jeudi 25 décembre 2008

Le pouvoir d'un prof.

Je ne sais pas si un prof est un homme de pouvoir (je ne crois pas, en fait). Mais c'est incontestablement un homme qui a du pouvoir, qui exerce une autorité, qui assume une responsabilité. C'est même le plus absolu de tous les pouvoirs absolus! Connaissez-vous quelqu'un qui soit en situation de se faire obéir par une trentaine de personnes qui vont écouter, noter et faire sans broncher ce que vous leur demandez de faire? Cherchez, vous aurez du mal à trouver.

Mais quel est exactement ce pouvoir? Ce n'est sûrement pas un pouvoir concédé par le prestige de la fonction! Il faudrait être vaniteux et aveugle pour le croire. Les élèves passionnés par leur prof, ça doit exister, mais ils ne sont vraiment pas nombreux. Et c'est normal: un prof n'a pas à être un personnage charismatique qui aurait pour charge de séduire ou subjuguer ses classes. Cela serait-il que je m'en inquiéterais plus que je m'en réjouirais. Les élèves sont présents pour travailler et leur prof pour les faire travailler. C'est tout.

Généralement, on pense que le pouvoir d'un prof est dans l'autorité qu'il fait régner sur sa classe, les contraintes qu'il impose aux élèves. Je ne crois pas non plus. Car cette autorité dépend moins d'un individu que d'un contexte, d'une atmosphère, d'un établissement, de l'institution. L'élève, quand il franchit la porte, sait qu'il n'est plus dans la vie ordinaire, qu'il est entré dans un autre monde, avec ses lois propres. Ce sont celles-ci qui font le pouvoir dont l'enseignant n'est que l'instrument. La sonnerie qui découpe et organise le temps, c'est elle le pouvoir, auquel se soumettent les lycéens. Le bureau, l'estrade, le tableau noir, l'appel en début de cours, c'est l'apparat, l'apparence du pouvoir des profs. Sa réalité est ailleurs. Mais où?

Je vais vous le dire: le pouvoir n'est pas dans nos établissements, mais chez nous, comme moi, en ce jour de Noël, dans ma salle de séjour. Ne vous étonnez pas: en politique, le vrai pouvoir est invisible, ce n'est pas celui qu'on montre et qui se montre. Alors quel pouvoir du prof? Celui qu'il a quand il corrige ses copies et s'apprête à les noter. Oui, le voilà, le seul, le vrai, l'unique, le terrible pouvoir d'un enseignant.

Et si beaucoup d'entre eux n'aiment pas corriger les copies, trouvent ce travail fastidieux, ce n'est pas pour ce qu'on croit, par paresse, mais parce qu'ils se refusent à ce pouvoir, l'acceptent tant bien que mal. Et pourquoi? Parce qu'un pouvoir est toujours quelque chose de terrible à assumer. Qu'un homme, même qualifié, en juge d'autres, même jeunes et inexpérimentés, à travers une simple note, un ou deux chiffres en haut d'une copie, c'est terrible, ça a toujours quelque chose de fragile et d'injuste.

Je le sais, j'en fais à nouveau l'expérience cet après-midi. Je ne conteste pas la nécessité de l'évaluation. Je dis simplement que notre pouvoir réside dans cet acte. Nous allons attribuer à un devoir une note qui va participer à une moyenne, elle-même contribuant au profil général de l'élève dans son bulletin, et le tout va décider de son avenir, par exemple de son admission dans telle école, pour telle formation. Ce n'est pas un pouvoir de vie et de mort, mais on n'en est pas très loin. C'est au moins un pouvoir de bien ou de mal, quand on apprécie positivement ou négativement un élève.

Si la correction des copies ne débouchait pas sur leur évaluation, elle serait un travail presque agréable, un échange entre l'élève et le prof, l'un rédigeant, l'autre annotant. C'est la note qui change tout. Elle est une gratification ou une condamnation, dans les deux cas sans appel. L'évaluation est la couronne, le sceptre et le trône du professeur. Quand il distribue les bons et les mauvais points, la classe a compris que la rigolade était finie, que la gravité l'emportait. C'est pourquoi le silence se fait, chacun retient son souffle. C'est le moment solennel, le moment où le pouvoir du prof s'exprime dans toute sa puissance et toute sa splendeur.

Allez, j'y vais, je m'y remets, direction ma nappe rouge pleine d'étoiles et de houx. Puisse l'esprit de Noël, dans son indulgence et sa justice, m'inspirer pour cette lourde tâche qui consiste à exercer un pouvoir, en l'occurrence à noter des élèves.

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