dimanche 30 novembre 2008

Un fait rare.

Avant de commencer ce billet, une petite pensée: c'est le centième de ce blog lancé à la mi-août, que j'essaie de remplir quotidiennement et qui est, d'après les réactions qui me reviennent, beaucoup consulté. Le fait rare qu'annonce ce centième titre, c'est le rendez-vous avec des parents. Depuis quatorze ans au lycée Henri-Martin à Saint-Quentin, ça ne m'arrive quasiment jamais, et quand cela se fait, ce n'est pas plus d'une fois par an.

Pourquoi? D'abord parce qu'il y a la traditionnelle rencontre parents-professeurs en début janvier, qu'attendent les familles pour faire part de leurs doléances. Ensuite parce que les parents, contrairement à ce qu'on croit, ne se mêlent guère du contenu et du déroulement des cours. S'ils ressentent parfois le besoin d'intervenir, c'est moins pour un problème pédagogique que scolaire, matériel, administratif, et c'est la direction qui est interpellée. Même si une difficulté s'installait entre un élève et un prof, si un grief était à adresser à un enseignant, la plainte irait le plus souvent devant le proviseur, considéré comme le patron. C'est la vieille histoire qu'il vaut mieux aller voir le bon Dieu que ses saints.

Mais surtout, en Terminale, les élèves qui ont 17 ou 18 ans sont autonomes. Les parents se sentent moins le droit et le devoir d'intervenir, à la différence du collège. Le corps enseignant, contrairement là encore à ce qu'on croit trop souvent, est respecté, sa légitimé à régler les problèmes quand il y en a est reconnue, on lui fait confiance sans chercher à en savoir plus. D'autant que les parents en savent assez, sont correctement informés (de plus en plus et de mieux en mieux) par l'établissement.

La dernière raison que je vois à cette non intervention des parents (du moins à mon niveau et avec moi), c'est que je ne rencontre pas d'énormes ou d'anormales difficultés avec les élèves. Les mauvais résultats de certains sont sans mystère et remontent parfois à loin, les parents ne s'en étonnent donc pas et n'en attendent aucune explication particulière (qu'ils ont à vrai dire déjà).

Et puis, quand quelquefois des parents demandent à me rencontrer, ce n'est pas toujours pour ce qu'on croit, un problème, mais au contraire pour un bon élève dont les parents veulent s'entendre dire, de la bouche du professeur, qu'il est bon! Vanité bien pardonnable, à laquelle il m'est arrivé, je vous le jure, de coopérer.

En tout cas, nulle vanité, mais pas non plus, à mon avis, de gros problème dans le rendez-vous que j'ai eu avec des parents vendredi soir, car c'est là où je veux en venir dans ce centième billet. Rappelez-vous la confidence un peu troublante de cet élève (voir le billet du 16 novembre "Faire gaffe") à la fin d'un cours. J'ai donc pris contact avec les parents et nous nous sommes vus avant-hier.

La démarche de se rencontrer, c'est déjà le signe que ça ne va pas si mal que ça. C'est la preuve qu'entre l'élève et la famille, il y a communication et compréhension. Les élèves qui sont dans des situations vraiment difficiles, les parents hélas ne viennent pas et ne le souhaitent pas. C'est un peu comme chez le psychanalyste: quand on est dans son cabinet, ce premier pas équivaut à une demi-guérison.

Dans le cas présent, les notes (c'est l'élément objectif) montrent un premier devoir raté et un deuxième, surveillé, dont le résultat a été moyen. Donc rien d'anormal, pas de quoi s'alarmer. Le gros du problème est ailleurs, pas pédagogique ou scolaire mais plutôt psychologique: un jeune ne peut-il pas être perturbé par la philosophie et ses interrogations qui ne sont pas de tout repos (intellectuel)? Pour la plupart des élèves, non: ils prennent la philo comme un travail et s'y adonnent plus ou moins bien, sans états d'âme particuliers.

Mais certains esprits sensibles, prenant trop à coeur la matière, peuvent s'émouvoir de ses contenus, quand il est question de bien et de mal, d'amour et de mort, et bien d'autres choses encore qui font parfois chavirer une sensibilité. A moi de faire attention, de prendre mes précautions. Je leur ai expliqué que je mettais, dans mon enseignement, devant mes élèves, beaucoup de distance, aucun pathos ou présentation tragique (qu'on pourrait pourtant facilement imaginer, dans lesquels la philosophie pourrait se complaire).

Au contraire, j'essaie d'introduire de l'humour (qui vaut ce qu'il vaut!) et surtout je montre constamment aux élèves que la réflexion philosophique est un travail comme un autre, même s'il est vrai que ce n'est pas tout à fait un travail comme un autre. Les interrogations que nous posons, les pensées que nous développons n'ont de valeur, de pertinence, d'utilité que dans ce cadre si particulier de la classe. Mais une fois franchie la porte, une fois sorti, la vraie vie reprend ses droits, tout s'efface et ne réapparaîtra que lorsque l'élève, dans son travail à la maison ou sa participation en cours, reprendra la réflexion.

Un cours de philosophie n'est pas un cours de catéchisme. Il ne se donne pas pour objectif de sonder ni de changer les coeurs et les âmes. Ce n'est, je le répète, qu'un travail, qu'on fait parce qu'on doit le faire, et le mieux possible, tant qu'à faire. Le fin du fin, et je l'ai dit aux parents vendredi soir, ce serait de prendre ce travail comme un jeu, sérieux, mental, profond, mais rien qu'un jeu, qu'on oublie une fois qu'on l'a rangé dans sa boîte. Alors, nulle tourmente psychologique ne peut emporter le joueur, seulement la crainte de perdre ou l'espoir de gagner, c'est-à-dire ses notes dans l'année et ses résultats au bac.

Aucun commentaire: