prochain, déjà examinés lors du dernier conseil de classe. Ça m'a pris trois bonnes heures.

Au bout de chaque voeu (fac, prépa, BTS, IUT, école spécialisée ou autres), il y a quatre cases que je dois remplir en tant que prof principal, en apposant une petite croix dans l'une d'entre elle:s très favorable, favorable, réservé, défavorable, voilà le dilemme. Bien sûr, il a déjà été discuté et tranché collectivement en conseil, mais là, quand je griffonne la petite croix, c'est irréversible.

C'est dans de pareils moments qu'on sent, j'ai presque envie de dire qu'on souffre d'avoir à juger. La partie la plus difficile du métier d'enseignant, c'est pour moi celle-là. Bien sûr c'est l'élève qui propose, qui décide, mais la petite croix sera vue dans les administrations scolaires ou universitaires, et c'est à partir de là que la sélection se fera.

Pour les bons élèves, pas de problème, je fais la croix les yeux fermés. Pour les paresseux et les mauvais, même chose, en me disant cependant: que c'est dommage! Je me revois en début d'année, disant aux uns et aux autres de veiller à bien travailler, d'adopter une attitude sérieuse, de mettre toutes les chances de leur côté, surtout lorsqu'ils n'en ont pas beaucoup. Mais pour certains, c'est peine perdue: la petite croix qui va leur interdire l'accès à telle formation (du moins ne pas la favoriser) est déjà inscrite sur leur front, tel un stigmate.

Je ne les plains pas, je les ai prévenus, ils l'ont voulu, je me demande même parfois s'ils ne l'ont pas cherché (il y a chez certains élèves une forme de suicide pédagogique qui se repère très vite et contre lequel on ne peut pas grand-chose). Toujours est-il que cette petite croix, même pour ceux qui l'ont amplement méritée, j'ai du mal à la loger dans sa petite case. Sous le prof principal, il y a le prof de philo qui résiste et qui se dit qu'on ne devrait jamais juger personne. Moi, en tout cas, j'y parviens difficilement, je recherche spontanément les circonstances atténuantes.

Le plus étrange, c'est que si j'ai beaucoup de mal à juger (car ça revient un peu à décider du destin de quelqu'un), j'accepte volontiers, avec plaisir même, d'être jugé par les autres. Examens, concours, devoirs à rendre, tout cela m'a toujours beaucoup plu, j'aime et je trouve utile pour moi, pour progresser, ces mises à l'épreuve. Juger non, mais être jugé oui! Pas mal de gens réagiraient en sens inverse. Allez y comprendre quelque chose!

lundi 30 mars 2009

Bastille et Lachaise.

Après l'album photo hier, le récit aujourd'hui de notre sortie dominicale à Paris avec les élèves, comme promis.

Tout a commencé à 7h00, dans la nuit, devant la loge du lycée. Sauf que certains ont compris 7h30 et sont arrivés une fois le car parti! Une histoire dingue: au départ, il y a 15 jours, nous avions annoncé en effet 7h30. Et puis, pour mieux utiliser la journée, nous avons avancé à 7h00, en prenant soin de prévenir tous les inscrits. Je l'ai fait, la Vie Scolaire m'a assuré l'avoir fait, et 36 élèves, tous à peu près présents à 7h00, l'ont bien compris ainsi. Qu'est-ce qui s'est passé pour quelques autres? J'en sais rien, je suis vraiment désolé, pour eux et leurs parents.

Arrivé à 9h10 place de la Bastille, une accompagnatrice, Jacqueline, la soixantaine, se casse la gueule en descendant du car. Pas très grave, mais tout de même un oeuf de pigeon au front et deux doigts en sang. Vincent Savelli, le CPE, nous fait visiter à un pas quasi militaire le quartier du Marais et ses hôtels particuliers. Nous poussons jusqu'à l'Hôtel de Ville de Paris, c'est vous dire.

10h30, retour à la Bastille, pour s'installer dans le Café des Phares, où se tient la séance du premier café philo créé au monde (en 1992). L'animateur, c'est mon copain Gunter. Il a été très chic en choisissant un sujet de débat proposé par une de mes élèves, Harmonie: Pourquoi vivre si c'est pour mourir un jour? Gunter a réussi un truc assez balaise: demeurer profond tout en restant à la portée des élèves. Très belle animation, à me rendre jaloux!

Harmonie est en S, tout comme sa copine Mélanie, toutes les deux intervenant assez souvent pendant ce café philo. Alors qu'en classe, elles ne parlent pas tellement, et pas aussi bien. Preuve que mon enseignement rencontre des limites, que certains élèves se révèlent plus facilement dans un autre cadre. C'est terrible pour moi et réjouissant pour elles!

Gunter Gorhan me présente à l'assistance comme "prof de philo à Saint-Quentin". Je n'aime pas trop ça, je suis enfermé dans un rôle qui m'oblige à jouer au "prof de philo", et donc inévitablement à décevoir ou à faussement plaire. Dans un café philo, seule la parole des uns et des autres devraient compter, sans qu'on connaisse leur identité, cursus ou profession. Gunter lui même n'est pas philosophe de métier, et c'est très bien comme ça. Salut l'ami, au 16 avril, à Saint-Quentin!

L'après-midi, c'était la visite du Père Lachaise, trois heures de promenade dans le passé, entre les tombes. On a croisé beaucoup de morts célèbres, et même un vivant, le chanteur Cali! Jacqueline, dont l'oeuf de pigeon était devenu entre temps un oeuf de poule, nous a fait chantés, donnant la mesure de son doigt ensanglanté. Bizet a eu droit à sa Carmen, L'amour est enfant de Bohème et caetera. Le pauvre a dû se retourner dans sa tombe.

Après Carmen, Camille, mon élève de L, a déclamé quelques poèmes follement romantiques: Nerval, Musset, Apollinaire... J'ai même vu une statue pleurer. Moi, je me suis transformé en tribun républicain. Devant la tombe de Balzac, je suis devenu Hugo célébrant La Comédie humaine, et face à Michelet, j'ai proclamé La prise de la Bastille. Sauf que j'ai commencé en ténor du barreau et terminé HS, comme un vieux disque rayé (j'ai choppé une sale grippe qui enroue).

A la fin du parcours, avant de s'incliner devant le gisant de Victor Noir, j'ai demandé aux moins de 18 ans de s'écarter. Il me fallait montrer l'entrejambe de pierre et sa protubérance, usée non par les siècles mais le frottement des femmes stériles à l'endroit de la fécondation. Il paraît que ça vaut guérison. Étant fonctionnaire et ne voulant pas risquer l'accusation de lubricité, vous comprenez ma prudence. C'est là où j'ai constaté que tous les élèves de cette journée avaient curieusement au moins 18 ans.

A 19h40, nous étions de retour au lycée. Une dernière photo devant le car, pour la presse, et arrivé chez moi, il était pile temps de regarder Zorro. Je n'aurais jamais cru pouvoir le faire. A l'année prochaine au Père Lachaise!

dimanche 29 mars 2009

Super journée.

Super journée à Paris, avec une quarantaine d'élèves. Je vous livre aujourd'hui les photos, et demain le récit.

Le groupe d'élèves et leurs accompagnateurs au grand complet. Nous avons fière allure, n'est-ce pas?

En pleine action devant la tombe de Bizet, où nous nous apprêtons à entonner à pleins poumons "Carmen".

Juste avant d'entrer dans le Café des Phares, place de la Bastille, premier café philo créé au monde.

Quartier du Marais, commentaires savants devant un hôtel particulier.



samedi 28 mars 2009

La liste d'or.

J'ai envoyé à la Bibliothèque Départementale de l'Aisne la "bibliographie philosophique de base" (c'est ainsi que je l'ai intitulée) qu'on m'avait demandée (voir le billet "Les quatre"). C'est un peu ma liste d'or, les classiques de la philosophie relativement accessibles au grand public. C'est pourquoi certains chefs d'oeuvre particulièrement abscons n'y figurent pas. J'ai distribué cette liste à mes Littéraires. Ils pourront en faire bon usage quand ils seront sur la plage, en août, le bac en poche et les contraires du bachotage oubliées. Et si en plus ils en profitent pour penser à moi...!

Voilà ma liste d'or, que du lourd, comme on dit aujourd'hui, mais souvent assez léger à lire. J'ai retenu les grands, et à la fin un ouvrage d'histoire de la philosophie. 24 titres en tout, la bibliothèque de l'honnête philosophe:

Platon, Premiers Dialogues
Banquet
République
Phédon
Aristote, Ethique à Nicomaque
Epicure, Lettre à Ménécée
Epictète, Manuel
Sénèque, De la tranquillité de l'âme
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même
Lucrèce, De la Nature

Pascal, Pensées
Descartes, Discours de la méthode
Kant, Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique
Qu'est-ce que les Lumières?
Rousseau, Le Contrat social
De l'inégalité parmi les hommes

Hegel, La Raison dans l'Histoire
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
Par delà le bien et le mal
Marx, Manifeste du Parti communiste
Freud, Introduction à la psychanalyse
L'interprétation des rêves
Sartre, L'existentialisme est un humanisme
Alain, Propos

Godin, La philosophie pour les nuls

Bonne lecture!

vendredi 27 mars 2009

Savants et philosophes.

Ce soir, dans l'arrière-salle d'un café de Saint-Quentin, nous avons eu droit à un cours sur Darwin (c'est le bicentenaire de sa naissance), administré par un charmant monsieur d'âge respectable, ancien médecin. Un tableau noir au milieu, des illustrations sur les murs, photos du grand savant, dessins d'animaux, schémas arborescents, la science était au rendez-vous. Notre ami, longue baguette à la main, montrait, expliquait, questionnait. Je suis redevenu élève, c'est ce qui peut arriver de mieux à un prof.

Un beau moment d'éducation populaire. Il ne manquait plus que des bocaux enfermant des spécimens et un squelette dans un coin pour reconstituer un cabinet de curiosités. Maurice, professeur d'un soir, met de la drôlerie dans son exposé, même un petit grain de folie, entre Nimbus et Tournesol. L'enseignement de la science n'est pas chose facile. C'était ce soir très réussi.

Réussirai-je aussi bien avec mes élèves, en leur présentant un autre savant, qui lui aussi a bouleversé son temps, Sigmund Freud? C'est ce que je suis en train de faire en ce moment devant mes classes, pour illustrer la notion de la semaine, l'inconscient. A la différence des autres notions, celle-ci se passe mal d'une référence à la psychanalyse, la science qui a théorisé l'inconscient. Je me sens donc le devoir de lui consacrer un cours entier, une séance d'environ quatre-cinq heures. Et puis, avec Marx, Freud est le penseur qui a le plus influencé notre temps. Je m'en voudrais de laisser mes élèves sans leur en toucher un mot.

Je m'efforce surtout de remettre en cause les préjugés. Le psy a envahi notre vie. Encore faut-il le comprendre. Le complexe d'Oedipe par exemple, dont tout le monde a entendu parler, est souvent très mal interprété. Freud, normalement, ça intéresse les élèves: la folie, le rêve, les lapsus, l'enfance, la libido, le refoulement, voilà des thèmes qui accrochent. Parfois c'est rigolo, quand j'évoque le pipi-caca, parfois c'est étrange, quand j'explique l'enfant "pervers polymorphe" ou les graves névroses de l'adulte (psychose, fétichisme, exhibitionnisme, etc).

Freud, Darwin, ce sont des savants mais aussi des philosophes, à leur façon. Ils ne se contentent pas d'appliquer, ils s'efforcent de penser, parce que les théories de leur époque ne les satisfont pas vraiment. Entre science et philosophie, la frontière est très nette, mais la proximité est très grande.

jeudi 26 mars 2009

ECJS au CDI.

En ECJS, jusqu'à ce matin, je ne savais pas trop quoi faire. Le premier trimestre a été consacré à l'étude des institutions, avec la venue de Jean-Louis Debré comme point d'orgue. Le deuxième, j'ai préparé avec les élèves la journée contre le racisme. Mais ce troisième qui commence?

Je me suis souvenu que nous étions en pleine semaine de la presse. Ça a fait tilt: pourquoi pas aller au CDI bosser là-dessus? Certains élèves n'ouvrent pas un seul journal de l'année. C'est l'occasion de leur en donner le goût, de leur faire toucher du papier gris. Nathalie, la documentaliste, est prête à m'aider. Chouette!

Donc nous sommes allés dans la bibliothèque avec mes dix élèves, et Nathalie leur a expliqué: choisir des sujets d'actualité, comparer dans la presse écrite ou télévisée les différents traitements. J'ajoute qu'un petit compte-rendu devra être fait devant la classe, lors de la prochaine séance (il ne faut pas qu'un travail se perde).

Qu'ont-elles sélectionné? Trois événements: la visite de Nicolas Sarkozy à Saint-Quentin, l'enlèvement de la petite Elise, l'histoire de cet Autrichien, père incestueux, qui a eu six enfants avec sa propre fille. Bref, le local, le fait divers et l'horreur ont retenu leur attention. Elles sont allés regarder les journaux, mais très vite internet. Je ne sais pas ce que ça va donner, je suis un peu sceptique. On verra bien dans quinze jours.

mercredi 25 mars 2009

La fille qui passe.

Ce matin, 8h00, devant ma salle de classe, au milieu des élèves qui attendent, alors que je cherche ma clé pour ouvrir, une fille que je ne connais pas me demande quelque chose que je n'entends pas. J'ai horreur de ça, je ne sais pas faire deux choses à la fois, ouvrir une porte et écouter quelqu'un. J'invite la fille à venir me voir à mon bureau, il suffit qu'elle patiente 30 secondes. Mais l'entrée en matière se présente mal...

30 secondes plus tard, mon cartable sur le bureau, cette élève que je ne connais pas me demande avec un sourire très large et innocent si elle peut assister à mon cours. Allons bon! Qu'est-ce que c'est que ça? Génétiquement, un élève est programmé pour fuir les cours, pas pour les désirer. Je m'interroge, mettez-vous à ma place...

Et puis, par nature, je me méfie des sourires très larges et innocents, surtout quand ils viennent des élèves, surtout d'une élève que je ne connais pas. Je vois le mal partout? Oui, peut-être. En tout cas, je ne reçois pas de bonne humeur la demoiselle, je suis même un peu brutal avec elle, répondant à sa question par une autre question: d'où tu viens? Pourquoi t'es là? (je résume, mon interpellation était tout de même plus douce).

Elle vient de TL1, elle veut assister à un de mes cours, c'est tout. Je pourrais sauter de joie (une élève qui s'intéresse tellement à la philo qu'elle fait des heures sup avec un autre prof!), je pourrais même penser, narcissiquement, qu'elle vient pour moi, pour le génie de mon cours. Mais j'ai quand même un peu de métier, je me méfie des élèves et je me méfie encore plus de moi-même, de mes impressions, de mes emballements.

Je lui dis d'abord que oui, elle peut rester, à condition de ne pas mettre le bazar. Parce que la copine qui vient voir la copine, je connais et j'apprécie pas. Ça donne souvent deux pipelettes. Plus subtile, plus vicieuse, l'élève qui vient comparer son prof avec un autre prof pour pouvoir dire tout le mal qu'elle pense du premier. L'herbe est toujours plus verte dans la prairie du voisin. Ça, je déteste, il ne faut pas me la faire.

La dernière hypothèse pour expliquer cette inhabituelle et rarissime visite, c'est tout bêtement la curiosité, qui est comme chacun sait "un vilain défaut". L'élève veut voir comment ça se passe avec l'autre prof de philo. Vieux fantasme scolaire. Sauf que la classe n'est pas un zoo et que je ne suis pas une bête de cirque à qui on lance des cacahuètes.

Le cours s'est déroulé, la fille a écouté (sans prendre cependant de notes). Tout s'est finalement bien passé. Mes préventions, mes soupçons sont peut-être excessifs. Mais mieux vaut prévenir que guérir. Elle est partie sans rien ajouter. Reviendra-t-elle? Elle sera la bienvenue...

mardi 24 mars 2009

Les quatre.

La Bibliothèque Départementale de l'Aisne me demande "une liste basique d'ouvrages philosophiques que vous jugez indispensables dans une bibliothèque publique pour tous publics". Pas facile. J'ai envie de répondre par une boutade un peu facile: aucun livre de philo n'est accessible à tous publics. Puisque leur lecture est un travail, assez difficile, le public ne peut être qu'averti et soigneusement choisi.

En même temps, il y a une prétention universelle de la pensée philosophique qui permet de mettre ses oeuvres entre toutes les mains, pourvu que l'esprit s'y soit préparé. Bref, je dois faire une sélection. Mais combien d'ouvrages? Et lesquels? A nouveau, casse-tête. Faisons le test de l'île déserte: si j'avais à emporter dans la solitude quelques titres, si j'avais à sauver quelques chefs-d'oeuvre de l'humanité en perdition , quels seraient-ils? J'en vois tout de suite quatre, les piliers sans lesquels le temple s'écroule:

PLATON, République.
DESCARTES, Méditations métaphysiques.
KANT, Critique de la Raison pure.
HEGEL, La Phénoménologie de l'Esprit.

Hors de ces quatre-là, point de salut philosophique! Avec ces quatre-là, je peux vivre et mourir. Les bibliothèques sont pleines de livres inutiles. Leur autodafé ferait un joli et joyeux feu. Nos cerveaux sont alourdis d'écrits indigestes, surtout quand ceux-ci se prétendent philosophiques. Platon maudit l'écrit qui fige la pensée. C'est aussi pourquoi je n'ai pas donné à mes élèves de bibliographie, qu'on range généralement dans un coin et dont on ne se sert pas (j'ai constaté ça à la fac).

Mon problème, c'est que les quatre joyaux que je viens de citer sont d'un abord décourageant, même pour une bonne volonté et une intelligence moyenne. J'excepte éventuellement la République de PLATON. La Phénoménologie de HEGEL est à rendre fou l'esprit le plus rationnel, alors que la thèse de l'ouvrage est hyper rationnelle! Bref, ça ne va pas du tout, et c'est de toute façon beaucoup trop court pour ce que me demande la Bibliothèque Départementale de l'Aisne. Il va donc falloir voir la commande autrement.

lundi 23 mars 2009

Salaire d'un prof.

Il y a encore, dans notre société, des gens qui cachent combien ils gagnent, qui trouvent presque discourtois qu'on pose la question sur le montant de leur salaire. Je me demande bien pourquoi. Il n'y a pas de secret, surtout quand on est fonctionnaire.

Ce qui m'invite à cette réflexion, c'est la feuille que j'ai reçue dans mon casier en vue des impôts: "Déclaration fiscale des traitements et salaires perçus au cours de l'année 2008". Le montant de mes rémunérations imposables à déclarer est de 26 767,84 euros.

Ce chiffre ne dit pas toujours grand-chose. Prenons alors mon dernier bulletin de paye, celui de février. Le net à payer est de 2 109, 49 euros. Mon grade: professeur certifié classe normale. Mon échelon: le 8ème. Mon indice: 531.

Pour compléter le tableau: je travaille 18h00 par semaine devant les élèves et je suis aussi prof principal. Je suis entré dans l'enseignement il y a 16 ans, après 4 années d'études, l'obtention d'une licence et d'une maîtrise de philosophie.

Par ailleurs, j'exerce de nombreuses activités associatives (présidence de la FOL, de Rencontre Citoy'Aisne, animations de café philo et autres), pour lesquelles il m'arrive d'être remboursé de mes frais mais pas rémunéré.

Suis-je bien payé, pas assez, beaucoup trop? Je n'en sais rien, je ne me suis jamais posé la question. Peut-être parce que je pressens qu'il y a plusieurs réponses possibles. Mais ça ne m'intéresse pas. J'aime mon métier, c'est tout.

dimanche 22 mars 2009

Sortie à Paris.

Comme quelques élèves, et certains professeurs, s'étonnent de n'avoir pas été informés de la Journée contre le racisme et les discriminations (alors que l'info a administrativement circulé), je prends les devants pour ma prochaine activité, qui aura lieu dimanche 29 mars: une sortie à Paris, que je suis en train de préparer ce week-end (avec un oeil sur mes trois paquets de copies à corriger, que j'ai ramassées il y a dix jours et auxquelles je n'ai pas encore touché!).

Ce projet de sortie a été, lui aussi, communiqué aux professeurs principaux, pour information auprès des élèves. Mais peut-être aurions-nous dû nous adresser directement aux délégués de classe, qui sont en prise direct avec leurs camarades? Cette visite dans la capitale est volontaire et gratuite, sauf le repas de midi. Je la qualifierais de loisir cultivé, alliant la promenade et l'instruction, le tout dans la bonne humeur (le dimanche n'est fait ni pour s'ennuyer, ni pour s'attrister). Voilà le programme:

A 7h00, rendez-vous devant la loge du lycée, pour un départ immédiat en car (attention, c'est la nuit du changement d'horaire: avancez d'une heure votre réveil avant de vous coucher!). Nous arriverons à Paris, place de la Bastille, vers 9h30, et nous commencerons par visiter le quartier du Marais et ses magnifiques hôtels particuliers.

A 11h00, et jusqu'à 13h00, nous participerons au premier café philo qui a été créé au monde, celui du Café des Phares, place de la Bastille. Nous serons accueillis par l'animateur, Gunter Gorhan, que j'ai eu le plaisir de recevoir à Saint-Quentin l'an dernier, et qui reviendra en avril.

13h00-14h00: c'est le moment des nourritures terrestres. Chacun mange où il veut, la Bastille est un quartier qui regroupe toutes les formes de restauration.

De 14h00 à 17h00, nous visiterons le cimetière du Père Lachaise, qui est à la fois un splendide jardin et un véritable musée à ciel ouvert. J'ai fait appel à un guidé chevronné et passionné qui nous conduira de tombe en tombe, agrémenté par quelques commentaires. Il s'appelle Emmanuel Mousset.

Ainsi, nous aurons rendez-vous avec une bonne cinquantaine de personnalités qui ne sont hélas plus de ce monde, artistes, écrivains, politiques, etc. Je vous livre quelques noms: Balzac, Delacroix, Proust, Montand/Signoret, Oscar Wilde, Edith Piaf, Henri Salvador, Molière, La Fontaine, Jim Morrison, Modigliani, David, Pierre Desproges et le dernier à être entré dans ce cimetière, Alain Baschung.

La dernière tombe que nous visiterons sera interdite aux moins de 18 ans (petit mystère...). Devant certaines sépultures, nous lirons un texte, un poème, ou nous interpréterons une chanson. Bref, il faudra mettre un peu d'ambiance... (les élèves volontaires peuvent me faire signe). "J'irai cracher sur vos tombes", écrivait Boris Vian. Nous, nous irons chanter et rendre hommage.

A 17h00, retour vers Saint-Quentin, arrivée probable vers 20h30. Les élèves intéressés doivent s'inscrire à la Vie Scolaire et faire remplir une autorisation de sortie à leurs parents.

Voilà notre prochain dimanche. C'est comme si c'était fait...

samedi 21 mars 2009

Révoltant?

Je suis allé hier après-midi à Guise, au Centre social, pour l'animation de mon atelier philo, destiné aux stagiaires rmistes. Pas grand-monde, trois personnes, plus Maria l'animatrice et Michel le journaliste. Le sujet tombait à point, après les manifs de jeudi: a-t-on raison de se révolter? Jean-Paul Sartre et ses amis maos pensaient que oui. Mais mes stagiaires guisardes?

J'ai commencé par des questions conventionnelles:

- Qu'est-ce qui vous révolte?
- Comment se révolter?
- Est-ce que ça sert à quelque chose?
- Peut-on se passer de la violence?
- Y a-t-il d'autres moyens que la révolte?
- Révolte... ou révolution?

Puis je suis passé à des questions un peu moins attendues:

- Peut-on se révolter tout seul?
- Une révolte peut-elle être injuste?
- Se révolter, est-ce faire de la politique?
- Peut-on se révolter sans raison?
- Le bulletin de vote peut-il être une forme de révolte?

Enfin j'ai terminé sur des interrogations apparemment incongrues (mais ce sont peut-être les plus intéressantes):

- Peut-on se révolter contre son chien, un objet, Dieu?
- La vie, la mort, la société, le monde, tout n'est-il pas révoltant?
- Les animaux, les machines pourraient-ils un jour se révolter contre l'homme?
- Peut-on se révolter contre soi-même?
- Les riches, les puissants ont-ils le droit de se révolter?
- Contre qui ou quoi ne vous révolterez-vous jamais?

De retour à Saint-Quentin, j'ai participé à mon dernier conseil de classe du deuxième trimestre, celui des TES2, où il faut donner un avis sur l'orientation des élèves. En parcourant les fiches remplies par eux, nous constatons que beaucoup postulent pour l'IFSI, l'école d'infirmières, ou un BTS d'économie sociale et familiale. Nous allons ainsi vers des lendemains de soins et de protection!

A l'issue du conseil, je discute avec le proviseur de choses et d'autres, dont de la Ligue de l'enseignement et de notre cérémonie contre le racisme d'hier matin.

vendredi 20 mars 2009

Contre le racisme.

C'était ce matin, de 10h00 à 12h00, la célébration dans mon lycée de la Journée mondiale contre le racisme et les discriminations, que j'organise depuis quelques années. C'est l'occasion, outre la dimension officielle (les allocutions des personnalités), de mettre en valeur les travaux des élèves. Voilà quel était le programme:

- Présentation du Guide contre les discriminations.
- Chorale de l'école Lyon-Jumentier.
- Lecture de textes par Camille et Quentin.
- Chansons interprétées par Yasmina et ses camarades de Seconde.
- Questionnaire sur l'homophobie par Emilie et Justine.
- Questionnaire sur le sexisme par Odélia.

Les deux derniers points exposaient les résultats des sondages que nous avons menés dans le centre ville et dont je vous ai en leur temps parlé. En tout, 7 classes ont participé à cette opération. C'est à la fois assez peu et pas si mal que ça.

Tout s'est très bien passé, avec les inévitables imperfections. La présentation du Guide a été un peu longue, et pas suffisamment à la portée des élèves. Les textes lus étaient trop nombreux. Camille, à la fin, s'est lancée dans une proclamation très personnelle et un peu politique (condamnation du Front National). Mais le proviseur a apprécié, donc tout va bien. Les élèves de Lyon-Jumentier ont dû partir avant la fin et raté une chanson. Odélia devait lire un monologue théâtral, mais le public alors était rare.

J'ai aimé cette petite cérémonie, qui avait le charme désuet des fêtes scolaires d'autrefois, où les enfants montraient leurs talents devant les personnalités et les parents. Mais les temps ont changé: j'ai appris qu'une personne présente s'était plainte de voir les élèves se produire devant les élus, comme si ceux-ci n'avaient rien à faire là! Moi, je crois au contraire qu'il est bon de montrer à nos jeunes que les représentants du peuple méritent toute notre attention. C'est ça aussi l'instruction civique.

jeudi 19 mars 2009

Psy.

J'ai fait grève, je suis allé manifester. Dans le cortège, j'ai vu des élèves. J'ai fait comme si de rien n'était. A 18h00, je suis retourné au lycée. J'avais rendez-vous avec un parent d'élève. Qui revenait d'où, à votre avis? De manifester!

Cette semaine, nous avons commencé "l'inconscient", une notion qui a une particularité: il est bien difficile d'en parler sans faire appel à un penseur précis, Sigmund Freud bien entendu. D'autant que sa pensée marque notre époque. Comme quel autre philosophe, demandais-je? Jean-Claude Vandamme, murmurent quelques-uns. Très drôle. Moi je pensais à Karl Marx.

En début de cours, mon regard tombe par hasard sur un cahier d'une bonne élève. Sauf que la page que je regarde est absolument blanche et vierge, avec seulement un titre en haut: "L'inconscient". Le cours a pourtant commencé, la séance précédente, depuis une heure. Alors? Alors elle m'explique qu'elle écoutait sans noter parce que, pour une fois, ce n'était pas un exercice de dissertation ou de commentaire de texte. Et alors? Ça ne doit pas dispenser de noter, je ne suis pas un conférencier qu'on regarde ou qu'on écoute, je suis un professeur dont on prend en notes les propos, les yeux baissés sur le cahier.

Au café philo de ce soir, l'affluence des grands jours, qui s'explique sans doute par le sujet: allez-vous chez le psy? Décidément, on n'en sort pas, cette semaine... Quelques courageux ont répondu oui. Mais combien l'ont caché? Moi c'est non. Mais peut-être devrais-je...

mercredi 18 mars 2009

Le bonheur philo.

Communion, énergie, enthousiasme, lumière, bonheur, c'est ce que j'ai vécu, exceptionnellement, cet après-midi, à Cambrai, devant l'Université du Temps Libre, où je me rends régulièrement pour des conférences. Mes termes sont religieux et inhabituels, je le sais, mais j'ai perçu les choses ainsi. Ajoutez amour pour faire bonne mesure. La pensée est une nourriture qui se partage, un pain qu'on rompt, qu'on consomme, qui alimente l'esprit. Ce n'est pas qu'une métaphore; il y a quelque chose de quasiment physique dans l'acte de réfléchir ensemble.

Un beau soleil m'avait accompagné, et ça tombait plutôt bien puisque je devais parler du Prologue dans le Zarathoustra de Nietzsche, philosophe de la méditerranée et de la clarté. Le grand public cultivé qui constitue l'UTL est en phase, en complicité avec moi. C'est un vrai régal. J'enseigne seul autant que nous pensons collectivement. Ils savent, je n'ai plus qu'à réactiver le feu, provoquer la lumière.

Ce ne sont pas des étudiants, encore moins des élèves, mais ce que Nietzsche appelle, dans la partie 9 de son Prologue, des "compagnons". Ce bonheur-là, je ne le connaîtrai pas, ou très rarement avec mes classes. C'est pourquoi j'ai besoin de ces interventions à Cambrai, à Laon, partout où l'on me demande pour une conférence, que je distingue du café philo et de son animation. Mes racines nourricières puisent dans ce genre d'enseignement et de public. J'en tire une satisfaction que je retrouve rarement ailleurs, dans les rapports humains.

Aussitôt quitté Cambrai, j'ai filé du Nord vers l'Aisne, en direction de Bernot où m'attendait cette fois un café philo: La vie a-t-elle besoin du bonheur? Là, c'est un public rural, plus populaire, mais c'est la magie de la philosophie que d'être universelle. Entre spécialistes elle ne m'intéresse pas, entre profs de philo elle ne m'intéresse guère. Elle ne prend toute son ampleur que lorsqu'elle est elle-même, universelle, quand elle peut toucher n'importe quel milieu.

De drôles de pensées nous sont venues, ce soir à Bernot. Une dame a raconté un atroce bonheur d'enfance: son père lui avait offert de mignons petits canards, qu'elle avait trouvé un malin plaisir à précipiter un par un dans un puits sombre, pour les entendre atteindre le fond et faire "floc" "floc". Ce geste et ce bruit étaient pour elle tout un amusement, qui lui a valu de son père une paire de claques.

Après le bonheur et le mal, un intervenant nous a interpellé sur le bonheur et la mort, en racontant le visage calme, tranquille , serein du cadavre. Et si la félicité s'atteignait dans le néant, quand on s'y consume? La fin a été plus gaie, puisque nous avons eu droit à une chanson interprétée par un ancien qui ne s'est pas fait prier. Sur le chemin du retour, une expression m'est revenue en tête: heureux comme un coq en pâte. Qu'a-t-il donc de si heureux, ce coq-là, qui n'est pas de chair et d'os mais tout en sucrerie?

mardi 17 mars 2009

Roboprof.

Si nous étions le 1er avril, j'aurais pensé à un poisson. Sauf que c'est un robot... et que nous sommes le 17 mars. Dans le journal local L'Aisne Nouvelle, je lis ceci, dans les brèves, page 40:

"Un robot enseignant. Pour la première fois, un robot pourrait être à la tête d'une classe d'écoliers. Le professeur de sciences Hiroshi Kobayashi est le créateur du robot-professeur sur lequel il travaille depuis 15 ans. Le robot, du nom de Saya, est composé d'une tête en latex avec les traits d'un étudiant d'université. 18 moteurs contrôlent les expressions du visage, comme la joie, la surprise, la peur, le dégoût, la tristesse et même la colère. Saya parle plusieurs langues, peut faire l'appel des élèves et donner des exercices à faire en rapport avec les livres de classe. Le robot commencera à enseigner à temps plein après avoir passé un test dans une école primaire de Tokyo".

Véridique! Je vais peut-être demander à mon ancien élève Lucas Froment, aujourd'hui étudiant au Japon, de se renseigner. En attendant, voilà de qui faire flipper certains collègues qui craignent le remplacement du prof par la machine (et qui ressentent déjà Internet comme un sérieux concurrent).

Moi, je m'interroge: il enseigne quoi, au juste, ce robot. Parce que si c'est de la philo, je n'y crois pas trop. Et puis, répond-il aux questions des élèves? Ça me fait drôlement penser au film de Paul Verhoeven, Robocop (soit dit en passant, ce célèbre réalisateur suédois a fréquenté, élève, mon établissement, le lycée Henri Martin, mais oui!). Mais là, c'était un flic technologique. Maintenant Roboprof?

J'ai une idée: puisque qu'un robot peut devenir prof, pourquoi un prof ne se transformerait-il pas en robot? Tiens, j'ai envie de faire ça demain, dès 8h00. Je me présente devant mes élèves avec une démarche mécanique, je fais des gestes sommaires et saccadés, j'improvise une voix métallique, je me fais appeler Manu le Robot. Et puis, à un moment donné, je fous des grandes paires de baffes à tout le monde! Eh oui, ça arrive, en tout cas c'est ce qui se passe dans Robocop, la créature électronique finit par se dérégler. La nuit me portera conseil, je vais y réfléchir, et demain matin, j'aviserai.

lundi 16 mars 2009

Red Bull et Gerboise Bleue.

Un policier est venu dans ma classe littéraire. Pas pour m'arrêter moi ou un élève, mais pour parler des addictions. C'était très bien fait, sans chercher à faire peur ou à faire la morale. De l'information pure et dure qui donne à réfléchir, c'est ce qu'il faut. Le policier parlait le langage des jeunes, très bien aussi. J'ai appris plein de mots que je ne connaissais pas, Red Bull (ou Redbull?) par exemple. J'ai appris aussi que pas mal de mes élèves prenaient des cuites et consommaient des tas de produits que j'ignore (dont le Red Bull).

Premier conseil de classe du deuxième trimestre en fin d'après-midi. C'est moi qui préside, en tant que professeur principal. J'arrive avec trois minutes de retard, tout essoufflé. Le proviseur est déjà là. C'est malin. Je sors précipitamment les bulletins, je cherche les tableaux de notes que je dois distribuer à chaque collègue, je ne les trouve pas, j'en conclus que je les ai oubliés chez moi. C'est très malin. Tant pis, on fait avec ou plutôt sans. A la fin du conseil, qui s'est bien passé, je retourne un dossier, et je tombe sur quoi? Les tableaux de notes! De plus en plus malin.

Le conseil aussitôt terminé, je file avec une élève pour animer le Ciné Philo. Sujet de ce soir: les victimes des essais nucléaires français en Algérie, illustré par le film de Djamel Ouahab, "Gerboise Bleue". Le réalisateur était présent, et j'avais organisé la séance avec des associations d'anciens combattants. Je crois que nous devions bien être une petite centaine dans la salle. Pas mal, pour un sujet pas évident. Le débat a été parfois houleux. Normal: rien n'est plus indiscipliné qu'un ancien combattant!

dimanche 15 mars 2009

Momoss.

Il y a des jours où l'on sursaute quand on consulte sa messagerie électronique. Mon coeur cette semaine s'est mis à battre un peu plus fort que d'habitude, ma salive a eu du mal à passer dans ma gorge, quand j'ai vu s'afficher le titre du courriel: "Nouvelles d'Argelès-Gazost". Argelès, je vous en ai déjà parlé dans un ancien billet: c'était mes "jours heureux", comme s'intitulait une série américaine qui passait à la télé à cette époque-là, mes années de lycée, en Première et Terminale, en 1977-1979.

Pour bien connaître un prof, il faut bien connaître l'élève qu'il a été. D'autant qu'en ce qui me concerne, je n'étais pas destiné à devenir prof (voir aussi un précédent billet). Je me plonge donc dans cette période d'adolescence avec délice, nostalgie et sans doute pas mal d'illusion. J'ai ma petite théorie, peut-être complètement fausse: ce que je suis aujourd'hui, je le dois à ce temps-là.

Mon correspondant venu du passé et pourtant bien présent, bien réel, c'est Philippe, après Sylvie, il y a quelques semaines. Il est tombé sur mon blog, je ne sais trop comment. Et le revoilà, comme si on ne s'était pas quitté depuis 30 ans! C'est bête à dire mais c'est impressionnant. Il me donne des nouvelles d'Alain, Christine, les deux Isabelle, Jocelyne (qui m'avait contacté il y a deux ans), Mireille, Elisabeth, toutes et tous camarades de classe, dont j'ai conservé précieusement la photo, moi qui n'aime pas trop les photos.

Et puis, Philippe m'apprend une disparition, celle de Frédéric, que nous appelions "Momoss", Fred aussi. Il est décédé en 1992, dans un accident de la route. 17 ans, 30 ans, aujourd'hui, peu importe: je ne crois pas à la résurrection des corps que nous promet le christianisme, mais je crois en la résurrection des esprits, par la mémoire. Momoss, j'aurais pu totalement l'oublier: il s'est passé tellement de choses depuis, j'ai rencontré tellement de gens en 30 ans! Grâce à Philippe, il revit en moi, je revois son visage, je repense à lui. Désormais, je ne l'oublierai plus jamais.

Je veux terminer avec une anecdote, celle qui me vient spontanément à l'esprit quand je pense à Momoss: allez savoir pourquoi celle-là et pas une autre! La veille de je ne sais quelle épreuve du bac, Momoss, qui était comme moi interne (ce qui crée des liens particuliers), s'était trompé en lisant sa convocation, il devait se présenter le matin alors qu'il croyait passer dans l'après-midi. Je m'en souviens comme si c'était hier, je me revois dans le dortoir de l'internat, nous étions pliés de rire, lui le premier, devant ce quiproquo qui aurait pu lui faire rater le bac, mais qu'une lecture in extremis de sa feuille de convocation avait corrigé. Ce que je retiendrai de Momoss, c'est ce rire, cette joie qui était en lui. Et ça, pour moi, c'est éternel, ça ne mourra jamais, encore une fois grâce à Philippe, qui a arraché Momoss à l'oubli.

samedi 14 mars 2009

Café philo.

Une élève, participant à un concours d'élocution du Rotary Club, m'avait demandé, avant les vacances, mon avis sur un exercice à préparer, le commentaire d'une citation d'Einstein que je trouvais un peu embrouillé et pas très intéressante. Hier, nous avions rendez-vous pour mes ultimes conseils... et je n'en avais aucun à lui prodiguer.

Réunis dans la salle des profs, nous avons parlé du sujet et, je ne sais pourquoi, la phrase jusqu'alors banale pour moi m'a inspiré. Je ne crois pourtant pas à l'inspiration en philosophie. Mais là, les idées me sont venues, et elles n'étaient pas mal du tout! Que s'est-il passé? Le café. Mais oui, le café, je ne vois que cette explication-là.

Juste avant, chez moi, j'avais pris un café, bien fort, bien noir. C'est mon remontant. Et là, je pense que ça a été mon stimulant. La caféine serait-elle le secret de la philosophie? Bien sûr que non, mais certaines dispositions du corps entraînent l'esprit.

A la Sorbonne, le professeur qui a été mon mentor dans la préparation au CAPES, Olivier Chedin, ne pouvait s'empêcher de fumer en faisant cours (c'était à l'époque où cette pratique était admise dans les lieux publics). Il était évident que la cigarette, le tabac, l'odeur, la fumée, tout cela contribuait à son génie, et il n'en manquait pas pour son enseignement à tout point de vue magistral.

Aspiration, inspiration. Olivier Chedin prenait toujours des Gauloises dont il enlevait soigneusement le filtre. Je suis persuadé que ce cérémonial et cette inhalation l'aidaient à penser. Moi c'est le café.

vendredi 13 mars 2009

Excuses?

J'ai ramassé cette semaine une nouvelle fournée de copies. C'est comme la locomotive à charbon, il faut sans cesse alimenter la machine! A bien y réfléchir, on peut dire que c'est l'avant-avant-dernier devoir de l'année. Présenté ainsi, ça donne la (courte) mesure du temps qu'il nous reste. Un élève, pas bon du tout et peu travailleur, s'est excusé, en rendant ses feuilles, d'avoir utilisé de l'encre bleue pour rédiger.

Bin oui, en début d'année, j'ai conseillé l'encre noir, parce que c'est plus lisible et que le jour du bac autant mettre toutes les chances, y compris les petits détails, de son côté. Mais ce n'est pas la couleur qui fait le contenu. J'ai pris ces étranges excuses comme une façon d'excuser une piètre réflexion, un faible travail. Un lapsus, en quelque sorte.

J'ai confié à une élève, interne, le soin d'informer et d'inscrire les internes pour le prochain film du Ciné Philo, puisque trente places leur sont offertes. Lundi, ce sera un documentaire, "Gerboise bleue", sur les essais atomiques dans l'Algérie française et leurs victimes. J'ai invité des associations d'anciens combattants. A priori pas de quoi attirer le lycéen moyen, même si la période est au programme d'Histoire des Terminales. De fait, je n'ai que quelques volontaires.

Est-ce, là aussi, pour s'excuser d'avoir convaincu peu de ses camarades que l'élève a évoqué mon collègue de philo qui soi-disant aurait critiqué le Ciné Philo et dissuadé ses classes d'y participer? Toujours est-il qu'au bout de quelques mots, sans qu'elle ait eu le temps de finir sa phrase, je l'ai stoppé de tout net. Car j'ai un principe professionnel auquel je tiens: je ne veux pas entendre un élève me parler d'un professeur pour médire dessus, un tant soit peu, et même, et surtout en rapportant des propos. Je n'aime pas les rapporteurs de ce genre.

jeudi 12 mars 2009

Sous le ciel gris.

J'ai fait remplir aujourd'hui les "Cartes de la Fraternité" à mes élèves, en vue de la journée contre le racisme et les discriminations, le 20 mars. Les meilleurs textes seront sélectionnés et lus. Mine de rien, ce petit exercice sans prétention permet de tester l'imagination et l'intelligence, sous des formes moins conventionnelles que la dissertation et le commentaire de texte.

Un élève de L, en fin d'heure, vient me voir pour me poser une question sur son devoir de bac blanc (que je n'ai pas corrigé, puisque c'est mon collègue qui s'en est chargé). Je ne lui réponds pas. J'ai déjà dit à mes classes que les questions sur les copies devaient être adressées à celui qui les a corrigées. Je n'aime pas le petit jeu qui consiste à vouloir opposer les enseignants les uns aux autres.

Malgré le ciel gris et menaçant, j'ai conduit mes Premières, en séance d'ECJS, au centre ville, pour réaliser un sondage sur les discriminations envers les femmes. C'est la première fois que les élèves faisaient ça, et elles (ce sont toutes des filles) ont aimé. J'ai pris soin cette fois-ci, pour ne pas renouveler la mésaventure du précédent groupe, d'insister sur le fait de rester groupés dans la zone piétonne.

J'ai commis dernièrement une petite erreur d'appréciation, en supposant qu'une quatrième note n'améliorait pas une moyenne, que trois suffisaient. Avec les L, oui, c'est ce qui s'est passé. Mais avec les S, non: plusieurs moyennes ont été légèrement augmentées grâce à l'apport de la quatrième note facultative, dont une ou deux ont permis d'atteindre l'important seuil psychologique de 10. Ce n'est pas rien pour un élève!

mercredi 11 mars 2009

Cancer et philo.

Café Philo assez délicat hier à Soissons. Un collectif de lutte contre le cancer m'avait demandé d'animer la soirée sur le thème: Le cancer nous rapproche-t-il ou nous éloigne-t-il des autres? Dès les premiers mots, j'ai senti la difficulté. Les "cancéreux", faut-il les appeler ainsi? Une dame a protesté: "personnes atteintes d'un cancer", voilà ce qu'elle préfère, elle-même étant du nombre.

Sinon, les échanges ont été passionnants, sur un sujet a priori médical ou psychologique mais peu philosophique. C'est un tort: les rapports de l'homme avec son corps, l'appréhension de la souffrance et de la mort, la sagesse avec laquelle nous devons traverser cette épreuve, ce sont des réflexions de nature tout à fait philosophiques.

Il a beaucoup été question des métaphores que provoque le cancer: la bête, le monstre, l'intrus, le crabe. Mais pourquoi cette croissance folle de certaines cellules ne ferait-elle pas partie de nous, ne serait pas reconnue comme tel? Parce qu'elle provoque la mort? Mais c'est le corps tout entier, dans sa dégradation, qui conduit à l'échéance fatale. Se met-on à le haïr pour autant?

Et puis, nous avons étudié les rapports humains avec la personne malade. Celle-ci doit-elle dire de quel mal elle est atteinte, en guise de libération, pour donner un nom à ce qui ne va pas? Le problème, c'est que le regard de l'autre est alors faussé, qu'il a du mal à s'extraire de la compassion, de la pitié. Faut-il donc se taire, subir en silence, ne pas avouer ce dont on est victime? L'autre, et par conséquent soi, restent libres. Comme si de rien n'était. Mais j'ai senti que cette suggestion un peu ascétique n'était pas de notre temps et n'avait guère de chance de séduire.

mardi 10 mars 2009

Le devoir facultatif.

C'est lundi prochain le début des conseils de classe du deuxième trimestre. J'ai fait aujourd'hui mes moyennes pour les L, je dois rentrer tout ça dans l'ordinateur pour jeudi, et remplir bien sûr les bulletins scolaires. Il me restait six copies à corriger aujourd'hui, le devoir facultatif que j'avais proposé à mes trois classes. En L, ils ont été neuf élèves, sur 32, à me le rendre. Mais aucune de ces notes n'a amélioré une seule copie. Comme s'il y avait, sans vouloir tomber dans la superstition, une vérité (je n'ose pas dire une magie!) du chiffre trois.

Une note par mois, donc trois par trimestre, c'est suffisant pour évaluer correctement un élève. La preuve avec ce devoir supplémentaire, qui n'a fait gagner de points à personne. Il y a une rationalité de l'évaluation: en trois devoirs, on a fait le tour de ce que peut et de ce que vaut un élève. Pourquoi vouloir aller plus loin, en faire plus? Ce n'est pas en multipliant les notes et les devoirs qu'on fait nécessairement progresser nos lycéens, surtout arrivés en Terminale.

Attention: je suis très heureux que neuf élèves aient choisi de faire un travail supplémentaire. Ça prouve leur courage, leur volonté, et pour moi, ce sont des choses qui comptent. Et puis, leur choix a permis de les entraîner, de les exercer (c'est pourquoi on parle d'exercice!). C'est donc fort utile, très précieux pour eux. Mais ce que je veux dire, c'est que ça ne change pas grand-chose en matière d'évaluation. Ceci dit, l'école est faite pour le travail, pas pour les notes.

lundi 9 mars 2009

Comme une rentrée.

C'est très banal, finalement, une rentrée. On prend les mêmes et on recommence. Ou plutôt on continue. Le troisième trimestre, ça commençait aujourd'hui. Déjà! J'ai l'impression que la première rentrée scolaire n'est pas si loin. Quand je songe au moment où j'inaugurais ce blog, en août dernier, j'ai l'impression que c'était avant-hier.

Mine de rien, ça faisait trois semaines que je n'avais pas fait cours: quinze jours de vacances, et juste avant, une semaine de bac blanc. La fin de l'année scolaire, je la sens déjà. Pâques sera vite arrivé. Après, on ne verra plus le temps passé, le bac viendra rapidement. Ce troisième trimestre est assez riquiqui. C'est pourquoi j'ai prévenu ce matin les élèves (mais ont-ils écouté?): il va falloir accélérer un peu, passer sur les notions plus prestement qu'auparavant.

Comment s'est passée cette rentrée? Comme une rentrée. Avec quelques incidents mineurs, il en faut bien. En L, j'ai trouvé la classe insuffisamment concentrée. Il faut dire qu'ils attendaient impatiemment les résultats de leur bac blanc. Je le leur ai donnés. J'ai inscrit les notes sur mon cahier, je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir plus que ça. Ce que j'ai remarqué, c'est que ma meilleure élève a eu la meilleure note, et une très bonne note (attribuée par mon collègue). Comme quoi il y a une certaine justice dans tout ça.

Sinon, je rappelle à toute la classe qu'elle doit me rendre un devoir jeudi. Quatre affirment n'être pas au courant, prétextant qu'ils étaient absents le jour de remise des sujets (j'avais pourtant annoncé depuis longtemps qu'ils auraient un travail à la maison pour après les vacances). Sauf que d'autres étaient aussi absents et rendront malgré tout le travail jeudi, parce qu'ils se sont renseignés. C'est le devoir d'un absent de prendre connaissance de ce qui s'est fait en son absence. Bref, ça cafouille un peu. Un moment, je suis tenté de repousser pour ces quatre le délai de remise des copies. Et puis non, car quelques autres réagissent négativement, veulent que la date annoncée soit respectée. C'est terrible, des élèves! Surtout entre eux.

Une élève de ES vient me voir (je n'ai pas les ES le lundi), pour me dire qu'elle ne fera pas le petit spectacle de danse prévu dans le cadre de la Journée contre le racisme, la semaine prochaine. Une prestation en moins, c'est un peu embêtant pour moi. Elle m'explique qu'elle n'a pas pu répéter, pour je ne sais plus quelle raison (les causes invoquées par les élèves m'intéressent rarement, ce qui me préoccupe, ce sont les conséquences).

J'ai retrouvé mon parcours habituel, à l'interclasse et la récréation: la salle des profs, le coin photocopie, le CDI, le bureau de la Vie scolaire, le foyer socio-éducatif (où le CPE a exposé les photos de notre visite à Bruxelles, avec des commentaires marrants). Je suis allé aussi du côté des prépas, ayant déniché un collègue de l'option cinéma voulant bien faire de la pub pour mon Ciné Philo.

Incontestablement, c'est reparti, pour quelques semaines, comme il y a maintenant quinze ans, au même endroit.

dimanche 8 mars 2009

Tous plus intelligents!

J'ai commencé ce dimanche la lecture du passionnant ouvrage d'Emmanuel Todd, "Après la démocratie" (2008, Gallimard). Le chapitre 2 est consacré à l'École: "Stagnation éducative et pessimisme culturel". C'est plein de bon sens et de vérité, qui tordent le cou aux idées reçues.

Par exemple, tout le monde se désole du nombre d'élèves qui quittent le système scolaire sans aucune qualification ou diplôme. On cite souvent le chiffre de 170 000 par an, et on a légitimement peur. Mais quel pourcentage cela représente-t-il? 7,5%, qui reste stable depuis 1990. C'est encore trop, bien sûr. Mais savez-vous combien ils étaient en 1965? 35%! Ça relativise pas mal de choses.

On déplore aussi que le niveau baisse. C'est devenu une sinistre ritournelle. Qu'en est-il vraiment? 34,3% d'une génération a eu son bac général en 2007. Combien en 1950? 4,8%! Vous me direz peut-être que le bac ne vaut plus rien? C'est gentil pour l'École et les enseignants! Prenons alors un autre critère: les tests de raisonnement qu'ont passés les conscrits entre 1981 et 1995, qui montrent une hausse globale du niveau intellectuel de près de 18%.

Autre cliché: les analphabètes seraient de plus en plus nombreux! C'est complètement idiot. L'alphabétisation de masse (qu'on mesure à la capacité ou non de signer l'acte de mariage) est acquise au XIXème, et ce mouvement de fond venait de loin, du Moyen Âge. En 1911, 96% des 20-24 ans sont alphabétisés. Aujourd'hui, tout le monde sait lire, écrire et compter. Ceux qui prétendent que l'École n'assure plus cette tâche sont stupides ou vicieux. En revanche, il y a un usage de la langue écrite qui n'est pas correctement maîtrisé. Mais cela ne date pas de notre époque, et c'était pire avant.

Dans la même veine, remarquons que le nombre d'étudiants a très fortement progressé, de 200 000 en 1950 à 2 275 000 en 2005-2006. Ce qu'Emmanuel Todd démontre, c'est qu'il y a une aspiration irrépressible des sociétés modernes à plus d'éducation, que le niveau n'a donc cessé de monter, et spectaculairement, même s'il stagne depuis une dizaine d'années. Tous les enseignants devraient lire ce chapitre 2 et en ressortir enthousiastes, confiants. C'est tout le mal que je leur souhaite, en cette veille de rentrée.

samedi 7 mars 2009

Encore Alain.

Mes vacances, qui se terminent, ont été éclairées par quelques lectures, dont une déjà évoquée, les "Propos sur l'éducation" d'Alain. Ce n'est pas un philosophe qu'on lit, mais qu'on médite. Voilà pour vos réflexions de ce soir:

"Chose étrange, la bonne volonté trop marquée, l'ardeur, la vivacité, tout ce qui ressemble à la passion enfin, sont tout à fait incompatibles avec l'exercice de l'intelligence. Tant qu'un sujet vous touche vivement, pour une cause ou pour une autre, vous n'êtes pas en mesure de le dominer par la pensée. Il faut user d'abord le sentiment".

C'est pourquoi je demande à mes élèves de prendre de la distance, y compris à l'égard de la philosophie.

"L'école n'est nullement une grande famille. A l'école se montre la justice, qui se passe d'aimer, et qui n'a pas à pardonner, parce qu'elle n'est jamais réellement offensée. La force du maître, quand il blâme, c'est que l'instant d'après il n'y pensera plus; et l'enfant le sait très bien".

Moins il y a de sentiments en classe, mieux la classe se porte. Je ne suis ni le papa, ni l'oncle, ni le grand frère, ni le copain des élèves.

Alain préconise l'étude de deux matières selon lui suffisantes: la géométrie et le latin! Mais dans un autre de ses "Propos", il désigne la lecture comme "but unique" de l'école. Il fait quelques recommandations d'ouvrages:

- "Aventures de Télémaque", de Fénelon.
- "Zadig", de Voltaire.
- "Les Martyrs", de Châteaubriand.

Est-ce encore valable aujourd'hui?

"Les travaux d'écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l'intelligence. Que ce soit orthographe, version ou calcul, il s'agit de surmonter l'humeur, il s'agit d'apprendre à vouloir".

C'est pourquoi je comprends et je suis indulgent envers les limites de l'intelligence. Mais je ne pardonne rien aux faiblesses de la volonté.

"Il faudrait apprendre à se tromper aussi de bonne humeur. Les gens n'aiment pas penser; c'est qu'ils ont peur de se tromper. Penser, c'est aller d'erreur en erreur. Rien n'est tout à fait vrai".

Mes élèves peuvent commettre des erreurs, ça ne me gêne pas, à condition que ce ne soit pas des fautes et qu'ils n'en abusent pas.

"Il n'y a pas plus sot personnage que l'écouteur qui boit les paroles et fait oui de la tête".

Si, je connais plus sot: c'est celui qui applaudit, réaction de chimpanzé. Heureusement que les élèves ne le font pas! Un bon élève, c'est celui qui écrit, qui note, qui à la limite ne me regarde pas. La tête en l'air, le nez au plafond, les yeux qui roulent dans tous les sens, je déteste. Un élève doit faire très attention à ses yeux.

vendredi 6 mars 2009

Le problème du stylo.

Ça y est, c'est fait, j'ai terminé mes corrections de bac blanc. J'ai soigneusement rangé les trois paquets dans trois grandes enveloppes, que je déposerai lundi matin, 8h00, dans le casier de mon collègue. "Ce qui est fait n'est plus à faire"! Quel délice que se dire que c'en est fini! En attendant les prochaines corrections, qui débuteront théoriquement dès jeudi prochain, puisque ce sera la date de remise des nouveaux devoirs par mes classes, les premiers du dernier trimestre. Mais il me reste encore 16 devoirs facultatifs à corriger pour les moyennes du deuxième trimestre. La religion indienne considère que chaque être humain est enchaîné à la roue du devenir. Pour un enseignant, c'est la roue de la correction des copies.

Mais je voulais vous entretenir d'un autre problème, à première vue anecdotique, peut-être même faussement dérisoire: le choix du stylo avec lequel on corrige les copies! C'est tout un dilemme. Pour le bac blanc, j'ai pris un crayon, pour que mon collègue se sente libre de modifier la note, si besoin est. Bac blanc ou pas, ce sont ses classes, pas mes classes. Mais l'usage du crayon n'est réservé qu'à cette circonstance. Sinon, de petits malins pourraient s'amuser à effacer la note et la remplacer par une autre, plus avantageuse. Ça ne tromperait pas l'enseignant, mais éventuellement les parents!

Alors, faut-il prendre une pointe bic? Et de quelle couleur? Le rouge sang a le mérite d'être vif, de mettre les choses au clair, si j'ose dire. Mais il est accusateur là où il s'agit moins de réprimander que de conseiller, de "corriger", au sens de rectifier, de redresser. Le bleu ou le noir ont le défaut de se confondre avec l'encre de l'élève, donc avec son écriture. Les remarques du professeur ressortent moins bien. Quant au vert, violet ou rose, ils sont rigoureusement à proscrire, trop fantaisistes, trop folkloriques pour figurer sur une feuille de travail.

Stylo plume? Non, même si sa pointe qui file très vite est très agréable à pratiquer. Un enseignant n'est pas un médecin. Il n'a pas à utiliser un bel instrument pour ses recommandations. C'est trop. La plume est réservée aux ordonnances ou aux lettres, pas pour des corrections à la chaîne. De ce point de vue, l'enseignant est plus un ouvrier qu'un artisan.

Ce qui me convient, ce que je préfère, entre le bic et la plume, c'est le feutre. Il a la rapidité, l'aisance d'écriture de la plume, sa prise en main est simple et facile comme pour le bic. C'est un heureux mariage des deux. Un feutre noir, et c'est parti! Je suis armé pour l'épreuve des copies. C'est mon épée ou mon petit pistolet, dont les élèves savent qu'il peut faire mal...

jeudi 5 mars 2009

Tricheurs.com

Comment ne pas vous parler aujourd'hui de ce dont tout le monde parle aujourd'hui, le site faismesdevoirs.com, qui propose, entre 5 et 30 euros le travail, de composer les devoirs à la place des élèves? Je ne sais pas s'il faut s'en indigner ou bien éclater de rire. J'opte plutôt pour la seconde alternative.

S'indigner, à quoi bon? Nous vivons dans une société où les indignations à répétitions finissent par s'annuler les unes les autres. Et puis, dénoncer l'argent dans une société qui se donne pour objectif l'argent ("travailler plus pour gagner plus", par exemple) me semble singulièrement inefficace. Enfin, plus vous critiquez, plus vous mettez en valeur l'objet de la critique: c'est l'effet Guignol. A tout prendre, l'idéal serait d'écraser ce site sous le poids de notre mépris. Mais ce sentiment a-t-il encore un sens aujourd'hui?

Bref, j'ai choisi d'en rire, de me moquer, d'adopter la légèreté au lieu de la gravité. D'abord parce que l'internet, formidable outil pour qui sait s'en servir, est aussi la grande porte ouverte au n'importe quoi, dont ce site de triche rémunérée. Ensuite parce que le mauvais pli avait été pris depuis longtemps: il y avait des corrigés payants après les devoirs, il y en a maintenant avant. Ce n'est qu'une différence de chronologie.

Mais surtout, je crois qu'il y a une morale en tout, que la justice immanente de la vie est plus efficace que la justice transcendante de l'école, que d'un mal surgit nécessairement un bien. C'est ma conception optimiste de l'existence, que j'argumente dans le cas présent:

Les tricheurs existent depuis que l'école existe. Jusqu'à maintenant, ils opéraient gratuitement. Désormais, ils vont devoir débourser. Bien fait pour eux! Au sens propre du terme, ils vont payer pour le mal qu'ils font. N'est-ce pas éminemment moral?

Leur punition ne s'arrête pas là. Comme toute triche, elle sera vite débusquée. En philo, l'élève qui pompe sa dissert ailleurs que dans son cerveau, ça se voit tout de suite, rien qu'au style employé, dont il saute à la figure que ça ne peut pas être celui de l'élève. Le tricheur va donc payer pour rien, tricher pour rien, sinon montrer à son professeur et à sa classe sa face la plus sombre, la plus minable.

Le jugement suprême, le jugement dernier, ce sera au moment de l'examen, car l'école est aussi faite pour avoir des diplômes: là, le petit tricheur ne pourra plus tricher, il sera confronté à ses propres faiblesses, qu'il aura renforcées si j'ose dire en trichant. Alors, le tricheur apparaîtra dans toute sa splendeur: un piètre looser. Ne croyez-vous pas qu'il y a de quoi en rigoler?

mercredi 4 mars 2009

Copies, copies, copies.

Ma boîte aux lettres fait du bruit ces derniers jours. Non, ce n'est pas le vent qui s'introduit, mais des copies d'élèves qui sont déposées. Je leur ai dit avant le départ en vacances: pour le devoir supplémentaire, il faut me le rendre avant la rentrée, car les conseils de classe vont très vite arrivés. Si vous voulez améliorer votre moyenne du deuxième trimestre, c'est maintenant ou jamais.

J'ai reçu 16 devoirs à domicile à ce jour. A mes élèves, je dis qu'ils ont jusqu'à dimanche, dernier carat. Après, le délai sera trop court, je n'aurai pas suffisamment de temps pour remplir les bulletins. Curieusement, la classe normalement la plus concernée par ma proposition, la TL2, a peu répondu (3 copies). Les TES2 m'en ont rendu 7 et les TSMP 6. Mais un élève ne fonctionne pas à l'intérêt. Son comportement est moins rationnel, moins utilitariste que ça.

En attendant, j'ai continué mes corrections de bac blanc. J'en suis au paquet des TL1. Pas mal du tout. Ils ont travaillé. Je vous donne les résultats (23 copies corrigées, 10 restent à faire): 11, 13, 08, 12, 11, 10, 09, 09, 09, 08, 14, 16, 14, 11, 10, 09, 08, 10, 16, 08, 15, 13, 03. Il faut de tout pour faire un monde, il faut de tout pour faire une classe, il faut de tout pour faire une évaluation.

Je retiendrai trois devoirs parmi ceux corrigés aujourd'hui:

- D'abord le dernier, le scandaleux, le 03: si je me laissais aller, je déchirerais sur le champ la copie, trois misérables pages de banalités.

- Ensuite cet élève, le seul dans ce cas, qui a compris la question "Un désir peut-il être coupable?" en un sens strictement juridique: un désir est-il passible des tribunaux? Qu'une partie de la réflexion soit consacrée à cet aspect, fort bien. Mais que la réflexion en reste là, non, c'est très insuffisant. En fait, l'élève a pris la culpabilité au pied de la lettre. Il n'a pas senti, saisi, l'image, la métaphore derrière le mot. C'est la seule copie, parmi toutes celles que j'ai corrigées jusqu'à maintenant, qui se soit emprisonnée dans cet étrange piège.

- Enfin cette élève qui a commis un incroyable lapsus (révélateur?): elle a reformulé ainsi le sujet: "Un désir peut-il être CAPABLE?" ou lieu de COUPABLE. J'ai relu, j'ai vérifié, j'ai examiné les lettres: non, c'est bien CAPABLE qui est clairement écrit. Le plus incroyable, c'est qu'à certains moments, dans sa dissertation, le mot est correctement orthographié! Qu'est-ce ça signifie? Pure négligence? Difficile à croire, CAPABLE, COUPABLE, ce n'est tout de même pas la même chose.

Et je le répète, il ne s'agit visiblement pas d'un défaut d'écriture. Alors quoi? Je ne sais pas, je suis interloqué... et embarrassé. Le contenu du devoir est moyen et ne m'aide pas à trancher si elle a compris COUPABLE ou CAPABLE. Il y a du travail, il y a un effort de réflexion, mais il y a ce lapsus impardonnable. Je me suis tout de même efforcé à lui mettre 8.

mardi 3 mars 2009

Les dix commandements.

Mon établissement scolaire, fait rare, regroupe un collège et un lycée. C'est bien, c'est une richesse. Je crois que l'Education Nationale forme un tout, de l'école élémentaire au lycée. Les différences sont de degrés, pas de nature. Au collège, ça crie, ça court, ça joue au foot. Au lycée, c'est plus calme, ça frime, ça drague.

Profs du collège, profs du lycée, on se retrouve ensemble, dans la même salle des profs, autour de la machine à café. C'est bien aussi. On discute, on échange, les problèmes sont les mêmes, à des degrés là-aussi différents.

Quand les lycéens n'ont pas cours, ils vont au foyer (billard, baby, télé et ordi), au CDI ou en salle de permanence. Celle-ci est gérée en autodiscipline. Pas de surveillant. C'est la grande différence avec le collège. Sur les tables de la salle des profs, il y a un nombre invraisemblable de papiers de toute sorte qui traînent. J'en ai trouvé sur "Les 10 règles de la permanence", qui est distribué à chaque collégien. Je crois intéressant de le soumettre à votre connaissance et à votre réflexion. Quels sont donc ces 10 commandements, d'une simplicité toute biblique:

1- J'attends rangé dans la cour pour me rendre en étude avec le surveillant.

2- Je suis en permanence pour travailler.

3- Si je n'ai pas de travail, je m'occupe en:
- lisant.
- révisant.
- demandant du travail au surveillant.

4- Le surveillant est là pour m'aider en cas de difficultés.

5- Pas de bavardages.

6- Les tables doivent rester séparées et propres.

7- J'attends la sonnerie pour ranger mes affaires.

8- Je range ma chaise et ramasse les éventuels papiers autour de moi avant de sortir.

9- Pas de casquettes, bonnets, etc... et j'enlève mon blouson lorsque je m'installe.

10- Pas de chewing-gums ou toute autre nourriture.

Le non-respect de l'une ou de plusieurs de ces règles entraînera une sanction.

Je ne sais quel Moïse a gravé ces Tables de la Loi scolaire, mais il a été inspiré par le Dieu des Écoles, qui n'ignore pas que la discipline est le socle de l'enseignement.

lundi 2 mars 2009

Gran Torino.

Je suis allé ce soir au cinéma voir le dernier Eastwood, "Gran Torino", dans un but précis: utiliser éventuellement ce film dans le cadre de la Semaine contre le racisme et les discrimination, que j'organise depuis une douzaine d'années dans mon établissement. Au départ, c'était une modeste table que j'avais installée dans le CDI, et quelques livres, essais et romans sur le sujet, que j'avais sortis des rayons.

Et puis, l'opération a pris de l'ampleur, avec un film pour les scolaires et diverses activités autour, jusqu'à la célébration officielle de la Journée mondiale contre le racisme, chaque 21 mars. Le film, ça fait bien dix ans qu'on le propose. Mais les idées s'épuisent. Il faut dire que c'est une gageure de trouver un titre qui convient aux écoles, collèges et lycées, pas trop long, sans sexe, sans violence, compréhensible par tous les élèves et pédagogiquement exploitable.

Cette année, je sèche. Et surtout, je manque d'animateurs pour se charger du travail. Quand j'utilise la salle de projection de mon lycée, qui ne contient que 100 places, ça mobilise plusieurs séances. Une année, nous avons eu plus de 1 000 élèves, essentiellement de l'école primaire. Si je choisis de réserver une salle au multiplexe, une journée suffit, avec deux séances, matin et après-midi.

Reste la sélection du film. Quand j'ai vu que "Gran Torino" allait passer, je me suis dit: pourquoi pas? Ce soir, de retour du cinéma, je me dis plutôt: trop difficile! C'est un beau et riche film, avec en son coeur les problèmes de l'immigration asiatique aux Etats-Unis, les tensions entre les différentes communautés, l'incompréhension entre les cultures, les réactions racistes.

Mais la forme, le style, limpides pour des adultes, ne sont pas si évidents pour des jeunes, et encore moins pour des enfants. Il n'est pas certain que ceux-ci ne se contentent pas du premier degré, une histoire assez violente. Il n'est même pas certain que des élèves ne commettent pas des contresens sur les blagues racistes que s'envoient les personnages, qu'il faut prendre avec distance.

Bref, "Gran Torino" ne serait exploitable qu'à travers une forte préparation pédagogique, en amont et en aval de la projection, un investissement important des enseignants. Sinon, la richesse du film sera appauvrie par le regard de pur spectateur de l'élève, sa complexité sera transformée, par ce même regard, en caricature, en facilité.

Tout cela pose le problème plus général de l'exploitation de l'image. Certains enseignants s'y refusent, reléguant le cinéma à une distraction sans vertu pédagogique. Je ne suis pas loin de penser que tout peut être pédagogique, pourvu que le pédagogue soit là et qu'il en maîtrise le sens. A tel point que les erreurs de l'élève sont parfois plus pédagogiques que ses réussites (à condition de ne pas en abuser!).

La première difficulté, comme souvent, c'est de vaincre l'habitude, le préjugé: l'élève hors de sa classe, et plus encore dans une salle de cinéma, a le sentiment qu'il n'est plus dans un cadre scolaire, qu'il n'a plus affaire à un travail, que vient de s'ouvrir pour lui en quelque sorte une récréation, une parenthèse, une suspension du cours. L'enseignement par l'image est plus difficile, plus exigeant que par la parole ou par le livre, parce l'image est immédiatement associée à un loisir. Mais l'école n'est-elle pas là pour faire mentir les idées fausses et amener l'élève à travailler, quel que soit le support de ce travail?

dimanche 1 mars 2009

U ou oignons.

Dans l'Education Nationale comme ailleurs, il y a une recherche de sens. Enseigner oui, mais pourquoi? Ce sont de grandes interrogations métaphysiques, qui commencent par des problèmes très terre à terre. Et puisqu'il est question de la recherche de sens, celle-ci commence par le sens... des tables. Mais oui! Un cours, c'est un peu la messe: il faut savoir comment on va organiser le rituel, installer le public.

De ce point de vue, la disposition des chaises et des tables est un élément essentiel. Il y a une géographie de la salle de classe, à laquelle il faut prendre beaucoup de soin. Deux écoles s'affrontent, deux lignées de professeurs s'opposent:

- Il y a les partisans, très classiques, des rangs d'oignons. Des lignes de tables, parallèles, strient la classe. C'est le rangement éternel et universel, de l'école primaire au lycée.

- Il y a les partisans, plus modernes, de la disposition en U, souvent en double U, selon le nombre d'élèves. Le bureau du professeur se trouve alors en haut des deux barres du U. C'est une organisation moins fréquente.

Et moi, j'en pense quoi et je fais quoi? Rien du tout! Je prends la salle de classe telle qu'elle m'est donnée, telle que mon prédécesseur me la laisse. Pourquoi cette indifférence? Parce que les deux méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients:

- Les parallèles ont l'avantage de concentrer l'attention des élèves sur le seul professeur. Ce ne sont que le dos de leurs camarades qui s'offre à leur vue. Toute tentative de bavardage oblige à se retourner, est donc très vite repérée. L'inconvénient, c'est que la participation des élèves est quasi impossible. Quand l'un prend la parole, seul le professeur entend vraiment, car la voix porte vers lui. Les autres élèves alors ne se sentent pas concernés par l'échange et finissent par décrocher.

- Le U, au contraire, favorise la participation des élèves et la bonne écoute de toute la classe. C'est pourquoi il est souvent pratiqué par les professeurs de langues, pour qui l'intervention orale de la classe est obligatoire. De plus, le professeur peut rapidement circuler à l'intérieur du U. Il maîtrise ainsi mieux la classe. Quand les parallèles ne sont interrompues que par une seule allée, quand elles se terminent par un mur ou un radiateur, les élèves astucieux peuvent s'installer dans d'appréciables zones de tranquillité et de confort plus favorables au farniente qu'au travail, et qui échappent au contrôle du professeur.

Mais l'inconvénient de la salle en U, c'est que les élèves se voient les uns les autres, sont prompts à communiquer, par gestes, par regards, à l'occasion de n'importe quel petit incident. L'attention est vite dissipée, ou plutôt elle est vite sollicitée par autre chose que le cours. Voilà pourquoi, U ou oignons, je ne choisis pas, je prends la salle comme elle est.