dimanche 12 octobre 2008

Heureux dans le mal.

Est-ce parce que j'ai regardé l'excellent "Miami Vice" de Michael Mann qui m'a fait coucher à minuit? Toujours est-il qu'à 03h15, je me suis réveillé, et impossible de me rendormir! Dans ce genre de situation, une seule solution: le travail. J'ai pris mon stylo, un bon paquet de feuilles, et j'ai rédigé le corrigé de la dissertation que je vais dicter demain à mes élèves.

Le sujet, le premier de l'année, vous le connaissez: est-on heureux en faisant le mal? A 7h00, et avec deux cafés très noirs, j'avais terminé. 19 pages en tout, que les classes devront ingurgiter: c'est bon pour les élèves, il faut leur montrer ce qu'est une dissert de philo. Quoi de mieux que de leur en dicter une, de A jusqu'à Z, faite maison, et au beau milieu de la nuit, s'il vous plaît! La préparation au brouillon m'a pris une petite heure, bref cinq heures de travail en tout.

Voilà comment j'ai structuré ma réflexion:

En introduction, je pose le problème: si on est heureux en faisant le mal, c'est tout l'édifice de la morale qui est remis en cause. Et puis, si tout le monde fait du mal à tout le monde afin d'être heureux, n'y a-t-il pas là une impossibilité logique, le mal généralisé interdisant tout espoir de bonheur? A partir de là, je me donne une orientation: montrer que, contrairement à ce qu'on croit spontanément, il y a une forme de bonheur dans le mal, au grand scandale de la morale.

J'attaque mon développement en évoquant l'égoïsme, unanimement condamné par la morale, et pourtant tellement plaisant: être heureux, n'est-ce pas d'abord penser à soi? Puis j'en viens au désir, dont la satisfaction est aussi une définition du bonheur. Et parmi tous mes désirs, certains m'inclinent inévitablement au mal.

Après quoi je passe au bonheur en tant que liberté, qui là aussi implique la liberté de faire le mal, et de m'en réjouir. Plus fondamentalement, on se distingue aux yeux d'autrui, on attire son regard en faisant le mal. Ainsi peut se construire, dans l'obscurité du mal, une identité. Mais ce n'est pas tout: à l'égard d'autrui, il y a un bonheur de la confrontation, de la violence, qui commence dans la cour de récréation, quand les enfants aiment à se bagarrer. Les adultes suivent, dans un jeu autrement plus tragique, mais qui doit plaire puisque l'Histoire ne s'en débarrasse pas: la guerre.

Moins tragique, mais tout aussi jouissif: la rage de détruire, de brûler, de casser, pour manifester sa puissance, pour prouver qu'on existe. Vient ensuite le mal ordinaire, mais cruel, faire souffrir les êtres vivants, sous l'apparence pourtant débonnaire du pêcheur et du chasseur. Par rapport à autrui, encore, qui ne trouve pas agréable de lui mentir, et parfois de le voler? C'est sans doute peu de choses comparés à la haine et à son quasi orgasme.

Le catholicisme nous prévient, en dénonçant les sept péchés capitaux, dont chacun est une délectation, paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère et envie. Mais le mal n'est pas qu'en acte, il est en parole: c'est la médisance, le commérage, la rumeur, quand il est tellement bon de dire du mal des absents. L'amour, le plus grand bien, n'est pas non plus exempt de mal, tant il est vrai qu'on fait aussi souffrir quand on aime.

Le rire, bonheur profond et facile, en apparence inoffensif, tourne vite à la moquerie: on se gausse des malheurs d'autrui. Il y a aussi le mal qu'on fait à soi, croyant se faire du bien, par l'usage excessif de l'alcool et du tabac. Il y a enfin le mal qu'on fait à la société, dans le plaisir de transgresser ses lois.

En conclusion, je nuance fortement mes dires: le bonheur dans le mal est souvent inconscient. Volontairement, on ne le ferait pas, on est donc prêt à y renoncer. Ce contentement dans le mal est aussi temporaire, ses conséquences à long terme sont plus fâcheuses qu'heureuses. Sa fonction est cathartique: on fait le mal pour éprouver le plaisir de s'en débarrasser.

J'espère que demain les élèves auront prévu encre, papier et force dans le poignet, parce que j'ai tout ça à leur dicter.

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