vendredi 5 décembre 2008

Mon téléthon.

Chaque année, le téléthon me demande une animation café-philo, au foyer de vie de l'APF, association des paralysés de France. C'est impressionnant, pour qui assiste à sa première séance. Des fauteuils roulants, des personnes qui ont vocalement du mal à s'exprimer et, pour moi, une animation pas comme les autres, délicate, difficile, mais réussie.

Il y a quelque chose de miraculeux et d'enthousiasmant à constater que l'acte de penser est une pratique universelle, qu'on peut être meurtri dans son corps et garder l'esprit intact. Même ceux dont la parole, elle aussi, est handicapée peuvent tirer une réflexion de leur cerveau. L'interlocuteur doit certes être attentif, patient, s'adapter, mais quel bonheur de voir qu'un échange se produit, que la pensée circule d'esprit à esprit, que les corps sont quasiment oubliés.

Bien sûr, le sujet, choisi avec le directeur de l'établissement, a trait à la vie des résidents. C'est donc une réflexion dans la douleur d'une existence pas facile, mais c'est aussi une réflexion dans la joie d'exister, de se retrouver, de passer un bon moment. Le philosophe Spinoza dénonçait les passions tristes et assignait comme but à la sagesse la recherche de la joie. C'est aussi l'objectif du café-philo, dans quelque endroit qu'il se produise.

A l'APF, la question était la suivante: qu'est-ce que vivre dans la dignité? Pas évident, ce thème... Mais nous avons tenu plus d'une heure là-dessus, et parce qu'il fallait bien que ça s'arrête! Qu'est-ce qui donne à l'homme sa dignité? L'argent, le travail, la santé, l'amour? Ou bien, tout simplement, ce qu'est chacun d'entre nous, un être humain et unique, et qui fait notre dignité.

Pour préparer ce café-philo, je suis allé voir dans les textes. La dignité est un mot, une valeur, dont l'usage moral est récent. Le terme est surtout utilisé après la seconde guerre mondiale, dans les déclarations des droits de l'homme. Avant, on lui préfère la notion de respect. Dignité, c'est beaucoup plus fort. Je ne peux pas m'empêcher de penser que les horreurs de la guerre et la barbarie du génocide ont favorisé ce retour de ce sentiment quasi vital, la dignité.

Autre raison de cette renaissance: le développement de la bio-éthique, avec les progrès de la génétique, qui remettent en cause l'identité humaine et qui invitent à redécouvrir d'urgence la dignité de l'homme. Mais ce concept n'est pas entièrement positif: par ces temps de grand froid et de verglas, je peux glisser dans la cour du lycée, me retrouver à quatre pattes comme une bête, devenir la risée des élèves et perdre ainsi ma dignité de professeur de philosophie! Alors, la dignité n'est plus que le paravent de la vanité et de l'orgueil.

J'ai osé parler d'Emmanuel Kant, parce que le directeur voulait absolument que je fasse mon prof de philo, alors que j'aurais préféré me cantonner à mon rôle habituel d'animateur (ce qui en soi est tout un boulot, faire parler les gens). Mais quand on a un prof sous la main... De Kant, j'ai brièvement exposé sa théorie morale, qui répond à la question: qu'est-ce qu'une attitude digne? C'est une attitude universalisable, que n'importe quel homme peut revendiquer et pratiquer pourvu qu'il ne nuise pas à lui-même ou à autrui. C'est, tout simplement, une attitude humaine.

A l'année prochaine, ou plus tôt si vous le souhaitez, amis de l'APF!

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