dimanche 30 novembre 2008

Un fait rare.

Avant de commencer ce billet, une petite pensée: c'est le centième de ce blog lancé à la mi-août, que j'essaie de remplir quotidiennement et qui est, d'après les réactions qui me reviennent, beaucoup consulté. Le fait rare qu'annonce ce centième titre, c'est le rendez-vous avec des parents. Depuis quatorze ans au lycée Henri-Martin à Saint-Quentin, ça ne m'arrive quasiment jamais, et quand cela se fait, ce n'est pas plus d'une fois par an.

Pourquoi? D'abord parce qu'il y a la traditionnelle rencontre parents-professeurs en début janvier, qu'attendent les familles pour faire part de leurs doléances. Ensuite parce que les parents, contrairement à ce qu'on croit, ne se mêlent guère du contenu et du déroulement des cours. S'ils ressentent parfois le besoin d'intervenir, c'est moins pour un problème pédagogique que scolaire, matériel, administratif, et c'est la direction qui est interpellée. Même si une difficulté s'installait entre un élève et un prof, si un grief était à adresser à un enseignant, la plainte irait le plus souvent devant le proviseur, considéré comme le patron. C'est la vieille histoire qu'il vaut mieux aller voir le bon Dieu que ses saints.

Mais surtout, en Terminale, les élèves qui ont 17 ou 18 ans sont autonomes. Les parents se sentent moins le droit et le devoir d'intervenir, à la différence du collège. Le corps enseignant, contrairement là encore à ce qu'on croit trop souvent, est respecté, sa légitimé à régler les problèmes quand il y en a est reconnue, on lui fait confiance sans chercher à en savoir plus. D'autant que les parents en savent assez, sont correctement informés (de plus en plus et de mieux en mieux) par l'établissement.

La dernière raison que je vois à cette non intervention des parents (du moins à mon niveau et avec moi), c'est que je ne rencontre pas d'énormes ou d'anormales difficultés avec les élèves. Les mauvais résultats de certains sont sans mystère et remontent parfois à loin, les parents ne s'en étonnent donc pas et n'en attendent aucune explication particulière (qu'ils ont à vrai dire déjà).

Et puis, quand quelquefois des parents demandent à me rencontrer, ce n'est pas toujours pour ce qu'on croit, un problème, mais au contraire pour un bon élève dont les parents veulent s'entendre dire, de la bouche du professeur, qu'il est bon! Vanité bien pardonnable, à laquelle il m'est arrivé, je vous le jure, de coopérer.

En tout cas, nulle vanité, mais pas non plus, à mon avis, de gros problème dans le rendez-vous que j'ai eu avec des parents vendredi soir, car c'est là où je veux en venir dans ce centième billet. Rappelez-vous la confidence un peu troublante de cet élève (voir le billet du 16 novembre "Faire gaffe") à la fin d'un cours. J'ai donc pris contact avec les parents et nous nous sommes vus avant-hier.

La démarche de se rencontrer, c'est déjà le signe que ça ne va pas si mal que ça. C'est la preuve qu'entre l'élève et la famille, il y a communication et compréhension. Les élèves qui sont dans des situations vraiment difficiles, les parents hélas ne viennent pas et ne le souhaitent pas. C'est un peu comme chez le psychanalyste: quand on est dans son cabinet, ce premier pas équivaut à une demi-guérison.

Dans le cas présent, les notes (c'est l'élément objectif) montrent un premier devoir raté et un deuxième, surveillé, dont le résultat a été moyen. Donc rien d'anormal, pas de quoi s'alarmer. Le gros du problème est ailleurs, pas pédagogique ou scolaire mais plutôt psychologique: un jeune ne peut-il pas être perturbé par la philosophie et ses interrogations qui ne sont pas de tout repos (intellectuel)? Pour la plupart des élèves, non: ils prennent la philo comme un travail et s'y adonnent plus ou moins bien, sans états d'âme particuliers.

Mais certains esprits sensibles, prenant trop à coeur la matière, peuvent s'émouvoir de ses contenus, quand il est question de bien et de mal, d'amour et de mort, et bien d'autres choses encore qui font parfois chavirer une sensibilité. A moi de faire attention, de prendre mes précautions. Je leur ai expliqué que je mettais, dans mon enseignement, devant mes élèves, beaucoup de distance, aucun pathos ou présentation tragique (qu'on pourrait pourtant facilement imaginer, dans lesquels la philosophie pourrait se complaire).

Au contraire, j'essaie d'introduire de l'humour (qui vaut ce qu'il vaut!) et surtout je montre constamment aux élèves que la réflexion philosophique est un travail comme un autre, même s'il est vrai que ce n'est pas tout à fait un travail comme un autre. Les interrogations que nous posons, les pensées que nous développons n'ont de valeur, de pertinence, d'utilité que dans ce cadre si particulier de la classe. Mais une fois franchie la porte, une fois sorti, la vraie vie reprend ses droits, tout s'efface et ne réapparaîtra que lorsque l'élève, dans son travail à la maison ou sa participation en cours, reprendra la réflexion.

Un cours de philosophie n'est pas un cours de catéchisme. Il ne se donne pas pour objectif de sonder ni de changer les coeurs et les âmes. Ce n'est, je le répète, qu'un travail, qu'on fait parce qu'on doit le faire, et le mieux possible, tant qu'à faire. Le fin du fin, et je l'ai dit aux parents vendredi soir, ce serait de prendre ce travail comme un jeu, sérieux, mental, profond, mais rien qu'un jeu, qu'on oublie une fois qu'on l'a rangé dans sa boîte. Alors, nulle tourmente psychologique ne peut emporter le joueur, seulement la crainte de perdre ou l'espoir de gagner, c'est-à-dire ses notes dans l'année et ses résultats au bac.

samedi 29 novembre 2008

Le troisième devoir.

Journée-copies, comme je vous l'avais annoncée hier. La correction du troisième devoir, c'est aussi l'occasion de pas mal d'irritation. Au premier, l'indulgence s'impose; au deuxième, les erreurs majeures sont encore pardonnables; au troisième, elles deviennent des fautes difficilement acceptables.

Combien de fois ai-je dit à mes élèves qu'une dissertation de philosophie consistait d'abord et avant tout à répondre précisément à une question précise? Beaucoup trop ne le font toujours pas, ou ne parviennent pas à le faire. Les sujets étaient les suivants: Doit-on aimer la liberté? Faut-il se méfier de nos désirs? Il ne s'agit pas de dire tout ce qu'on pense sur la liberté et sur les désirs, mais de répondre à ces questions. C'est le b-a ba de la philosophie.

Et pour satisfaire à cet objectif, il faut PROBLEMATISER la question, repérer en quelque sorte son centre de gravité. Doit-on aimer la liberté? Il convient de s'interroger sur ce que la liberté a d'aimable... ou de détestable. Les caractéristiques de l'amour, que l'élève se doit de repérer, sont-elles applicables à la liberté? Voilà quelle est la vraie question à traiter, et non pas un blabla ou méli-mélo sur la liberté.

Même remarque, même exigence, même précision sur le deuxième sujet: pas d'inutiles considérations sur les bienfaits ou les dangers du désir, mais une réflexion qui parte de la méfiance et se demande si ce sentiment est applicable aux désirs. Est-ce si difficile? Et pourtant, beaucoup d'élèves ne le font pas, alors que j'ai lourdement insisté là-dessus.

C'est pénible, parce que certaines dissertations sont fort bien construites, correctement rédigées, très organisées, avec des idées développées, de véritables argumentations, bref quelque chose d'intéressant mais... qui ne répond pas explicitement à la question posée. Au mieux, je peux mettre 10 sur 20, mais pas au-delà, parce que l'objectif n'est pas rempli.

C'est rageant, autant pour l'élève que pour moi, car ses idées sont bonnes, et il aurait suffit qu'il les mette au service de la question posée pour que le résultat soit bien meilleur et que la note augmente nettement. A l'inverse, certains sont plus maladroits, maîtrisent moins l'écriture, développent insuffisamment leurs idées, se montrent confus, désordonnés... mais font l'effort de répondre à la question qu'on leur pose. Et ça change tout!

Il y a une coupable facilité d'échapper à ce qu'on vous demande, involontairement ou par ruse, même et surtout si on a les capacités de réflexion et de rédaction. Je ne peux pas le pardonner, je me dois de le sanctionner. Surtout lorsqu'il s'agit du troisième devoir, fait tranquillement à la maison.

vendredi 28 novembre 2008

Panique dans les têtes.

Où en suis-je dans mes corrections de copies? C'est la question que se pose régulièrement un enseignant, surtout quand les conseils de classe du premier trimestre approchent, dans dix jours en ce qui me concerne. Il faut alors boucler les moyennes, vérifier si chaque élève a bien ses trois notes (un devoir par mois). Vous connaissez ma mésaventure d'hier, où deux élèves m'ont joué un sale tour.

Il me reste des travaux à corriger, ceux des TES2 et des TL2, pour tout vous dire. Vous savez donc à quoi mon week-end va être essentiellement occupé. Car la semaine prochaine, je dois remplir les bulletins, et ce n'est pas une mince affaire. En attendant, j'ai distribué aujourd'hui à mes trois classes le prochain sujet (l'un est à peine corrigé, il faut lancer le suivant!), à rendre pour avant les vacances de Noël.

C'est ma stratégie, dont je vous ai déjà parlé à la Toussaint: profiter des vacances non pas pour partir en vacances, mais pour corriger des copies. Attention, je n'en tire ni gloire, ni fierté: je ne fais que mon métier, on me paie pour ça. Quant aux élèves, je respecte toujours le délai de trois semaines, minimum syndical en quelque sorte pour préparer, rédiger et rendre un devoir.

En distribuant les feuilles des sujets, j'ai eu droit à une question de trois élèves, à propos de l'un des sujets de dissertation: le travail contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes? Voilà ce qui m'a été demandé, et qui m'a mis en rogne: que faut-il répondre à la question? Unir ou diviser? C'était moins bien dit que ça, mais ça voulait dire ça. A quoi j'ai rétorqué: la réponse, ce n'est pas à moi de vous la donner, c'est à vous de la chercher!

En vérité, que s'est-il passé dans la tête de ces élèves, et dans la tête de combien qui sont restés silencieux? Habituellement, les questions de dissertation appellent des réponses affirmatives ou négatives. Mais peu importe, ai-je dit aux élèves en début d'année: en philo, on ne raisonne pas en oui/non, comme l'âne ferait hi han. Malgré mon avertissement, les esprits ont besoin, pour leur confort, de ces deux petits mots très tranchés, sans nuance, sans subtilité, oui/non.

Du coup, quand ils découvrent une question, à la façon de celle portant sur le travail, qui échappe à cette facile dichotomie, ils se sentent perdus. C'est malheureux mais c'est ainsi. Pourtant, à savoir si le travail nous unit ou nous divise, il n'y a pas de quoi être perturbé. Mais non, le systématisme est plus fort que tout. La réponse ne rentre pas dans les deux cases oui/non, c'est la panique dans certaines têtes.

De quoi vraiment me mettre en rogne. Comme s'il n'existait pas une gamme très riche de réponses: peut-être, à condition que, oui mais, non sauf, oui en un sens et non en un autre sens, etc. On ne répond brutalement oui ou non que lorsqu'on est dans un constat d'évidence, pas dans une recherche de vérité. Dire oui ou non, c'est passer aux aveux devant le policier ou se marier devant monsieur le maire ou monsieur le curé, ce n'est pas penser. Le "ni oui ni non", c'est le jeu préféré du philosophe.

jeudi 27 novembre 2008

Une journée pas si particulière.

Quelle journée! Deux classes, deux élèves qui n'ont pas rendu leur copie, tous les deux absents le jour de la remise des devoirs, et qui n'ont rien dit une fois rentrés. Inacceptable et stupide! Ils devaient bien savoir que je finirais par savoir... Si encore ils avaient eu l'intelligence d'inventer une excuse vraisemblable! Même pas. Je n'en reviens pas, et je suis évidemment fort en colère. Ont-ils conscience de l'image, très négative, qu'ils donnent d'eux-mêmes en agissant ainsi? Je n'en suis même pas certain.

Ces deux-là, lecteurs réguliers de ce blog, vous les connaissez: ce sont les oreilles de Mickey (voir le billet du 24 novembre "Un problème d'écouteurs") et la cavalière (voir le billet du 12 septembre "Le jockey et le vendangeur"). Ils ne sont pas méchants, pourtant. Mais pourquoi ont-ils fait ça? Deux copies non rendues sur 89 élèves, ce n'est pas beaucoup, me direz-vous. Je vous répondrais que ce sont deux de trop. Je le vis comme une violation du contrat qui me lie aux élèves: rendre son travail au jour et à l'heure. Négliger ça, c'est porter atteinte à tout le reste.

En fin d'après-midi, réunion du CVL, Conseil de Vie Lycéenne: face-à-face, 5 adultes (un prof, deux parents, une infirmière, une surveillante) et 9 élèves (dont 5 à moi). Premier point à l'ordre du jour: la visite d'un élève du CVL à Xavier Darcos, le 15 novembre, pour parler de la nouvelle classe de Seconde. Deuxième point: le budget participatif, c'est-à-dire la jolie somme que verse la Région (près de 20 000 euros) pour des activités culturelles ou des aménagements matériels demandés par les élèves. Je compte bien, par ce biais, recommencer l'offre de 30 places gratuites pour les lycéens en vue des séances du Ciné-Philo.

mercredi 26 novembre 2008

Les déçus du café philo.

"Les déçus du café philo". C'est le titre de l'article du journal L'Union, consacré au café philo de samedi à Soissons, sur le thème: savons-nous encore nous amuser? (voir le billet "Philo, philo, philo"). Comme vous, je m'attendais à une critique, peut-être à une descente en flèche. Il est vrai que la sono ne fonctionnait pas bien, que cela suffisait pour rendre inconfortable la soirée (et provoquer mon irritation). Pourtant, le public était nombreux, une vingtaine de personnes, dont quelques nouveaux. La déception viendrait-elle d'eux?

Mais non, l'article est positif, et son titre doit être compris au second degré. Je vous cite le début:

"Parmi les déçus du café philo de la rue Charpentier doivent figurer ceux qui espèrent y trouver une réponse."

Et la fin de l'article:

"On aura compris, aucun consensus n'est obtenu, et ce n'est pas le but. Cette démarche philosophique sert à secouer les idées, à rendre intriguant ce qui pouvait paraître banal. Le café philo fait venir les gens avec une question, et les renvoie avec un questionnement. D'où son utilité citoyenne et démocratique."

Le journaliste a tout compris! Je ne saurais mieux dire. Moi aussi, parfois, je suis en butte à l'incompréhension de certains participants, qui saisissent mal et n'adhèrent pas à l'esprit café philo. Ils me réclament des références (ce n'est pas une conférence), ils voudraient un ordre précis (ce n'est pas un cours), ils souhaiteraient que je guide les débats (je ne suis pas ici professeur mais animateur), ils s'attendent à une conclusion (je n'ai aucun message à délivrer).

Le café philo, c'est la liberté d'échanger, le plaisir de se retrouver, rien de plus, rien de moins. Ca s'appelle café philo parce que le lieu est un café, que le sujet est philosophique et que l'animateur est prof de philo. Mais la comparaison s'arrête là. Et c'est suffisant. Après tout, la déception est une forme de pédagogie, le moyen de perdre ses illusions. De ce point de vue, elle est une étape de la philosophie.

mardi 25 novembre 2008

La Salle des Conseils.

La Salle des Conseils, c'est un terme très élyséen, qui désigne, dans mon lycée, la salle de réunion où se tiennent les conseils de classe, les conseils d'administration et toute sorte de réunions. Nous aurions pu l'appeler salle Henri-Martin, d'autant que le buste du personnage qui a donné son nom à l'établissement domine cette salle. Mais ça n'aurait guère été original. Quant à "salle de réunion", c'est d'un commun qui n'a pas sa place chez nous (plaisantons un peu, bien sûr...).

Ceci dit, c'est une magnifique salle, rénovée il y a plus de dix ans, et qui est encore comme neuve. Une grande table ovale, style conseil des ministres, occupe tout l'espace. Au fond, c'est la partie réservée à la direction, au dessous de deux drapeaux, français et européen. Au mur, il y a de jolis tableaux, qu'on peut toujours regarder quand on s'ennuie. Sinon, il ressort de cette salle une ambiance de chaleur, le bois de la table et du plancher y sont je crois pour quelque chose.

C'est surtout une salle qui donne le sentiment qu'il s'y passe des évènements importants, officiels, solennels, comme celui de ce matin, 11h00. Le chef d'établissement rencontrait un autre chef d'établissement, le proviseur du lycée européen de Villers-Cotterêts, pour signer une convention entre les deux établissements, qui permettra des échanges, des jumelages et des voyages, jusqu'en Chine! Ce matin, le vaste monde était convoqué dans la Salle des Conseils.

La scène m'évoquait une rencontre au sommet, entre chefs d'Etat, flanqués de leur Premier ministre, s'apprêtant à conclure une alliance, sous le flash d'un seul photographe, celui du journal L'Union. Mais qu'est-ce qui distingue un proviseur d'un proviseur-adjoint? L'un est plus âgé, l'autre plus jeunot. Détail amusant, l'adjoint de Villers est le portrait craché de Jean-Luc Mélenchon rajeuni!

Et moi, qu'est-ce que je faisais là? Les membres du conseil d'administration étaient conviés à la petite cérémonie, ainsi que les profs de langues. Mais j'ai raté le pot de l'amitié. Je devais filer à Hirson, pour animer un débat avec des lycéens, dont je vous parlerai peut-être demain.

lundi 24 novembre 2008

Un problème d'écouteurs.

J'ai deux élèves, sur 89, qui arrivent en classe avec deux énormes écouteurs autour du cou. On dirait des oreilles de Mickey. Ca les fait ressembler à des personnes travaillant à la radio ou dans un cockpit d'avion. C'est très bizarre, mais je suis sans doute le seul à trouver ça très bizarre. L'un de ces casques est d'un rose très voyant. Ces élèves ne s'en servent pas, du moins devant moi. D'autres élèves, dans le lycée, se baladent certes avec des écouteurs, mais ce sont de petits fils discrets à l'oreille.

Les deux élèves en question travaillent normalement, me semble-t-il. Rien en eux, pour le moment, ne trahit une certaine distraction. Il n'empêche que cette image qu'ils donnent d'eux-mêmes n'est pas vraiment positive. Porter un casque musical signifie qu'on a écouté ou qu'on va écouter de la musique, à l'intérieur de l'établissement, entre deux cours ou à la récréation.

Est-ce choquant? Pas vraiment, nous avons un foyer avec billard et télévision allumée. Le lycée n'est donc pas un lieu intégralement consacré au travail. Un peu de divertissement y a sa part, de fait. Mais l'exhiber aussi ostensiblement est peut-être aussi contestable que l'affichage d'un signe religieux. Les écouteurs pourraient rester dans le sac. Mais comme ils sont vraiment gros, je suppose qu'il y a un problème de place.

Et puis, sortir son portable après le cours, est-ce mieux? Pas certain. Pourtant, cela se fait, et chez moi, il n'y pas pour autant trouble à l'ordre scolaire. Moi aussi, il m'arrive de téléphoner, sans me cacher. Le problème de ces écouteurs (si problème il y a!), c'est comme la dimension d'une croix ou d'une médaille, c'est leur grosseur. Je ne dirais pas qu'ils font du prosélytisme, mais leur présence est tellement visible et incongrue dans une salle de classe qu'elle passerait presque, aux yeux d'un enseignant mal intentionné, pour une revendication ou même une provocation. C'est qu'ils sont gros, vraiment gros, ces écouteurs, et qu'ils font une drôle de tête à ceux qui les portent!

Je pourrai les interdire, exiger la discrétion, mais encore une fois, ce que je vois moi, personne ne semble le remarquer ni s'en offusquer. Donc je laisse faire. Mais si tous les élèves venaient avec cet attirail autour du cou, la situation deviendrait surréaliste et franchement gênante. Le philosophe Emmanuel Kant nous explique qu'une proposition est moralement acceptable quand elle est universalisable. Là, ce n'est pas le cas! Mais j'ai choisi de ne rien dire parce que, encore une fois, il n'y a pas trouble à l'ordre scolaire, et c'est pour moi l'essentiel. Et puis, en interdisant les deux machins, peut-être que je créerais un problème qui n'existe pas, sinon que pour moi. Allez savoir...

dimanche 23 novembre 2008

Philo, philo, philo.

Mon début de week-end a été philosophiquement chargé. J'ai animé trois cafés-philo en deux jours. Heureusement, jeudi soir, à Saint-Quentin, c'est Alain qui a assuré la "gestion" de la séance, moi seulement présent en tant que participant (je devais me rendre, avant la fin, à la conférence de Jean-Louis Debré, dont je vous ai parlé).

Premier café-philo: à Guise, mon rendez-vous mensuel au Centre social, dans l'atelier d'insertion des jeunes femmes rmistes. On rit et on réfléchit beaucoup. Pour ces personnes en marge, la rencontre avec un prof de philo, ce n'est pas rien, c'est une ouverture sur tout un monde qui leur fait du bien, auquel elles ont droit. Le sujet de ce vendredi après-midi: L'humanité est-elle condamnée à disparaître? Pas facile...

Qu'est-ce qui pourrait faire disparaître l'humanité? Un cataclysme naturel (tout le monde a à l'esprit le tsunami), la folie des hommes (une guerre nucléaire), la révolte des animaux (ne parle-t-on pas d'abeilles-tueuses?), la maladie (on a connu la peste et le choléra), la faim, la pénurie (d'eau par exemple)... La science-fiction évoque souvent la disparition de l'humanité, notamment par l'invasion d'extra-terrestres. Mais on n'y croit pas vraiment. Et puis, cette histoire de fin du monde, ne serait-ce pas un mauvais coup de la religion?

Et si l'humanité disparaissait d'elle-même? En ne se reproduisant plus (ou pas suffisamment). Ou bien en se métamorphosant, par les manipulation génétiques: une surhumanité idéale mettant fin à notre vieille humanité imparfaite. Réjouissant ou inquiétant? Un intervenant a mis tout le monde d'accord: dans cinq milliards d'années, le soleil va exploser et détruite notre planète. Mais d'ici là, peut-être que l'humanité aura colonisé l'univers?

Deuxième café-philo: le vendredi soir, à Essigny-le-Grand, à la demande de l'association Généalogie-Aisne. Vous devinez bien sûr le thème: Se connaît-on mieux quand on connaît sa généalogie? Rires, bonne humeur, apéritifs et petits gâteaux, une soirée philosophique réussie. Après tout, dans le Banquet de Platon, on boit, on rit, on s'amuse aussi. L'austère philosophie, c'est bon pour le lycée! Et encore... Avec nos généalogistes, nous tenons surtout à dénoncer les préjugés qui leur collent à la peau et à s'interroger sur cette passion contemporaine, au beau milieu d'une société individualiste qui a moins d'égards que par le passé envers la famille.

Troisième café-philo: samedi soir, à Soissons, au Havana Café, sur le thème: Savons-nous encore nous amuser? Je ne sais pas, mais nous nous sommes bien amusés à y réfléchir... Je vous laisse picorer dans quelques questions que nous nous sommes posés:

- L'amusement est-il une perte de temps?
- Le sérieux et l'amusement sont-ils compatibles?
- L'amusement est-il nécessaire au bonheur?
- Y a-t-il des amusements tristes et tragiques?
- L'amusement est-il réservé aux enfants?
- Peut-on s'amuser tout seul?
- La fête est-elle le sommet de l'amusement?
- L'Etat est-il chargé de nous amuser?
Etc

Nous avons prolongé l'amusement au restau, où Jean-Louis, prof d'histoire, s'est livré à une attaque en règle contre l'orthographe de notre langue, absurde et discriminatoire, lui préférant l'écriture phonétique. C'est rare d'entendre un prof dire ça. Pour la plupart, l'orthographe est une vache sacrée. Et sacrément vache! (je m'amuse, quoi...)

vendredi 21 novembre 2008

Sortie scolaire.

C'était hier grève, que j'ai suivi, mais mes élèves devaient rencontrer le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré: je les ai donc accompagnés. Sortir du lycée, c'est toute une aventure. Il faut l'autorisation des parents, puis faire très attention, partir groupé, veiller qu'aucun élève ne s'égare, être prudent quand on traverse une rue.

Arrivé au lieu de rencontre, le Palais de Fervaques, je m'élance dans la vaste salle où s'installent rapidement 400 à 500 élèves. Je pousse mes élèves à occuper les premiers rangs. France 3 est là (ils m'ont appelé le matin), et puis, c'est plus simple pour poser les questions. Enfin, les gros bataillons de Saint-Jean, l'établissement privé, occupent largement le terrain. Il faut les devancer et les contourner, en s'installant devant. Vive la Laïque!

Jean-Louis Debré est un excellent pédagogue et un grand républicain. Ses propos ne lassent pas une minute, ses idées me ravissent: sur l'école, la laïcité, la République, les institutions, l'Europe, je suis en gros d'accord, alors que nous ne sommes pas du même bord. Mes élèves sont très concentrés, n'en perdent pas une miette.

Je les observe discrètement: c'est beau à voir, un visage concentré. Tout l'effort de l'esprit alors apparaît. Je ne crois pas que ce soit le contenu du discours qui retient leur attention, mais plutôt le personnage: ils sont face à un homme important, cela se sent, et c'est peut-être la première fois de leur vie. Une sorte de fascination s'exerce.

Au moment des questions, les mains se lèvent. Je leur ai préparé un petit papier, qu'ils n'ont plus qu'à lire (mais ce sont eux qui ont préparé et choisi les questions). Deux élèves ont finalement pu s'adresser au président du Conseil constitutionnel. Elles sont contentes, et même sans doute un peu fières. Mission réussie: ce jour, parmi les élèves, quelque chose aura passé. C'est l'essentiel.

jeudi 20 novembre 2008

Joie à l'IUTA.

Il m'arrive, trois à quatre fois par l'an, d'aller donner une conférence devant l'IUTA, à Laon. La dernière fois, c'était vendredi. L'IUTA, c'est l'Institut Universitaire Tous Ages, qui dépend de l'Université Jules Verne d'Amiens. Le public est plutôt senior, très emballé par la philo, prompt à intervenir, à participer. Ces rencontres sont pour moi, comme tout acte d'enseignement, de transmission, un moment de joie. Vendredi, je leur ai parlé des philosophes et de la mort, et à nouveau, c'était très joyeux.

J'ai commencé par évoquer, dans une première partie, les questions et problèmes philosophiques que pose la mort:

- La mort est-elle vraiment une interrogation philosophique? Ne devrait-elle pas être laissée à la médecine ou à la religion?
- C'est quoi exactement la mort? Une fin ou un commencement? Une tragédie ou une libération? Une façon d'être ou un néant?
- Son problème psychologique, c'est plus la mort de l'autre, le scandale de son absence, que la mort de soi.
- Son problème moral, c'est le comportement à adopter face à la mort: peur ou sérénité?
- Son problème social, c'est la place qu'on accorde aux morts dans la société, la ritualisation de cet évènement qu'est la mort.

Ma deuxième partie s'est intéressée à la mort chez les philosophes, leur attitude, leur analyse et leur solution:

J'ai ouvert ce chapitre sur deux morts célèbres: celle de Socrate, condamné à boire la cigüe et qui se préoccupe, dans son dernier souffle, de savoir comment régler une dette (l'achat d'un coq!), celle du stoïcien Sénèque, qui met fin à ses jours sur ordre de son maître Néron, en s'ouvrant lentement les veines dans un grand bain tiède.

Epicure, lui, tient trop au plaisir de la vie pour y mettre volontairement un terme. Il assène ce jugement extraordinaire, dans sa Lettre à Ménécée: "Le plus terrifiant des mots, la mort, n'est rien par rapport à nous, puisque, quand nous sommes, la mort n'est pas là, et, quand la mort est là, nous ne sommes plus."

Et puis, j'en viens au sombre XVIIème siècle, où la peinture, à travers ses "vanités", aime à représenter la mort, Pascal conseillant sa méditation, alors que Spinoza pense exactement le contraire: "Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu'à la mort, et la sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie." (Ethique, IV, proposition LXVII)

Le XIXème est plus optimiste, scientiste, rationaliste: Nietzsche nous parle certes de la mort, mais de celle de Dieu (prologue du Zarathoustra); Hegel, lui, s'intéresse à la mort des civilisations, qui n'a rien de tragique puisque c'est le mouvement même de la vie, le moment négatif de l'Histoire qui annonce un moment positif.

Au XXème siècle, guerres et génocides mettent la mort en avant. Qui de mieux que Freud pour nous expliquer que l'homme est victime d'une pulsion de mort, la recherche d'un plaisir morbide, thanatos plutôt qu'eros, la baisse de tension, le repos qui est aussi celui, éternel, de la mort. La "petite mort": n'est-ce pas ainsi qu'on qualifiait l'orgasme?

J'ai terminé, trop rapidement, faute de temps (la conférence dure deux heures), sur la perception de la mort dans la société contemporaine: exaltation de la jeunesse, disparition du cadavre, marginalisation du cimetière, et pourtant, les débats de société depuis trente ans nous parlent de la mort, avortement, peine de mort, euthanasie.

mercredi 19 novembre 2008

Fin de trimestre.

Une élève m'a posé ce matin la question: monsieur, une rumeur dit que vous feriez grève demain. Est-ce vrai? Je réponds que oui, que c'est vrai, mais que je serai quand même présent dans l'après-midi pour accompagner mes Premières à la rencontre avec Jean-Louis Debré. C'est fou comme on peut rendre heureux un lycéen quand on lui dit ça, que demain le prof ne sera pas là. Certains ont du mal à contenir leur joie, c'est physique et plus fort qu'eux. Personne n'échappe à ce phénomène, même les bons élèves, qui sont gagnés autant que les autres par l'allégresse.

Elève, j'étais pareil. Chaque matin, nous allions voir au tableau des absences, et parfois le miracle s'accomplissait: le nom de tel prof était inscrit à la craie, avec la mention magique: absent!

Demain, je vais profiter de la journée de grève pour... travailler. J'ai trois paquets de copies à corriger qui m'attendent. Eh oui, je suis sorti il y a peu de temps d'une série de corrections (c'était pendant les dernières vacances), je recommence. Quand on donne un devoir par mois, une correction en cache souvent, et rapidement, une autre. Les sujets du dernier devoir (à la maison): doit-on aimer la liberté? Faut-il se méfier de nos désirs? Et un texte de Kant.

Ce sera la troisième et dernière note du trimestre. Les conseils de classe s'annoncent. Il va bientôt falloir songer à remplir les bulletins. Il me reste moins de quinze jours pour ça. Le premier trimestre tire sur sa fin. C'est le seul trimestre qui semble long. Après, janvier et la suite, tout va très vite, on se laisser emporter vers la fin de l'année, comme en pente douce. C'est aussi parce que c'est le trimestre des débuts, toujours difficiles, toujours pleins d'espoir. Ensuite, la fatalité paraît l'emporter, comme si les jeux étaient faits. Ce qui est, bien entendu, faux.

mardi 18 novembre 2008

L'art et la manière.

Très beau film à mon Ciné-Philo de ce mois: "Séraphine", de Martin Provost. Public nombreux aussi: 75 spectateurs. Mais pas d'élèves. Vraiment dommage, d'autant que nous travaillons en ce moment avec les Littéraires sur "l'art", et que la moitié de la classe suit l'option arts plastiques. Toute petite déception aussi pour le débat qui a suivi: les interventions étaient certes riches et éclairantes, mais il a manqué la pointe de polémique qui fait le sel d'un bon débat.

J'ai pourtant essayé de provoquer un peu, comme il faut le faire dans toute animation digne de ce nom. En vain. Est-ce parce que l'art porte à la dévotion? J'ai voulu remettre en question le personnage de Séraphine, j'ai tenté une critique du film, dont le succès vient peut-être de ce qu'il laisse croire à chacun qu'il pourrait être grand artiste, emporté par le souffle du génie et de l'inspiration! A l'image de Séraphine, une brave campagnarde qui égale les grands maîtres. Mais ma provoc n'a pas pris.

A propos d'art, que faisons-nous en classe? J'ai choisi malicieusement deux sujets presque inverses: peut-on être indifférent à la beauté? L'art doit-il s'intéresser à la laideur? Pas facile, l'art en philosophie. Il faut bien que les élèves aient quelques références, qu'ils n'ont pas toujours. Et puis, comprendre pourquoi une oeuvre est belle, c'est très complexe. Souvent, la tentation est grande de se rabattre sur la subjectivité. Mais ce n'est pas ainsi qu'on fait de la bonne philosophie.

lundi 17 novembre 2008

Syndicalisme enseignant.

Nous avons enfin des panneaux syndicaux dans la nouvelle salle des profs. Un peu petits, mais bon, faisons avec ce qu'on a. J'ai tout de suite occupé le premier de la série, pour le syndicat que je représente, le SE-UNSA. La meilleure place, quoi! Ca tombait bien: il y a grève jeudi dans l'Education Nationale, pour protester notamment contre le budget 2009. Je l'ai donc annoncé sur mon panneau.

Et puis, j'ai distribué l'appel des syndicats (même le SNALC, classé plutôt à droite, sera dans la rue!) dans chaque casier. 150 en tout. Pour ça, je passe en salle des profs après 18h00, quand presque tout le monde est parti. Pendant les pauses (5 minutes) ou les récréations (15 minutes), le temps est insuffisant. Il suffit qu'on cause avec un collègue, et la distribution est fichue.

Ce soir, il y avait quand même quelqu'un, à 18h45, une collègue se servant de la photocopieuse (pour ça aussi, mieux vaut venir le soir). C'est une jeune stagiaire, qui va muter à la prochaine rentrée, et qui m'a interrogé sur ce qu'elle devait faire. J'ai essayé de répondre au mieux, et je l'ai renvoyée sur notre commissaire paritaire (c'est-à-dire le représentant du personnel au niveau de l'académie).

Grandeur et misère du syndicalisme enseignant, et depuis fort longtemps: nous devrions être une force de revendications et de propositions (comme lors de la grève de jeudi), et non pas ce que nous sommes beaucoup trop devenus, une sorte d'administration-bis qui informe les nouveaux enseignants sur les règles de mutation, une société-conseil, un prestataire de service.

Pendant que j'y suis: ne dites pas à mes élèves que je fais grève jeudi, ils seraient trop contents! Et puis, je serai quand même là dans l'après-midi, quoique gréviste, puisque je dois accompagner mes élèves de Première à la rencontre de Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel.

dimanche 16 novembre 2008

Faire gaffe.

Cette semaine, après un cours, un élève est venu me voir. C'est plutôt rare, sinon pour des questions pratiques, administratives. Là, c'était pour autre chose, plus grave. Il a attendu que la salle se vide, puis s'est confié à moi: la philo l'intéresse, et de fait c'est un élève sérieux, attentif. Mais il y a quelque chose de tourmenté dans son regard et son visage. Je sens que ça ne va pas. Quoi? Il me le confie, il est venu me voir pour ça: mon enseignement le perturbe, ses parents lui disent qu'il réfléchit, qu'il pense... trop.

Je réponds quoi? On ne pense jamais assez! Et pourtant, qui sait ce que peut produire la philosophie dans la tête d'un adolescent? La philo est un travail, un jeu mais aussi une épreuve. Un prof doit le savoir, et faire gaffe. Mon premier sujet de dissertation de l'année a visiblement déstabilisé cet élève: est-on heureux en faisant le mal? Il m'avoue avoir été troublé par la question. Je reconnais que c'était un peu hard. Mais je voulais éveiller, provoquer, stimuler la classe. Le pire, c'est l'endormissement.

Intellectuellement, je ne ménage pas mes élèves. La philosophie est un sport de combat! Je veux les amener sur le ring, qu'ils s'affrontent à eux-mêmes, à leurs pensées, à leurs préjugés. Mais il faut que je fasse gaffe. Il m'arrive cependant de m'auto-censurer. L'un des sujets de devoir surveillé était, vous vous en souvenez: peut-on désirer être immortel? Ce que je ne vous avais pas encore dit, c'est que la question initiale était autre: peut-on désirer mourir? J'ai renoncé, au dernier moment: question trop dangereuse.

La philosophie est un sport de combat, mais c'est aussi un jeu périlleux. Le philosophe a le devoir de se mettre en danger, mais l'enseignant n'a pas le droit de mettre en danger ses élèves. C'est sa responsabilité. Je fais quoi avec mon élève? Je lui ai proposé une rencontre avec ses parents, pour discuter, présenter et expliquer la philosophie, dédramatiser.

jeudi 13 novembre 2008

Une journée comme une autre.

De 8h00 à 11h00 (oui, trois heures avec la même classe), la moitié des élèves étaient absents, l'option arts plastiques, partis faire une visite à Paris. J'ai découvert ça ce matin, personne n'a prévenu, sauf une élève, hier, avant de partir, qui m'a informé. Pas normal, bien sûr.

De 11h00 à 12h00, en ECJS (instruction civique, je rappelle), nous avions un journaliste avec nous, du Courrier Picard, qui va faire un papier sur la préparation de la venue de Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, la semaine prochaine. Avec les élèves, nous avons préparé les questions à lui poser. Parmi celles-ci: combien gagnez-vous? Inévitable...

Toujours en ECJS, une élève me demande, le plus naturellement du monde, quand est fêtée la sainte Catherine. Je ne sais pas, une autre répond à ma place. Et on fait quoi à cette date? Une élève affirme qu'on offre des fleurs, une autre qu'on lance des cailloux. Marrant...

Avec les S, de 14h00 à 16h00, la réflexion porte sur le désir d'immortalité (c'est le corrigé du devoir surveillé). J'explique que vouloir et avoir des enfants est une forme d'accès à l'immortalité, par le prolongement biologique de soi, à travers sa descendance. Je soutiens que la raison obscure de procréer est peut-être celle-là. Une main se lève, un élève n'est pas convaincu. Il a une autre explication de l'enfantement: la perception des allocations familiales! Désarmant...

Pas normal, inévitable, marrant, désarmant, une journée comme une autre dans l'Education Nationale.

mercredi 12 novembre 2008

Travaillez, prenez de la peine...

Nous étudions en ce moment "le travail". J'ai commencé par le sujet de dissertation suivant: ne travaille-t-on que par intérêt? A première vue, oui. C'est pourquoi il est recommandé de répondre... non. Pas par esprit de contradiction mal placé, mais pour se départir du sens commun, exercer son esprit critique.

Mais si ce n'est pas par intérêt, pourquoi travaille-t-on? Par nécessité vitale, par obligation sociale, par devoir moral, par plaisir (mais oui!). Je termine la réflexion en suggérant qu'un travail par intérêt est un mauvais calcul, puisqu'on y perd beaucoup (de temps) et on y gagne relativement peu (d'argent).

Puis je fais appel à une référence philosophique, Karl Marx, qui nous explique que tout travail salarié contient une part de travail volée qui sert au profit. C'est bien sûr le thème de l'exploitation dans le travail. En conclusion, je souligne qu'on ne travaille pas vraiment pour notre intérêt mais celui d'autrui, qu'on appelle aussi la société, mais qu'au delà de l'intérêt subsiste le plaisir de travailler.

Cependant, demander aux élèves de travailler sur le travail, en démontrant que celui-ci n'est pas foncièrement une question d'intérêt, n'est-ce pas un peu vicieux?

mardi 11 novembre 2008

Conseil d'administration.

Hier soir s'est tenu le premier conseil d'administration du lycée de l'année scolaire. J'en suis membre depuis plus de dix ans! Trois heures et demi de débats, suivies d'un sympathique buffet. Un CA, c'est quoi? Une disposition de table en U, une séance présidée par le proviseur, flanqué de son adjoint et de l'intendant, et une petite vingtaine d'administrateurs: des enseignants, des personnels ouvriers et administratifs, des parents, le conseiller principal d'éducation, le représentant de la Ville.

Cette première séance de l'année installe le CA. Le climat est donc plutôt calme, le déroulement conventionnel. Plusieurs instances sont constituées:
- La commission permanente (un CA restreint, qui prépare les dossiers).
- Le conseil de discipline (au lycée, il ne se réunit presque jamais; au collège, si!).
- Le conseil de vie lycéenne (chargé d'écouter les revendications des élèves).
- La commission d'hygiène et sécurité.
- Le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté.

Je me suis porté candidat au CESC (pour organiser, entre autres, la semaine contre le racisme), au CVL (pour le Ciné-Philo, qui propose des places gratuites aux lycéens) et au conseil de discipline.

Le chef d'établissement présente son rapport de rentrée, un épais document plein de statistiques, camemberts, courbes, chiffres, pourcentages. Nous passons en revue le projet d'établissement, c'est-à-dire le contrat d'objectifs que le lycée signe avec le rectorat, puis les projets, sorties et voyages, conventions et partenariats, qui nécessitent l'approbation du conseil d'administration.

Même si le CA est plus consultatif que décisionnel, il a une fonction politique, il fait des choix, il arbitre des conflits, il fixe des orientations. Il ne gère pas l'établissement, il arrête sa politique. Passé l'ordre du jour, les questions diverses sont souvent les plus intéressantes. Hier soir s'est posé le problème de l'ouverture de l'internat le dimanche soir et les jours fériés. Les élèves y sont favorables, ce serait beaucoup plus pratique pour ceux qui habitent loin.

Mais l'administration hésite, non par mauvaise volonté, mais parce qu'il n'y a pas de personnel pour assurer. Si un accident a lieu, pas d'infirmière, pas de surveillant: on fait comment? C'est alors la responsabilité du proviseur qui est engagée. On comprend son hésitation! L'ouverture de l'internat le dimanche soir? Ce sera l'un des points à l'ordre du jour du prochain CA, début décembre.

dimanche 9 novembre 2008

Corrigé n°2.

Peut-on désirer être immortel? Voilà donc le fameux sujet qui a été "mortel" pour la quasi totalité des élèves, en m'exprimant comme eux. En introduction, il fallait préciser d'abord que la question porte sur un désir singulier, l'immortalité, et pas sur la réalité de celle-ci, puisque de fait les êtres humains sont mortels. Ensuite, il fallait poser le problème: comme se fait-il qu'une créature intelligente éprouve-t-elle un sentiment aussi absurde?

Le plan de mon développement se décompose en cinq parties:

1- On désire être immortel par peur de la mort.

a) Le désir est aveugle, il refuse de voir l'horreur de la mort et s'invente donc l'immortalité.
b) Le désir est si puissant qu'on ne peut rien contre son élan, y compris quand il refuse absurdement la mort.

2- On désire être immortel par instinct de survie.

a) Le désir ne se commande pas, c'est une pulsion de vie.
b) La vie ne peut que désirer la vie et son prolongement infini bien qu'illusoire.

3- Qu'est-ce qui alimente ce désir d'être immortel?

a) D'abord la croyance, qui repose sur l'ignorance de l'après-mort, telle qu'elle se manifeste dans les religions.
b) Ensuite l'imagination, fondée sur l'incrédulité de notre propre disparition: l'esprit est si fort qu'il ne se voit pas réduit à néant.

4- Comment se traduit le désir d'immortalité, de façon simple?

a) A travers la descendance, la progéniture, le prolongement biologique de soi-même (sinon personne ne désirerait d'enfant!).
b) A travers la mémoire, par le biais de la renommée, de la gloire.

5- Comment se traduit le désir d'immortalité, de façon plus complexe?

a) Dans la création, en particulier l'art, qui est une façon de s'immortaliser à travers ses oeuvres.
b) Dans l'amour, où la passion se veut éternelle.

En conclusion, j'affirme qu'un être mortel ne peut que désirer être immortel, que c'est le contraire qui serait absurde. J'ajoute que cette immortalité n'est pas individuelle (puisque chacun d'entre nous est condamné à mort) mais qu'elle passe par l'autre, les autres, dans la mémoire qu'ils gardent de moi.

samedi 8 novembre 2008

Corrigé n°1.

Voici le corrigé du premier devoir surveillé: la recherche du plaisir est-elle le but de la vie? En introduction, je précise la question: il ne s'agit pas de disserter vaguement sur les avantages ou les inconvénients du plaisir mais de se demander si la recherche de celui-ci peut constituer "le but de la vie". La question est lourde et problématique: pourquoi pas d'autres buts de la vie? N'y a-t-il pas des plaisirs peu glorieux?

Première partie: ordinairement, la recherche du plaisir est-elle le but de la vie?

1- Non, la vie est consacrée à bien d'autre chose, par exemple le travail, tout le contraire d'un plaisir, et qui prend une grande part de la vie.

2- Cependant, une vie sans recherche de plaisir est inconcevable. Mais cela suffit-il à l'ériger en but de l'existence?

Deuxième partie: du point de vue de sa facilité, la recherche du plaisir est-elle le but de la vie?

1- Parce que le plaisir est à portée de main, il ne peut pas être un but, nécessairement lointain.

2- Un but qu'on se donne implique volonté et intelligence; or le plaisir est spontané, naturel.

3- Un but est un aboutissement; il serait donc illogique de faire du plaisir une fin, car on l'espère immédiatement.

Troisième partie: du point de vue de sa diversité, la recherche du plaisir est-elle le but de la vie?

1- Un but est unique, or le plaisir est multiple, et même infini.

2- Un but exige une cohérence pour y parvenir, or le plaisir peut être contradictoire (on jouit autant du bien que du mal).

Quatrième partie: du point de vue de sa brièveté, la recherche du plaisir est-elle le but de la vie?

1- Non, car un but est la recherche de quelque chose de durable, sinon à quoi bon le poursuivre?

2- Parce que le plaisir est superficiel, il ne peut être le but de la vie, nécessairement élevé.

Cinquième partie: parce qu'il est essentiellement corporel, sensitif, le plaisir peut-il être le but de la vie?

1- Seules les activités de l'esprit méritent de figurer au titre de but de la vie.

2- La joie est certes un plaisir de l'esprit, mais dont on conçoit difficilement qu'elle devienne le but de la vie.

3- La recherche du plaisir peut conduire au mal, alors que le but de la vie doit s'astreindre au bien.

Sixième partie: d'autres buts de la vie sont-ils envisageables?

1- L'amour, la gloire, la réussite, la fortune, le pouvoir et par dessus tout le bonheur.

2- Mais en chacun de ces buts réside une part de plaisir.


Je conclus la dissertation en trois points:

- Le plaisir est un moyen, pas un but de la vie.

- Le plaisir est plus et mieux qu'un but: c'est la vie même, jouir de respirer, de bouger, d'exister!

- Parce que le plaisir est indissociable de la souffrance, il ne peut pas être le but de la vie, qui implique idéal et perfection.

vendredi 7 novembre 2008

Jour de rentrée.

Comment s'est passée ma rentrée? Comme une rentrée... Les élèves me devaient un devoir, le troisième de l'année, la dernière note du trimestre (une note par mois, c'est le bon rythme). Je voulais aussi les faire travailler un peu pendant les vacances. Tout le monde a respecté la date et rendu sa copie, à deux exceptions (n'en faut-il pas pour confirmer la règle?): celui dont je vous ai dernièrement parlé et qui m'a donné sa dissert ce matin, et un élève de S, perpétuellement absent (c'est le fameux qui m'avait déjà joué "un tour de cochon", selon le titre du billet d'alors).

De même, je leur ai rendu leurs devoirs surveillés, corrigés pendant mes vacances. C'était un peu la soupe à la grimace, les résultats étant beaucoup moins bons que les précédents. Mais peu importe: il suffit d'expliquer pourquoi, je l'ai fait longuement et j'ai commencé à donner des corrigés détaillés (la dictée, ce n'est plus possible, avec trois sujets ça prendrait trop de temps). Il suffit aussi de dire aux élèves ce que j'attends d'eux: pas nécessairement qu'ils aient de bonnes notes, du moins pas immédiatement, mais qu'ils progressent. Travailler, c'est progresser.

Gros plantage ce matin: mes Terminales L, dont je suis le prof principal, devaient s'inscrire pour le bac, entre 9h00 et 10h00, et donc aller en salle informatique. Le proviseur-adjoint m'avait prévenu, avant les vacances, par note écrite... ce que j'ai complètement oublié. De plus, j'étais au CDI, à la recherche d'un bouquin de philo, "Qu'est-ce que la philosophie antique?" de Pierre Hadot. Bref, je suis arrivé un peu en retard dans ma classe, en croisant le proviseur-adjoint dans l'escalier, parti à ma recherche. Ca la fiche mal!

mercredi 5 novembre 2008

Le chemin des écoliers.

Dernières heures de vacances, qui n'appartiennent déjà plus vraiment aux vacances. De retour chez moi, un message sur mon répondeur, laissé par un élève, m'annonce qu'il n'aura pas demain sa copie, parce qu'il l'a oubliée chez une copine, si j'ai bien compris son histoire un peu embrouillée. Demain, en effet, les élèves doivent me rendre leur troisième devoir de l'année, et moi je leur donnerai leurs copies de devoir surveillé, corrigées pendant les vacances (j'ai terminé le dernier paquet dans le train aujourd'hui). Les résultats ne sont pas très bons, j'ai précédemment expliqué pourquoi.

L'élève a eu raison de me prévenir. C'est ce que j'ai demandé. Je n'aime pas les mauvaises surprises. Mais sa justification n'est pas très claire. Serait-ce un prétexte, une ruse? Je n'en sais rien et je ne veux pas le savoir. Sur le fond, ça ne change pas grand-chose qu'il me rende la copie jeudi ou vendredi. C'est seulement, mais j'y tiens beaucoup, une question de principe: par respect pour toute la classe, pour garder une stricte égalité entre tous les élèves, les horaires de remise des travaux doivent être rigoureusement suivis. Sauf cas de force majeure. J'ai plutôt l'impression que la situation exposée est de force mineure. On verra ça de plus près demain.

Sur ma messagerie, par le biais du site "Copains d'avant", je reçois deux messages d'anciennes élèves qui veulent reprendre le contact. Elles étaient en Terminale il y a cinq ou six ans. L'une est devenu commerciale, l'autre professeur des écoles. Ca fait toujours plaisir de savoir et de se revoir.

J'ai préparé comme chaque soir mon cartable pour demain, avec les trois gros paquets de copies corrigées et les cinq livres que j'ai empruntés au CDI juste avant le départ en vacances. Ca se passe comment une veille de rentrée? Ca se passe normalement, sans rien de particulier, sauf l'alarme de mon téléphone portable que je dois programmer pour sept heures. C'est bien fini, le stress que j'éprouvais quand, élève, je devais retrouver le chemin des écoliers.

mardi 4 novembre 2008

Problématiser.

J'ai terminé mes deux premiers paquets de copies (S et ES), j'ai seulement commencé les L. Le sujet "Peut-on désirer être immortel?" a été particulièrement mal traité. Beaucoup d'élèves se sont interrogés sur l'immortalité, pas sur le désir d'immortalité. Du coup, on aboutit à des réflexions qui relèvent plus de la science-fiction ou du roman fantastique que de l'interrogation et de la rationalité philosophiques.

Ou alors l'élève tombe dans l'évidence, la banalité: à quoi bon se demander si l'immortalité a des avantages? Bien sûr que personne n'a envie de mourir! Un peu plus originales sont les critiques de l'immortalité. Mais oui, celle-ci n'est peut-être pas aussi désirable qu'on le croit: une éternité de souffrance ou d'ennui ne serait guère enviable. Et même une éternité de bonheur: qui sait si on ne finirait pas par s'en lasser, la vie perdant alors toute valeur, cette dernière dépendant de la rareté, de la fragilité, de l'unicité de la vie?

Que fallait-il faire pour réussir ce sujet? Ce qu'il faut toujours faire en philosophie, ce qui est le commencement de toute pensée: pro-blé-ma-ti-ser? Une question de philosophie doit devenir une question philosophique, sinon elle demeure une question ordinaire qui suscitera des réponses ordinaires. Nous ne sommes pas là pour ça. Bref, l'élève doit a-na-ly-ser le sujet.

"Peut-on désirer être immortel?" Problématisons, recherchons dans cette question un problème: pourquoi l'être humain aspire-t-il à l'immortalité alors que ce désir est impossible à satisfaire? Voilà quelle était la bonne question, le bon départ. Et les réponses? Je vous donnerai prochainement le corrigé de ce sujet, mais je peux déjà vous dire que l'amour, l'art, la reproduction, la gloire, les activités de l'esprit sont des accès réels à des formes d'immortalité, auxquelles mes élèves n'ont hélas pas songé. Je leur souhaite tout de même une bonne fin de vacances. On s'expliquera jeudi.

lundi 3 novembre 2008

Vacances de prof.

Que fait un prof en vacances? Il travaille! Ce n'est pas une boutade. Quelques jours loin de mon lycée, j'ai pris avec moi mes trois paquets de copies, résultat du premier devoir surveillé donné une semaine avant les vacances et que je rendrai aux élèves à la rentrée, jeudi. En période de cours, ces corrections prennent du temps, je les étale sur environ quinze jours. C'est pourquoi les vacances sont une vraie aubaine: enfin le temps m'est donné pour effectuer ce travail!

J'ai terminé hier ma classe scientifique et j'ai commencé les ES. Qu'est-ce que ça donne? Les résultats sont évidemment moins bons qu'à la maison. Temps limité, travail solitaire, pas d'accès à des sources extérieures d'inspiration, c'est une épreuve, à tous les sens du terme. Mais il est bon que mes élèves s'y mettent, dès maintenant, tranquillement.

La recherche du plaisir est-il le but de la vie? Ce premier sujet a souvent négligé l'essentiel, le but de la vie, au profit d'une réflexion trop vague, moins précise, moins problématique, donc moins intéressante sur le plaisir en général, ses bienfaits et ses inconvénients. Bon nombre d'élèves ont confondu plaisir et bonheur, qui ne désignent pourtant pas la meme chose.

Peut-on désirer etre immortel? Ce deuxième sujet a lui aussi provoqué des contresens, le principal étant de réfléchir à une fictive immortalité, en négligeant l'essentiel, le désir d'immortalité, et pourquoi une telle absurdité est néanmoins éprouvée par l'homme.