dimanche 16 novembre 2008

Faire gaffe.

Cette semaine, après un cours, un élève est venu me voir. C'est plutôt rare, sinon pour des questions pratiques, administratives. Là, c'était pour autre chose, plus grave. Il a attendu que la salle se vide, puis s'est confié à moi: la philo l'intéresse, et de fait c'est un élève sérieux, attentif. Mais il y a quelque chose de tourmenté dans son regard et son visage. Je sens que ça ne va pas. Quoi? Il me le confie, il est venu me voir pour ça: mon enseignement le perturbe, ses parents lui disent qu'il réfléchit, qu'il pense... trop.

Je réponds quoi? On ne pense jamais assez! Et pourtant, qui sait ce que peut produire la philosophie dans la tête d'un adolescent? La philo est un travail, un jeu mais aussi une épreuve. Un prof doit le savoir, et faire gaffe. Mon premier sujet de dissertation de l'année a visiblement déstabilisé cet élève: est-on heureux en faisant le mal? Il m'avoue avoir été troublé par la question. Je reconnais que c'était un peu hard. Mais je voulais éveiller, provoquer, stimuler la classe. Le pire, c'est l'endormissement.

Intellectuellement, je ne ménage pas mes élèves. La philosophie est un sport de combat! Je veux les amener sur le ring, qu'ils s'affrontent à eux-mêmes, à leurs pensées, à leurs préjugés. Mais il faut que je fasse gaffe. Il m'arrive cependant de m'auto-censurer. L'un des sujets de devoir surveillé était, vous vous en souvenez: peut-on désirer être immortel? Ce que je ne vous avais pas encore dit, c'est que la question initiale était autre: peut-on désirer mourir? J'ai renoncé, au dernier moment: question trop dangereuse.

La philosophie est un sport de combat, mais c'est aussi un jeu périlleux. Le philosophe a le devoir de se mettre en danger, mais l'enseignant n'a pas le droit de mettre en danger ses élèves. C'est sa responsabilité. Je fais quoi avec mon élève? Je lui ai proposé une rencontre avec ses parents, pour discuter, présenter et expliquer la philosophie, dédramatiser.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Au début de cette épreuve, la brûlure d'être autrement que l'on pense être. Revoir notre histoire dans le mirroir d'une idée: irréel mais quelque peu semblable à un instant passé.Début d'une année où le coeur ironise de notre incompréhension.la philosophie est le couteau libérant se que nous ne voulons pas admettre (ATH)

varna a dit…

Un devoir proposé aux élèves au sujet de l'adage : "Deviens ce que tu es" (si ce n'est déjà fait) permettrait peut-être de jauger, chez cet élève, le danger qu'il est pour lui-même. La formule, en effet, encourage, mais encourage quoi exactement chez lui ?