mardi 30 décembre 2008

Les vraies vacances.

Ce blog sera provisoirement fermé jusqu'à vendredi prochain. Reprise des billets le samedi 03 janvier. Bonne fête de fin d'année.

Cadeaux philo.

Quelques suggestions de cadeaux, à 48 heures du Jour de l'An, cadeaux philo bien sûr, cadeaux scolairement utiles aussi. Les deux exercices que les élèves doivent maîtriser, vous les connaissez: la dissertation et le commentaire de texte. Pour la première, je vous recommande l'achat de "Une semaine de philosophie", de Charles Pépin, prof agrégé de philo, paru en 2006, disponible au Livre de Poche, au prix de 4,80 euros.

Le sous-titre est accrocheur mais abusif (comme tout ce qui est accrocheur): "Les bases de la philo en sept jours". Si c'était possible, ça se saurait et je le dirais. Ce livre de 220 pages nous expose sept sujets de dissertation, un par jour, traités par l'auteur. C'est intéressant, ça peut donner des idées.

Mais je préviens mes élèves, et ils le savent: ce n'est pas exactement MA façon de disserter, d'introduire le sujet, d'organiser un plan, de développer des idées et de conclure. Mais peu importe puisqu'il existe plusieurs façons de faire (pas une infinité, non plus!). Toutes se croisent, même si elles ne sont pas identiques.

Le risque pour un élève, c'est de ne pas s'y retrouver. Il suffit alors de s'en tenir aux règles que donne le professeur (quelles que soient ces règles, quel que soit le professeur), et d'aller voir éventuellement ailleurs ce qui se pratique, en prenant bien soin de ne pas tout mélanger. C'est pourquoi je vous conseille de lire Pépin. Et pour vous allécher, je vous donne sa table des matières (et vous pouvez choisir, vous n'êtes pas obligés de tout lire):

- Lundi: Réfléchir peut-il nous rendre heureux?
- Mardi: Faut-il respecter les lois?
- Mercredi: Pourquoi la beauté nous fascine-t-elle?
- Jeudi: Qu'apprend-on vraiment à l'école?
- Vendredi: Faut-il croire en Dieu?
- Samedi: La démocratie est-elle le meilleur régime politique?
- Dimanche: Comment se préparer à mourir?

Voilà pour la dissertation. Maintenant, le commentaire de texte. Achetez ou prenez (il est au CDI du lycée) "Le roman du monde", d'Henri Pena-Ruiz, paru chez Flammarion en 2001 (20 euros). Sous-titre: "Légendes philosophiques". L'auteur commente, en quelques deux ou trois pages seulement, des extraits de grands textes de la philosophie et de la littérature, qu'il fait figurer au début de chaque chapitre.

Là encore, ce n'est pas le commentaire de texte tel que nous le pratiquons scolairement en classe. Mais ça peut donner des idées, et encore une fois, on n'est pas obligé de tout lire! Je recommande tout particulièrement à mes élèves les pages 339-342, sur l'allégorie de la Caverne chez Platon, puisque nous l'avons étudiée.

lundi 29 décembre 2008

Ca ne va pas.

J'ai attaqué aujourd'hui le paquet de copies des L, le gros morceau. Avec eux, surtout cette fois-ci, je suis très exigeant. Huit heures de philo par semaine depuis bientôt quatre mois, ça doit commencer à se faire sentir. Sinon c'est que quelque chose ne va pas, manque de travail ou manque de compréhension.

J'ai commencé par le premier sujet: une vérité est-elle discutable? 13 élèves sur 32 l'ont choisi, ce qui confirme que la question, pourtant classique, a inquiété. J'ai tout corrigé. Les résultats? Je sais que des élèves lisent le blog (ils ont raison), je ne voudrais pas gâcher leurs vacances ou assombrir leur rentrée, mais les notes ne sont pas à la hauteur de ce que j'espérais.

Bien sûr, j'ai mis un joli 18, suivi d'un 15, d'un 13 et de deux 11. Mais après, c'est en dessous de la moyenne, et ça ne me convient pas, parce que ce n'est pas suffisant. D'autant qu'il y a un 4 fort laid, deux 5 qui ne valent pas mieux, un 6 pas fier, deux 7 qui tirent le diable par la queue et un petit 9 qui essaie péniblement de sortir du lot!

Pourquoi ces mauvaises notes? Il y a toujours des règles, j'ai presque envie de dire des consignes, je n'ose pas parler d'ordres, que certains élèves ne respectent pas. Je pense en particulier à la présentation des devoirs, au canevas que je leur ai conseillé de suivre. Sur ce point, ça va péter à la rentrée!

Et puis il y a autre chose, que j'ai remarqué dans trois ou quatre copies: c'est l'absence de véritable réflexion personnelle. Ce qui est un comble, puisque la dissertation n'est pas un exercice de restitution de connaissances mais précisément de libre réflexion, de pensée personnelle. Or, manifestement, ces copies vont chercher ailleurs que dans le cerveau de l'élève les réponses à la question posée. Je ne doute pas que ces élèves ont cru bien faire en composant une sorte de pot pourri, patchwork ou manteau d'arlequin, en collectionnant et associant maladroitement des pensées qui ne sont pas les leurs. Mais ça se voit et c'est très mauvais. Le souci de bien faire peut déboucher sur un mauvais résultat.

J'ai bien sûr conscience qu'une telle question, une vérité est-elle discutable? est terrible. Mais le lycée et la classe de philosophie sont faits pour ça, poser et se poser des questions terribles. Comme le nageur qui se noie, on a le réflexe de s'accrocher à une bouée, qu'on va chercher dans des lectures, des références, des dictionnaires. Sauf qu'un réflexe est le contraire de la réflexion.

A ces élèves, pour la prochaine fois, le 5ème devoir de l'année (car rien n'est jamais perdu), je leur dis, je leur conseille: rejetez toute bouée, écartez toute référence, pensez par vous-mêmes. A la différence de la noyade, on n'en meurt pas. Demain, j'attaque le sujet le travail contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes? On verra bien ce que ça donne.

dimanche 28 décembre 2008

Copies de rentrée.

Nous sommes arrivés à la moitié des vacances, et j'ai terminé deux paquets de copies, les S et les ES. Ma notation a été cette fois plus sévère, 4ème devoir oblige. C'est pourquoi il n'y a pas de très bonnes notes (15 et au-delà). Je me suis efforcé, comme à chaque fois, d'utiliser la plus large gamme de notes. Chez les S, pour 19 copies (il y avait 3 absents), 8 ont la moyenne et plus. La plus basse est 5, la plus élevée 14. Chez les ES, 17 ont la moyenne, 17 ne l'ont pas (pas fait exprès!). La plus basse: 4. La plus haute: 14. Dans les deux classes, il y a une répartition relativement homogène au long de l'échelle des notes.

Une vérité est-elle discutable? Avec ce premier sujet, j'ai d'abord eu droit, dans certaines rares copies, à une coupable négligence, "une" vérité se transformant en "la" vérité, ce qui change bien sûr le sens de la question. Sinon, l'erreur de fond la plus courante a été de déformer le sujet en "peut-on dire la vérité?" Non, cette interprétation n'est pas recevable, c'est un fautif contresens.

L'autre erreur a été de confondre avec un problème travaillé en cours: n'y a-t-il aucune vérité dans le mensonge? Sous-entendu: si la vérité est discutable, c'est qu'elle contient une part de mensonge. Non, là encore, la question est abusivement sollicitée, cette fois par facilité, en se rabattant indûment sur le cours, alors qu'il fallait, comme toujours, réfléchir librement, personnellement.

Une vérité est-elle discutable? L'interrogation n'est pas morale mais épistémologique (c'est-à-dire qu'elle concerne le statut de la connaissance). Normalement, une vérité attestée est sensée être indiscutable, sinon serait-ce une vérité? Tel était le problème, à partir duquel il convenait de définir la discussion, indispensable pour réussir la dissertation (discuter, échanger, critiquer, contester, etc).

Le deuxième sujet a été très majoritairement choisi dans les deux classes. Pourtant, il n'a pas toujours été très réussi. La question: le travail contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes? Je comprends pourquoi la préférence des élèves s'est portée là-dessus. Le travail renvoie à une expérience concrète, la vérité est une réalité plus abstraite. Mais la facilité est apparente et même trompeuse.

En ES, les copies ont succombé à une terrible tentation: faire de la sociologie ou de l'économie plutôt que de la philosophie. Du coup, j'ai eu droit à des descriptions du travail contemporain, ses inégalités, ses discriminations, avec des exemples très particuliers, parfois anecdotiques. Évidemment, tout ça n'est pas bon. La philo est une réflexion générale sur le concept de travail, pas une étude sociale sur les conditions de travail actuelles.

Bref, une fois de plus, à la rentrée, il faudra me répéter, remettre les pendules à l'heure (ça tombe bien, ce sera la nouvelle année!). Trêve de plaisanterie, n'est-ce pas cela enseigner? Toujours expliquer ce qui ne va pas, toujours corriger les erreurs, toujours montrer qu'on peut faire mieux.

samedi 27 décembre 2008

C'est grave docteur?

En couverture du numéro 25 de Philosophie Magazine (décembre 2008- janvier 2009), une drôle de photo: une infirmière faisant plutôt songer à une religieuse ou à une grande prêtresse égyptienne, avec le phi grec au devant de son voile, et ce titre: La philosophie, une médecine de l'âme? Bonne question, comme dirait l'autre. Un philosophe est-il un toubib de l'esprit, un prof de philo est-il un infirmier de l'existence?

Je réponds sans hésiter: non. Je crois même que la philosophie est tout le contraire. Loin de soigner les plaies, elle les fait saigner. On ne philosophe pas en apposant de la ouate mais du sel. On ne pense bien que dans la douleur (sans tomber dans le sado-maso!). Déjà, se poser des questions, qui est le commencement de toute philosophie, c'est déranger des préjugés, bousculer des habitudes mentales, briser des croyances communes.

Puis tenter de trouver des réponses n'est pas de tout repos. Confronter des idées, argumenter des théories, réfuter les thèses adverses, c'est plus l'image d'un champ de bataille que d'un lit d'hôpital. Résistant, guerrier, conquérant (de l'esprit bien entendu), voilà la métaphore qui convient au philosophe, pas la médicale. Philosopher, c'est prendre des risques, pas vouloir des pansements ou des médicaments.

Je comprends bien sûr l'intention (louable) de Philosophie Magazine qui consiste, sur les traces du philosophe contemporain Pierre Hadot, de faire de la philo une éthique plus qu'une idéologie, une manière d'être plus qu'une façon de comprendre, une pratique plus qu'une théorie. Et c'est en effet ce qu'on trouve par exemple chez les stoïciens et les épicuriens. Mais chez eux, il est moins question de médecine que d'exercice, d'autant que le philosophe vise à l'autonomie et n'a pas besoin d'une infirmière à son chevet. A tout prendre, la philosophie est une gymnastique, mais pas une médecine.

vendredi 26 décembre 2008

Bonnes Fêtes.

En tant qu'enseignant, j'ai reçu le jour de Noël quelques messages, des souhaits de bonnes fêtes:

- D'abord mon établissement, le lycée Henri-Martin, sa direction, qui a fait parvenir des voeux électroniques à tous ses personnels. Sauf que c'est en pièce jointe, que je n'ai pas réussi à ouvrir. Tant pis, je devine la teneur du propos. Chez nous, il n'y a pas de cérémonie des voeux, avec estrade, micro, discours, champagne et petits fours. Parfois, certaines années, le proviseur passe en salle des professeurs pour saluer. Sinon, depuis deux ou trois ans, il y a ce message dans nos messageries (chaque enseignant a la sienne, attribuée par le rectorat).

- Ensuite mon ministre, Xavier Darcos, qui lui aussi, évidemment, est passé par ma messagerie professionnelle pour me souhaiter une bonne année, sous forme d'une petite animation, genre dessin animé, dont l'intention en filigrane est de convaincre les enseignants de sa bonne volonté en matière de réformes. C'est du moins ainsi que je l'ai senti. C'est la première fois, en tout cas de cette façon, que je reçois de tels voeux du ministre.

- Puis Laëtitia et Morgane, cette fois par sms. Ce sont des élèves de l'an dernier, de Terminale ES, qui se sont manifestement attachées à moi, sauf qu'elles n'ont pas d'abord signé leur message. J'ai donc dû demander quels étaient les auteurs...

- Enfin Raphaël, un élève de cette année, en Terminale L, dont j'ai déjà parlé puisqu'il a organisé le Café-Philo à Bernot. A propos de cette initiative (voir mon billet du 10 décembre "Philo à Bernot"), il écrit, sur ma messagerie personnelle: "La nouvelle se répand dans le secteur que ceux qui étaient présents le 10 décembre ont été très satisfaits et ne manquent pas de répandre cette joie". C'est mignon, non? Ne serais-je pas devenu, un soir de décembre, à Bernot, le Père Noël de la philosophie?

jeudi 25 décembre 2008

Le pouvoir d'un prof.

Je ne sais pas si un prof est un homme de pouvoir (je ne crois pas, en fait). Mais c'est incontestablement un homme qui a du pouvoir, qui exerce une autorité, qui assume une responsabilité. C'est même le plus absolu de tous les pouvoirs absolus! Connaissez-vous quelqu'un qui soit en situation de se faire obéir par une trentaine de personnes qui vont écouter, noter et faire sans broncher ce que vous leur demandez de faire? Cherchez, vous aurez du mal à trouver.

Mais quel est exactement ce pouvoir? Ce n'est sûrement pas un pouvoir concédé par le prestige de la fonction! Il faudrait être vaniteux et aveugle pour le croire. Les élèves passionnés par leur prof, ça doit exister, mais ils ne sont vraiment pas nombreux. Et c'est normal: un prof n'a pas à être un personnage charismatique qui aurait pour charge de séduire ou subjuguer ses classes. Cela serait-il que je m'en inquiéterais plus que je m'en réjouirais. Les élèves sont présents pour travailler et leur prof pour les faire travailler. C'est tout.

Généralement, on pense que le pouvoir d'un prof est dans l'autorité qu'il fait régner sur sa classe, les contraintes qu'il impose aux élèves. Je ne crois pas non plus. Car cette autorité dépend moins d'un individu que d'un contexte, d'une atmosphère, d'un établissement, de l'institution. L'élève, quand il franchit la porte, sait qu'il n'est plus dans la vie ordinaire, qu'il est entré dans un autre monde, avec ses lois propres. Ce sont celles-ci qui font le pouvoir dont l'enseignant n'est que l'instrument. La sonnerie qui découpe et organise le temps, c'est elle le pouvoir, auquel se soumettent les lycéens. Le bureau, l'estrade, le tableau noir, l'appel en début de cours, c'est l'apparat, l'apparence du pouvoir des profs. Sa réalité est ailleurs. Mais où?

Je vais vous le dire: le pouvoir n'est pas dans nos établissements, mais chez nous, comme moi, en ce jour de Noël, dans ma salle de séjour. Ne vous étonnez pas: en politique, le vrai pouvoir est invisible, ce n'est pas celui qu'on montre et qui se montre. Alors quel pouvoir du prof? Celui qu'il a quand il corrige ses copies et s'apprête à les noter. Oui, le voilà, le seul, le vrai, l'unique, le terrible pouvoir d'un enseignant.

Et si beaucoup d'entre eux n'aiment pas corriger les copies, trouvent ce travail fastidieux, ce n'est pas pour ce qu'on croit, par paresse, mais parce qu'ils se refusent à ce pouvoir, l'acceptent tant bien que mal. Et pourquoi? Parce qu'un pouvoir est toujours quelque chose de terrible à assumer. Qu'un homme, même qualifié, en juge d'autres, même jeunes et inexpérimentés, à travers une simple note, un ou deux chiffres en haut d'une copie, c'est terrible, ça a toujours quelque chose de fragile et d'injuste.

Je le sais, j'en fais à nouveau l'expérience cet après-midi. Je ne conteste pas la nécessité de l'évaluation. Je dis simplement que notre pouvoir réside dans cet acte. Nous allons attribuer à un devoir une note qui va participer à une moyenne, elle-même contribuant au profil général de l'élève dans son bulletin, et le tout va décider de son avenir, par exemple de son admission dans telle école, pour telle formation. Ce n'est pas un pouvoir de vie et de mort, mais on n'en est pas très loin. C'est au moins un pouvoir de bien ou de mal, quand on apprécie positivement ou négativement un élève.

Si la correction des copies ne débouchait pas sur leur évaluation, elle serait un travail presque agréable, un échange entre l'élève et le prof, l'un rédigeant, l'autre annotant. C'est la note qui change tout. Elle est une gratification ou une condamnation, dans les deux cas sans appel. L'évaluation est la couronne, le sceptre et le trône du professeur. Quand il distribue les bons et les mauvais points, la classe a compris que la rigolade était finie, que la gravité l'emportait. C'est pourquoi le silence se fait, chacun retient son souffle. C'est le moment solennel, le moment où le pouvoir du prof s'exprime dans toute sa puissance et toute sa splendeur.

Allez, j'y vais, je m'y remets, direction ma nappe rouge pleine d'étoiles et de houx. Puisse l'esprit de Noël, dans son indulgence et sa justice, m'inspirer pour cette lourde tâche qui consiste à exercer un pouvoir, en l'occurrence à noter des élèves.

mercredi 24 décembre 2008

Mon cadeau de Noël.

Que fait un prof la veille de Noël? Ce qu'il fait régulièrement tout au long de l'année scolaire quand il est chez lui: corriger des copies. Les blanches dissertations ont beau être déposées sur une belle nappe aussi rouge que la robe du Père Noël, pleine d'étoiles et de houx, la correction reste un travail. Je m'y suis mis, c'est déjà ça, car l'essentiel est de s'y mettre. J'ai commencé par mes Scientifiques, pour la mise en jambes, je terminerai par les Littéraires, le plus costaud.

Ca donne quoi pour le moment? Question cruciale, puisque je les ai tous prévenus: il n'est plus permis de rater ce quatrième devoir de l'année, qui est le premier du deuxième trimestre. Les grosses erreurs, je ne les accepterai plus. Si elles ne sont pas corrigées maintenant, définitivement, elles ne le seront jamais. Janvier sera donc un mois très dur, le plus difficile de l'année, la période charnière où l'élève choisit en quelque sorte son camp: il veut ou il ne veut pas avoir son bac.

Alors quoi, ces résultats? Pas trop fameux pour l'instant: 8-11-14-8-9-5-8-6, ce sont les notes de celles et ceux qui ont choisi le sujet: Une vérité est-elle discutable? Une question prise très minoritairement est généralement le signe d'une difficulté qu'ont perçue la plupart des élèves et qui les a logiquement conduits à se rabattre sur le second sujet: Le travail contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes? Il n'empêche que la première question était très classique, sans piège particulier ni problème de compréhension, et je m'étonne que les résultats n'aient pas été meilleurs. Ce n'est pas de ce côté-là que j'aurai, ce soir, mon cadeau de Noël...

Dans l'après-midi, un bruit furtif dans mon couloir m'a rapproché de ma porte d'entrée, au pied de laquelle se trouvait un document, qu'un main anonyme avait déposé sans sonner. Anonyme, pas complètement, puisqu'il s'agissait d'une dissertation d'une élève de ES, rendue avec retard mais avec raison valable. Un Post-It de couleur orange accompagnait le devoir: "Monsieur, je vous remercie de m'avoir laissé un délai supplémentaire pour ce devoir. Je vous souhaite de Bonnes Fêtes". Le voilà, mon cadeau de Noël!

mardi 23 décembre 2008

Avec ou sans cravate.

Quand un prof met-il une cravate, prend-il un veston assorti et un pantalon soigneusement repassé? Jamais, absolument jamais. Des enseignants déguisés en cadres, on n'en voit pas. En début de la carrière, il y a 15 ans, si: soit les plus anciens, la génération où un prof de lycée était "quelqu'un", symbolisé par le port de la cravate; soit quelques jeunes, qui voulaient entrer dans le métier en se donnant de l'assurance, imposer leur autorité à des élèves à peine plus jeunes qu'eux. Aujourd'hui, c'est fini: plus aucun prof n'est en costard-cravate.

Sauf moi ce matin, mais dans des circonstances très particulières: je devais rencontrer l'IA, l'inspectrice d'académie*, au titre de président de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne. Elle est arrivée dans le département il y a quelques mois. C'était, à ma demande, une visite de courtoisie, me présenter à elle et lui faire connaître la Fédération des Oeuvres Laïques, puisque c'est son autre nom.

Pourquoi devient-on inspectrice d'académie? Celle-là était avant professeur de lettres. Pourquoi quitter l'enseignement pour entrer dans l'administration? Ce sont deux métiers complètement différents. N'oublions pas que la plupart des postes à responsabilités, dans l'Education Nationale, de principal de collège à recteur d'une académie, sont occupés par d'anciens enseignants, comme à l'armée les généraux sont recrutés parmi les soldats. Ai-je été moi-même tenté? Au début oui, un peu, curieusement. Aujourd'hui, non, parce que l'enseignement me plaît et parce que la paperasse m'effraie.

Mais pourquoi certains collègues franchissent-ils le pas? Marre d'enseigner, comme le suggèrent certaines mauvaises langues? Je ne crois pas. Mais le goût du pouvoir et des responsabilités, sûrement. L'image aussi: un proviseur de lycée, dans une petite ville, est un notable local. Un enseignant non. Certes, le pouvoir d'un prof existe et est même absolu, mais seulement sur les élèves. En dehors de sa classe, ce pouvoir n'est plus rien. Etre constamment avec des jeunes, des enfants, dans le secret d'une classe, ça peut devenir, à la longue, frustrant. C'est peut-être aussi pourquoi je fais autre chose, mais dans la même veine: l'éducation populaire, au sein de la Ligue de l'enseignement. Avec ou sans cravate.


* Les écoles et les collèges d'un département sont sous l'autorité de l'inspecteur d'académie (bien que sa responsabilité ne s'exerce pas sur l'ensemble de l'académie). Les lycées d'une Région sont sous l'autorité du recteur d'académie.

lundi 22 décembre 2008

Vrai de vrai.

J'ai lu le récit-roman de François Bégaudeau, "Entre les murs", dont a été tiré le film du même nom, Palme d'or cette année à Cannes, que j'ai évoqué dans un billet (le 21 octobre). J'ai beaucoup aimé cette chronique de la vie ordinaire d'une classe de collège, comme j'avais beaucoup aimé le film.

Pourtant, je ne suis pas nécessairement acquis à ce que j'appelle "la littérature de professeurs", où des enseignants viennent confesser leurs difficultés et déverser leur bile contre l'école, ses réformes et les élèves. Mais Bégaudeau ne mange pas de ce pain-là. Son écriture est précise, presque chirurgicale, aucun détail ne lui échappe, il décrit la réalité sans juger, et c'est ce qui me plaît. Pas de plaintes, pas de leçons de morale, les choses telles qu'elles sont. C'est un tableau très juste d'une certaine école d'aujourd'hui.

Impossible de ranger ce livre et son auteur dans le clivage traditionnel qui sépare les pédagogues (qui sont de dangereux démagogues pour les républicains) et les républicains (qui sont de dangereux archaïques pour les pédagogues). Le réel échappe à ces réductions idéologiques. C'est réjouissant.

On a retenu de cet ouvrage (et du film) la peinture sans complaisance des élèves, parfois gentiment, parfois cruellement moqués, mais toujours avec vérité. On a oublié que les personnels ne sont pas logés à meilleure enseigne. Bégaudeau les croque, à tous les sens du terme. Et là aussi, c'est très bien vu. Mon collègue a le coup d'oeil et l'esprit vif. C'est un dessinateur qui repère à merveille les traits les plus fins, sans tomber dans la grossière caricature.

C'est tellement vrai, ces profs totalement perdus devant la photocopieuse parce qu'ils ne savent pas sortir leur texte en recto-verso (je sais, j'en suis). Vrai aussi la question, mille fois entendue en quinze ans de métier: "Est-ce que ça a sonné?", alors qu'il est évident que la récré* est terminée (une variante, pendant l'interclasse**: "C'est la première ou la deuxième sonnerie?"). Véridique cette conversation entre profs, où l'on s'attend à des échanges hautement intellectuels et où l'on n'entend que des banalités (des stupidités?) sur l'horoscope et les signes respectifs de chacun. Vrai de vrai, ces jeunes enseignants qui font presque partie de la génération de leurs élèves, dont le look, le parler (les préoccupations?) sont proches (là, à 48 ans, ça ne peut pas m'arriver!).


* La récréation dure dix minutes, à 10h00 et à 16h00. Elle est réglementaire. Une sonnerie annonce son début, une autre sonnerie annonce sa fin.

** L'interclasse sont les 5 minutes qui séparent deux heures de cours. Elles permettent aux élèves de changer de salle, ou au professeur, quand la séance dure deux heures, de faire une pause, qui est possible mais pas de nécessité réglementaire. Une sonnerie annonce son début, une autre sonnerie annonce sa fin.

dimanche 21 décembre 2008

Rendez-vous dans 10 ans.

"On s'était dit rendez-vous dans 10 ans
Même jour, même heure, même port"

C'est du Bruel dans le texte, et j'aurai pu commencer ainsi mon Café-Philo de jeudi, puisque je fêtais le 10ème anniversaire de sa création. 10 ans déjà! Et pourtant, si on m'avait dit à l'époque que l'expérience durerait une décennie, l'aurais-je cru?

En décembre 1998, comme aujourd'hui, j'avais la certitude que la philosophie devait sortir des lycées, des facultés, des professeurs et des professionnels. Beaucoup de profs de philo ne sont pas d'accord avec ça. Ils veulent préserver à la discipline son sérieux et ne pas la dénaturer dans les cafés. Je les comprends, mais eux ne me comprennent pas: je n'ai jamais confondu un cours de philo et un café-philo. Mes élèves le savent et s'en rendent compte. Le premier est un travail, le second un divertissement. Dans l'un j'enseigne, dans l'autre j'anime. Mais la différence ne fait pas une contradiction. Il y a complémentarité plus qu'opposition. Des collègues me critiquent? C'est leur droit mais je m'en moque: j'ai la certitude de l'utilité de ce que je fais, cela me suffit.

Jeudi, nous avons ouvert l'anniversaire par un reportage sur le phénomène "café-philo", réalisé l'an dernier par les étudiants en BTS audio-visuel de mon lycée. Puis la discussion s'est engagée sur un thème de circonstance: La philosophie rend-elle moins bête? J'ai lancé le même rite, quasi immuable depuis 10 ans: une courte introduction, quelques pistes de réflexion, et la parole, très vite, au public. Car c'est lui qui fait la réussite, le bon niveau d'un café-philo, aidé par moi, non pas en accoucheur d'idées (n'est pas Socrate qui veut, moi le premier) mais plutôt en provocateur d'idées. Je recherche la divergence plus que la convergence.

Le choc des idées, voilà le but, comme Platon disait de la pensée qu'elle était deux silex qu'on frotte, les difficiles étincelles étant les idées. Pour cela, il faut de la rigueur, de la discipline. Celle du café-philo, c'est le micro qu'on doit attendre avant de s'exprimer. On pense et dit ce qu'on veut, liberté totale d'expression, à la condition de ne couper personne et de s'adresser à tous. Ce micro, il paraît que dans certaines tribus africaines, dans les assemblées de sages, on l'appelle le "bâton de parole". Je ne sais si c'est vrai, mais c'est très joli, et ça me suffit.

Allez, rendez-vous dans 10 ans, même jour, même heure, même café, puisque la philosophie existe depuis 2 500 ans. En attendant, pour ceux qui sont pressés, rendez-vous le jeudi 15 janvier, 19h00, au bar Le Manoir, 10 rue de Lyon à Saint-Quentin, sur le sujet suivant: La vérité est-elle au fond de notre assiette? Miam, miam, bon réveillon, bonnes fêtes.

samedi 20 décembre 2008

Lycéens citoyens.

Premier jour des vacances. J'ai encore en tête les "bonnes vacances" que m'ont adressées hier quelques élèves. Pour moi, ce sera trois paquets de copies à corriger! Mais pas que ça, bien évidemment... En attendant, j'ai reçu ce matin un courrier, non posté, une dissertation à l'intérieur, d'une élève de S, malade et donc absente au moment de la remise du travail. Un mot du père l'accompagne, où il me prie de bien vouloir accepter ce devoir malgré le retard. Et il me donne du "Monsieur le Professeur de Philosophie"! Voilà qui change de la négligence et désinvolture de certains. Tout ne se perd pas en ce monde (clin d'oeil au Café-Philo de Bernot!).

Ce matin, à la une du journal local "L'Aisne Nouvelle", je tombe sur la photo de trois lycéens d'Henri-Martin: Simon, le responsable de l'UNL (Union Nationale Lycéenne), élève en Première, Lisa, une de mes ES, et quelqu'un avec une sorte de bonnet péruvien, que je croise dans les couloirs sans connaître son nom. Que font-ils là? Ils ont manifesté hier après-midi dans Saint-Quentin, avec 250 de leurs camarades, contre la réforme Darcos, avec des slogans parfois iconoclastes, des slogans de leur âge, comme celui-là, assez joli: "Carla, tu es comme nous, on se fait baiser par Sarkozy".

Mais l'essentiel est ailleurs, dans le sérieux du mouvement: des revendications précises, pas de casse. Jeudi, à leur invitation, j'étais passé à l'assemblée générale des lycéens, pour ne leur dire qu'une seule chose: pas de casse, respect de la légalité. Quand un élève m'a demandé ce qu'était pour moi le nombre idéal d'une classe, je n'ai pas répondu, je ne suis pas entré dans le débat. C'est le leur, pas le mien. Je n'ai pas à les influencer, même involontairement, même pour la bonne cause.

Ils étaient une trentaine dans leur AG, sur plus de 500 lycéens. C'est ainsi. Les mouvements collectifs sont toujours à l'initiative d'une minorité. Les autres suivent. Cette minorité, quelle que soit la cause pour laquelle elle se bat, quelle que soit ma position personnelle, je l'estime, je l'admire. Plus que chez l'adulte, il faut du mérite à un jeune pour faire son métier de citoyen. Ceux qui se mobilisent aujourd'hui ne seront plus au lycée demain. Ils militent pour leurs futurs camarades. C'est beau, c'est bien (encore une fois sans préjuger du bien-fondé ou non de leur combat).

Simon, qui mène le mouvement, est un garçon gentil et sérieux. Lui et ses amis ne font pas tout ça pour sécher les cours, je le sais, ça se sent. Ils ont des convictions, mal assurées peut-être, contestables sans doute, mais ils en ont. Combien d'adultes n'en ont pas ou plus? Je lis dans leurs regards, sur leurs visages, cette force des convictions. Ne croyez pas que j'idéalise ou que j'embellis. Je ne suis pas du genre naïf, je n'idolâtre surtout pas la jeunesse. Mais j'aime voir des jeunes agir ainsi, bien persuadé que ceux qui ne le font pas maintenant, à cet âge, ne le feront jamais, plus tard.

J'ai aussi à l'esprit qu'il y a dix ans, dans cette même salle 135 de mon établissement, j'assistais à une AG de lycéens, à propos de je ne sais plus quoi (depuis, et avant la dernière, il n'y en a pas eu d'autre, comme quoi les élèves n'abusent pas). Et ma mémoire remonte encore plus loin, il y a trente ans, au lycée d'Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées, où j'étais interne, et où j'avais participé et un peu initié un mouvement de grève, dont j'ai oublié les raisons et les résultats, sauf qu'il a existé (il ne faut pas trop demander à la mémoire!). Lycéen citoyen, moi aussi, j'étais déjà.

vendredi 19 décembre 2008

D'un drame l'autre.

C'est les vacances. Déjà? De la Toussaint à Noël, je n'ai pas vu le temps passer. Et je sais qu'à la rentrée tout va encore plus s'accélérer. C'est chaque année la même chose: le démarrage est lent, les deux premiers mois, et après le rythme s'emballe. Après le jour de l'an, j'ai l'impression que nous dévalons un versant, il y a pourtant cinq mois à traverser, mais ça roule très vite.

J'ai terminé le trimestre par un plantage en beauté, que j'aurais pu ignorer si une collègue n'avait prévenu le proviseur-adjoint qui à son tour m'a prévenu, ce matin. Il y a une semaine, lors du conseil de classe des L, j'ai compris de travers: les félicitations ont été refusées à une très bonne élève, parce qu'elle n'avait que 9,5 de moyenne en philo. Normal, avec un coefficient 7 au bac. Mais les encouragements ont été accordés. Je retiens qu'on ne l'a pas gratifiée d'une mention, mais je confonds et je crois qu'elle n'a pas eu les encouragements. Bref, qu'elle n'obtient rien, à tort.

A partir de là, un début de drame s'est installé. L'élève en question reçoit les encouragements depuis le collège et ne comprend pas l'exception de ce trimestre, avec ses résultats plus qu'honorables. Elle s'en inquiète auprès de ma collègue de français, qui attire plus les confidences des élèves que moi. Les bulletins sont arrivés, les parents ne comprennent pas.

Pour aggraver la situation, j'explique en classe, lundi dernier, que certains élèves ont de bonnes appréciations mais n'ont pas bénéficié des encouragements, pour des raisons tout à fait objectives. Et je prends quoi comme exemple? Je vous le donne en mille: bien sûr le bulletin où je me suis trompé! Le drame continue...

Une élève, habituée à la prise de parole, se fend d'une beau geste, en prenant la défense de sa camarade, s'étonnant que son propre bulletin soit moins bon que le sien mais récolte néanmoins les encouragements. Et elle prononce le mot qui fait bondir tout enseignant, l'insupportable accusation: "injustice". Un prof ne peut pas se tromper, un conseil de classe est souverain dans ses décisions. Je rabroue sèchement l'élève bien intentionnée en coupant court à toute remise en cause de nos délibérations.

Sauf que je me plante et que je ne m'en rends pas compte, si ce n'est aujourd'hui. J'évite bien sûr les explications publiques devant la classe. Mon honneur est en jeu, avec l'humiliation à la clé. Pas question de jouer avec ça. C'est discrètement, en fin de cours, après avoir pris soin que la salle de classe se soit entièrement vidée, que j'ai hélé l'élève, lui annonçant la terrible méprise. Soulagement de tout le monde. Fin du drame, qui s'apprêtait à tourner à la tragédie.

La Vie Scolaire laisse un mot dans mon casier. Des parents veulent me rencontrer, pour savoir pourquoi leur fils a reçu une "mise en garde travail", figurant sur le bulletin et assortie d'un courrier solennel du proviseur-adjoint. Mais là, je ne me suis pas trompé! Un nouveau drame, cette fois authentique, en perspective?

jeudi 18 décembre 2008

Les oreilles me chauffent.

Ramassage aujourd'hui du 4ème devoir de l'année, émaillé d'incidents qui commencent à me chauffer les oreilles. Ce matin, en L, dès 8h00, trois élèves viennent me voir: ils n'ont pas fait leur travail! Le premier a oublié sa copie. Rien que ça, oublié sa copie! C'est lamentable. Soit l'élève est peu soigneux, soit il me ment et invente un prétexte minable. Le deuxième a eu un problème de voiture et n'a pas pu faire sa dissert (ne cherchez pas le rapport, ce que je retiens, c'est qu'un travail demandé depuis trois semaines est rédigé le dernier jour. Inacceptable!). Le troisième affirme avoir été malade. Je me renseigne à la vie scolaire, il y a bien eu des absences ces derniers temps, mais pas au point de justifier la non remise de la copie.

Mon sang n'a fait qu'un tour. La gueulante a même été entendue par le CPE, de passage le matin dans les couloirs, et qui s'inquiétait de ma violence verbale. J'ai conduit les trois fautifs en permanence et leur ai laissé trois heures pour me rédiger quelque chose de convenable. En voilà en tout cas qui commencent très mal le trimestre. Dans la même classe, une quatrième élève n'a pas rendu, mais elle a eu la délicatesse de m'en parler hier et de m'exposer des motifs personnels tout à fait valables. Elle m'enverra par courrier, la semaine prochaine, son devoir. Je souligne ceci pour ne pas faire croire que je traverse une crise d'autorité aiguë ou que je me montre excessivement sévère.

Ce n'est pas fini. En S, à 14h00, un élève qui n'avait déjà pas rendu sa copie la dernière fois (j'avais fait la désagréable découverte au moment d'établir les moyennes) l'avait encore oubliée cette fois, mais à l'internat! J'hallucine, comme diraient nos jeunes. Je lui ai demandé illico presto d'aller dans sa chambre et de me ramener son travail. Cette négligence est insupportable. Une autre élève n'a pas remis son devoir, mais elle a prévenu et a donné ses raisons. Dans la classe, six élèves étaient absents (curieux, non?), dont un qui a déposé sa copie dans mon casier.

En ce qui concerne les ES, j'ai décalé, selon leur souhait, le ramassage à vendredi, mais les deux tiers me l'ont rendu aujourd'hui. Comme quoi le report n'était pas si indispensable. Gare à ceux demain qui ne seront pas là. J'appellerai immédiatement les parents. Toujours est-il que ce laisser aller d'une toute petite minorité dans chacune de mes classes est irritant au plus haut point. J'ai prévenu que je n'aimais pas ça, que ceux qui oseraient s'en mordraient les doigts. Manifestement, ça ne suffit pas. Je n'aime pas ça parce que ce petit désordre m'insupporte. Une classe devrait rendre, comme un seul homme, son travail au jour et à l'heure, sans aucune exception. Jusqu'au bout de l'année scolaire, je traquerai les contrevenants.

mercredi 17 décembre 2008

Noël dans l'air.

Mon Ciné-Philo de lundi n'a pas attiré les foules. Le film, pourtant, était passionnant, le sujet d'une brûlante actualité: "C'est dur d'être aimé par des cons", documentaire de Patrice Leconte sur le procès intenté à Charlie-Hebdo pour sa publication des caricatures de Mahomet. Nous étions une petite trentaine, mais le débat a bien fonctionné. Il y avait matière! La liberté d'expression, le respect des convictions, les limites du rire, le refus d'offenser, le droit au blasphème, l'intégrisme islamiste, l'intolérance religieuse, etc.

Alors pourquoi si peu de monde? Dans toute manifestation publique, et j'ai quelque expérience, il faut être très modeste: on ne fait pas venir les gens, ce sont eux qui choisissent de venir. Le public est roi, les organisateurs ne sont que des prestataires, pas des faiseurs d'opinion. Pour le film de Leconte, j'ai mon explication, qui vaut ce qu'elle vaut: nos concitoyens n'ont pas l'impression, à tort ou à raison, que la liberté et la laïcité sont menacées en France, contrairement à la démonstration que fait Philippe Val et l'équipe de Charlie. C'est ainsi, même si je suis, en ce qui me concerne, du côté de Val.

Dans le lycée, on sent Noël approcher. La proximité des vacances met un peu d'excitation dans l'air. Comme chaque année, j'aperçois (pas dans mes classes pour le moment) des élèves qui s'affublent du ridicule bonnet rouge à pompon blanc du Père Noël, qui me fait penser à la quille que brandissaient autrefois les conscrits en gueulant. Sauf que les lycéens ne crient pas. Ce n'en est pas moins ridicule. Que veulent-ils exprimer en mettant ça sur leur tête? La fin du trimestre? L'approche des Fêtes? Je n'en démords pas, je trouve ça idiot.

Dans l'excitation ambiante, n'y aurait-il pas un peu de relâchement? Mes Terminales ES m'ont demandé quelque chose que je déteste et que j'accorde rarement: le déplacement de la remise des devoirs, prévue pour demain, reportée à après-demain. J'ai dit oui parce que la doléance était raisonnable, argumentée et présentée avec intelligence. Certains craquent devant la beauté; moi, c'est devant l'intelligence, à laquelle je ne sais pas dire non. La classe avait choisi la bonne stratégie: passer par la déléguée, ne pas demander un report excessif, le justifier par une raison que j'ai déjà oubliée mais qui m'a convaincu quand je l'ai entendue.

Rien à voir avec les L, qui ont été maladroits au possible dans la même circonstance (voir mon billet du 6 décembre). Ceci dit, ne vous faites pas d'illusion, les petits: ce genre de demande est un fusil à un coup. Une fois tiré, c'est fini, ça ne se reproduit plus. Ce qui a été intelligent une fois ne le sera pas une seconde fois. L'Histoire ne se répète pas, sinon elle bégaie, disait Marx. Parlez, mes élèves, mais ne bégayez pas.

A mettre au compte cette fois de l'excitation nationale, les lycéens d'Henri-Martin, malgré le recul du ministre sur la réforme de la classe de Seconde, vont organiser demain une assemblée générale dans l'établissement, et vendredi une manif place de l'Hôtel de Ville. Pour la manif, je ne serai pas là, devant animer un atelier-philo à Guise à la même heure. Pour l'AG, j'irai sans doute, puisque les lycéens m'ont invité. Mais je ne dirai rien, je ne ferai rien pour les influencer. Laïcité oblige, nous serons dans l'enceinte scolaire, où je n'ai pas à faire état, devant des élèves, de mes convictions personnelles. Mais je leur prodiguerai quelques conseils que je crois utiles et indispensables: respect de la légalité, rejet de l'activisme, condamnation de toute violence, contact nécessaire avec les autorités, scolaire, syndicale et préfectorale.

lundi 15 décembre 2008

Une situation délicate.

Le ministre de l'Education Nationale a retiré sa réforme de la classe de Seconde. Pourquoi? Sont-ce les dernières manifestations lycéennes, parfois émaillées de violences? Est-ce la situation explosive en Grèce et la possibilité d'une contamination en France? Est-ce la crainte de voir se généraliser un mouvement social, crise financière aidant? Sont-ce les réticences et critiques des syndicats? Peut-être tout cela à la fois.

Toujours est-il qu'un élève de mon lycée, responsable de l'Union Nationale Lycéenne (qui a supplanté ces dernières années la FIDL sur le plan médiatique), me demande quelques conseils techniques en vue de l'action prévue le 19 décembre. C'est délicat pour moi. En tant que prof, je m'interdis d'influencer mes ou les élèves, même quand ceux-ci sollicitent mon avis. Mais je suis aussi militant syndical. Pas facile de naviguer avec cette double casquette sans se perdre dans une dialectique contestable.

D'ailleurs, avec le retrait du projet, je ne sais pas si les manifestations envisagées vont être maintenues. Les rumeurs pourtant circulent, et les chefs d'établissement s'inquiètent: blocus, occupation, avec les risques de dérapages, débordements et incidents. Des centaines de jeunes dans la rue, c'est un problème politique mais aussi de sécurité publique. C'est aussi cela qui a sans doute motivé le recul ministériel.

Quel doit être mon rôle, je dirais même mon devoir d'enseignant, dans une telle situation? D'abord reconnaître l'existence d'organisations lycéennes qui sont à même, comme n'importe quel syndicat, de s'exprimer. Ensuite rappeler qu'il y a en République une légalité à respecter, qu'on ne peut pas accepter n'importe quelle forme de protestation. Enfin inciter les jeunes à garder le contact avec l'administration, les chefs d'établissement, et se rapprocher des syndicats d'enseignants, des associations de parents d'élèves, qui ont les connaissances et l'expérience indispensables pour mener une action sérieuse.

Faire grève, ça n'a pas grand sens pour des lycéens, comme ça n'aurait aucun sens pour des salariés si la cessation du travail n'entraînait pas une perte de rémunération. Comme toute chose sérieuse dans la vie, la grève a un prix. En revanche, la manifestation, encadrée par les organisations et répondant scrupuleusement aux conditions légales, me semble légitime. Mais je réprouve tout activisme, blocage ou occupation des établissements. Des revendications ont quelque chance de convaincre et d'être satisfaites quand elles rassemblent en masse, pas lorsqu'elles dégénèrent en actions marginales, violentes et désespérées.

dimanche 14 décembre 2008

La semaine passée.

Une jeune collègue, stagiaire, me demande, dans la salle des profs, quand seront connus les résultats du mouvement inter-académique (les enseignants qui veulent muter choisissent d'abord une académie, avant de faire des voeux plus précis). C'est le genre de question, une date, dont la réponse échappe toujours à ma mémoire. Je lui dis que je vais vérifier et que je lui enverrai ce week-end un mail. Mais dans ma petite tête, je ne peux pas m'empêcher de m'interroger: à l'heure d'internet, où toutes les informations sont très vite connues, pourquoi ne va-t-elle pas elle-même chercher cette date? J'ai remarqué que beaucoup de gens sont comme ça.

Cette semaine aura été celle des conseils de classe. C'est une formalité solennelle. Le proviseur préside, le professeur principal est en quelque sorte le secrétaire de séance. Le conseiller principal d'éducation, anciennement surveillant général, est parfois présent. Tous les enseignants se doivent d'être là, la participation est statutaire. Les deux délégués des élèves et éventuellement un représentant des parents observent et prennent des notes.

Le protocole est rigoureusement réglé. Tout commence par un tour de table, pour une appréciation générale sur la classe. Puis chaque élève est abordé, dans l'ordre alphabétique. Le professeur principal résume les résultats et appréciations du bulletin, qu'il a sous les yeux, puis la discussion s'engage, s'il y a lieu. Elle se termine parfois par une distinction ou une sanction, les félicitations quand l'élève est excellent, les encouragements quand il est bon, une mise en garde travail quand il est paresseux et une mise en garde comportement quand il est indiscipliné. Tout cela est parfaitement rodé.

Hier soir, j'ai animé un café-philo à Guise, au Centre social. Huit participants, moi y compris! Et pourtant, la magie a opéré, la réflexion s'est installée et a circulé, comme si nous étions trente. Socrate après tout n'avait que quelques interlocuteurs. Le sujet, choisi parmi six proposés: à quoi devons-nous être fidèles? J'ai introduit par une remise en cause radicale de ce beau terme de fidélité, un sentiment tout juste bon pour les chiens, dont on dit qu'ils sont "fidèles" à leur maître, c'est-à-dire soumis. Pour penser, il faut provoquer. J'ai mis la dose...

Au fil de la réflexion, nous avons distingué fidélité, assiduité, cohérence, engagement. Et nous avons opposé fidélité à une personne et fidélité à une idée (être fidèle à soi-même, n'est-ce pas le plus difficile?). La fidélité renvoie à la foi, à quelque chose d'irrationnel. Je me suis risqué à défendre le concept hasardeux d' "infidélité respectueuse", quand on multiplie les aventures amoureuses, en toute liberté, sans rien promettre à l'autre, mais en le respectant.

Morgane, une élève de l'an dernier, m'envoie un texto pour me dire que le dernier sujet que j'ai donné à mes classes est difficile: le travail contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes? Je lui réponds que c'est un sujet ni plus ni moins difficile que n'importe quel autre sujet de philosophie.

samedi 13 décembre 2008

Le Bouddha et les patates.

Conseil de Vie Lycéenne hier après-midi. Les revendications des élèves sont les suivantes:

- Une fête de fin d'année scolaire.
- Une journée des arts (où chacun viendrait exprimer librement ses talents).
- L'ouverture du CDI (la bibliothèque) le mercredi après-midi.
- Un mur des pensées (!) dans le foyer.
- Des abonnements à des journaux et magazines.
- Des chaises hautes, des fauteuils et des canapés "où l'on peut s'écraser", selon la formule d'un élève qui a fait sourire même le proviseur.
- Regarder le journal télévisé chaque soir.
- Des casiers pour les demi-pensionnaires.
- Un distributeur de fruits.
- Des places gratuites de cinéma.

La plupart de ces demandes devraient être couvertes par le budget participatif versé par le Conseil régional de Picardie.

Autre point à l'ordre du jour, litigieux celui-là: la restauration scolaire. Le repas du soir, pour les internes, est en cause et divise la communauté lycéenne. L'objet du contentieux: les pommes de terre. Les filles, qui veulent garder la ligne, luttent contre les patates. C'est Parmentier qui doit se retourner dans sa tombe! Les garçons, qui ont de gros besoins en féculent, en redemandent. Une seule solution, non pas la révolution mais la diversification.

Problème encore plus sérieux: le vandalisme dans les toilettes. Le savon en mousse est vidé des appareils, en un jeu stupide. Que faire? Le proviseur propose le retour des bons vieux blocs de savon jaune accrochés à une tige de fer, qui me rappellent mes années d'internat (1975-1979). Mais l'infirmière répond que ce système n'est pas hygiénique. Le savon n'est plus hygiénique? Décidément, bien des choses ont changé depuis 1975-1979...

Je termine la journée à Soissons, au café "Au Bon Coin", un établissement associatif chrétien qui me réclame une ou deux fois par an une conférence-débat, cette fois sur "Bouddhisme et christianisme": j'expose durant trois bons quart d'heures, le débat s'engage ensuite pour une heure. Le bouddhisme, je connais, depuis une vingtaine d'années, j'ai pratiqué, ça reste pour moi une référence, une source d'inspiration.

J'ai tenu surtout à montrer la particularité du bouddhisme et son irréductibilité au christianisme, a contrario d'une certaine mode syncrétiste et de nombreux clichés sur le message du Bouddha. Le Christ et lui, il n'y a pas personnages et existences plus dissemblables. Quant aux concepts propres à chacun de ces systèmes de pensée, ils sont difficilement conciliables: méditation ou prière, souffrance ou péché, réincarnation ou résurrection, compassion ou charité, impermanence de soi ou unicité de la personne, nous avons bien affaire à deux mondes différents.

jeudi 11 décembre 2008

Sommeil, joie et restau.

Est-ce parce que je me suis couché tard? Est-ce parce que j'ai fait pas mal de choses ces derniers jours? Toujours est-il qu'entre 15h00 et 16h00, devant ma classe de Scientifiques, j'ai été pris d'une soudaine et durable envie de dormir. C'était horrible. Dans un bureau ou à l'usine, on peut faire une pause, aller devant la machine à café ou dehors griller une cigarette. Pas quand on est entre les murs d'une salle de classe et que trente paires d'yeux vous regardent. Qui est vraiment prisonnier? Les élèves ou le professeur?

Il faut prendre son mal en patience, une heure seulement, après tout. J'ai résisté, je n'ai pas succombé. Mais quelle torture! Mes bâillements retenus dans ma bouche crispée se répandaient sur tout le visage, j'avais l'impression qu'ils allaient sortir par les yeux. Mes paupières luttaient désespérément, je les ouvrais plus que d'ordinaire pour ne pas les laisser se refermer. J'avais l'impression que mes mots me portaient, que mes phrases étaient devenues les maîtres, que mon corps ne répondait plus de rien. Mon discours se transformait en ronron, la chaleur de la salle et l'inertie des élèves constituaient de puissants somnifères. La sonnerie a mis fin au calvaire.

A 17h10, j'avais conseil de classe, moi comme prof principal, c'est-à-dire chargé de présider, au côté du proviseur. Tant mieux, l'exercice m'a permis de rester éveillé. Avant, j'ai dû prévenir mes ES. Ils ne savaient pas, attendaient devant la salle, dans le couloir. Je les ai rassemblés, ai réclamé leur attention et annoncé la nouvelle, en leur demandant de se contenir. Le contrôle de soi n'a duré que quelques secondes, la joie étant la plus puissante. Une onde de bonheur les a traversés, fait frémir puis éclater: j'ai entendu des cris, des rires, j'ai vu presque des danses. Ce sera ainsi tant qu'existeront une école, des élèves et des profs qui sont parfois absents.

Après le conseil, je suis allé dans un restaurant, à l'invitation d'une douzaine d'élèves de Littéraire. C'était la première fois que ça m'arrivait, en 15 ans de métier. Un verre au café oui, et même une soirée en discothèque, en fin d'année, j'ai connu ça. Mais pas un restau au premier trimestre, une heure après leur conseil de classe! C'était sympa, il y avait quatre autres profs. Les élèves parlent aujourd'hui plus librement avec leurs enseignants qu'il y a trente ans, me semble-t-il. En tout cas, les voir ici et ainsi, c'est les voir autrement qu'en classe, ça fait un peu bizarre et ça me rappelle qu'un élève est autre chose qu'un élève.

mercredi 10 décembre 2008

Philo à Bernot.


Bernot est un village près d'Origny Saint-Benoîte, avec 457 âmes, dont celle d'un élève de ma classe littéraire, Raphaël (à droite sur la photo). Vous remarquez le micro qu'il tient en main et derrière, les tasses à café. Nous nous apprêtons à lancer la première séance du café-philo à Bernot, en la présence solennelle de Monsieur le Maire (au milieu), dans la salle des fêtes, décorée pour l'occasion par le Foyer rural et la maman de Raphaël.
Des cafés-philo, il y en a désormais partout dans le monde, et je fêterai la semaine prochaine les 10 ans de celui de Saint-Quentin, à partir duquel j'ai essaimé dans toute l'Aisne. Paris, New-York, Tokyo et depuis ce soir Bernot. C'est mon combat pour la philosophie et l'éducation populaire, que je souhaite recentré dans cette ruralité à la fois oubliée, désertée mais aussi redécouverte, souvent par les urbains.
Nous étions une bonne vingtaine, jeunes et moins jeunes, autour du sujet choisi par Raphaël: est-il vrai que tout se perd? Disons-le d'emblée: Bernot a été à la hauteur, la réflexion a fusé, ce café-philo a été digne de ses prédécesseurs. Seul défaut: un micro à fil trop court, qui a laissé une partie de l'assistance parler à haute voix ou se déplacer pour se faire entendre.
Tout se perd? C'est ce qu'on entend souvent. Mais est-ce vrai, ou autre chose qu'un désabusement, un pessimisme, une nostalgie, entre "c'était mieux avant" et "tout fout l'camp"? Les avis ont été partagés, comme dans tout bon café-philo qui se respecte. La politesse, le respect, les valeurs, la religion, la famille, bref tout ce qui s'inscrit dans la sphère de la morale donne l'impression, pour certains, d'une dégradation, d'une fuite.
D'autres au contraire estiment que s'il y a perte d'un côté, il y a gain de l'autre. On ne peut pas tout conserver, il faut que des choses meurent. Techniquement, la société évolue, et c'est bien ainsi. On pourrait appliquer la formule de Lavoisier: "rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme".
Bernot a perdu sa boulangerie, son bureau de Poste et récemment son café. Mais tout ne se perd pas: la vie reste. Et au milieu du village, un édifice a résisté et a été restauré: le clocher! Ultime et ancestral signe d'identité? Même si Bernot a perdu son curé...

lundi 8 décembre 2008

La cuisine philosophique.

Aujourd'hui, fin des bulletins scolaires et début des conseils de classe pour moi. Avec les élèves, nous sommes déjà entrés dans le deuxième trimestre, qui n'attend pas le retour des fêtes de Noël et Jour de l'An pour commencer. En Littéraire, j'ai remis le troisième devoir, avec des conseils très appuyés. Plus de droit à l'erreur désormais. Certes, les dissertations ou commentaires de texte ne seront jamais parfaits, pas même en juin, pas même lors de l'épreuve du bac. Il n'empêche que certaines fautes sont impardonnables à force d'être dénoncées par moi et commises par les élèves.

En premier lieu, il y a les fautes de présentation, de disposition quasi graphique de la pensée. Une réflexion, c'est comme un gâteau au chocolat, il faut un moule pour qu'elle se tienne, sinon c'est n'importe quoi. La forme prépare le fond. J'ai dit et répété: introduction et conclusion, une page chacune maximum, développement six pages souhaitables minimum. A l'intérieur du développement, le tempo, c'est une idée, un paragraphe, contenant des arguments, un par alinéa, celui-ci devant comporter au moins une quinzaine de lignes d'une écriture normale. Voilà le calibrage.

La matière du gâteau, le moelleux de la pensée, c'est d'abord de problématiser la question dans l'introduction. Il faut nous mettre l'eau à la bouche. Après, le développement, c'est le gros de la pâtisserie, découpée en tranches distinctes et copieuses: les réponses à la question doivent être précises, sinon c'est du grumeau incomestible. Et il faut veiller à ne répondre qu'à la question posée, directement, explicitement, ne pas me faire passer un fondant au chocolat pour une tarte aux fraises.

Je passe sur les menus détails, bien connus de mes élèves à force de m'entendre en parler, des détails qui participent aussi à la saveur du devoir. Vous l'avez compris, la philosophie, c'est une affaire de gastronomie. Il ne faut pas trop aller faire un tour dans les cuisines, le brouillon où tout s'élabore. Ce qui compte, c'est le produit fini, dissert ou commentaire de texte, celui qu'on présentera sur la table, pour dégustation. Après, c'est au prof de juger, de goûter et de consommer: il aime ou il aime pas.

dimanche 7 décembre 2008

Remplissage des bulletins.

Je corrige ce dimanche onze dernières copies, de ma terminale littéraire, et j'aurais bouclé mes moyennes pour ce premier trimestre. Ces derniers jours, c'était remplissage des bulletins. Tout un art! Longtemps, c'était sur papier, écriture manuscrite. Depuis trois ans environ, on est passé à l'ordinateur. Quelques profs ont résisté, puis ont cédé devant la marche inéluctable du progrès technique.

Moi-même, j'étais au départ réticent: le clavier, ce n'était pas mon truc. J'avais la superstition du bon vieux stylo et de la page blanche qu'on gratte. Taper, je ne savais pas. Encore maintenant, je n'utilise qu'un doigt (le pauvre!). Pour aller plus vite, je me servais d'inscriptions toute faites: "travail insuffisant", "doit améliorer son comportement", "peut mieux faire", etc. J'ai abandonné cette facilité, je me débrouille désormais comme un grand, avec mon unique doigt.

Il n'empêche que l'électronique parfois m'échappe. Me connecter au serveur du lycée, c'est déjà toute une aventure. De chez moi, je n'y parviens pas. Because? Le message suivant s'affiche sur mon écran: "votre mémoire visuelle est insuffisante". Ca veut dire quoi? Je n'ai ce problème avec aucun autre site... sauf celui de mon lycée, dont j'ai besoin pour remplir mes bulletins. C'est rageant!

Résultat: je dois aller en salle des profs, dépendre des horaires d'ouverture, espérer qu'un poste sera libre. Et l'aventure n'est pas finie: vendredi, j'avais jusqu'à midi pour informer les bulletins des terminales ES. Je commence par rentrer les moyennes trimestrielles, pas de problème. J'attaque les appréciations, travail beaucoup plus long, j'en fais une bonne moitié, quand une indication apparaît (c'est le côté miraculeux de l'internet, les apparitions impromptues, que personne n'a réclamées): on m'intime d'enregistrer ce que je fais, sinon tout va s'arrêter. Because? Dieu seul le sait.

Je clique, j'enregistre, tout effectivement s'arrête. Je retourne sur mes bulletins: horreur et damnation, toutes les appréciations ont été effacées. Le boulot à refaire, et la menace d'une catastrophe du même genre! Début de panique. Je me précipite dans le bureau du proviseur-adjoint en criant à l'aide! C'est un homme avisé qui soigne les début de panique et qui m'assure que l'incident ne devrait pas se reproduire, que de toute façon la date-buttoir, midi, ne tombera pas comme la lame de la guillotine.

Me voilà rassuré, d'autant que je pars avec un précieux conseil: enregistrer mon travail tous les cinq ou six bulletins. Because? Le monde de l'ordinateur est plus impénétrable que la théologie catholique. Je reprends donc mes appréciations depuis le début. Avec ce challenge: comment cerner au mieux, en quelques mots, le bilan d'un élève, les raisons de ses difficultés, les conseils à prodiguer, sans tomber dans les banalités de circonstance (genre "peut mieux faire s'il travaille plus")? Tout ça en deux ou trois lignes, c'est mission impossible.

Pour les bons et les mauvais, c'est facile et vite fait: il suffit de dire qu'ils sont bons ou mauvais, en termes bien évidemment choisis, presque diplomatiques, pour ne pas décourager les mauvais ou leur donner l'impression qu'on règle des comptes. Non, le plus difficile, c'est la masse des moyens, qui sont pas trop mal mais pas très bien. Intellectuellement, c'est un exercice de précision et d'exactitude qui en vaut bien un autre. Il mêle analyse et synthèse, bilan et prospective, morale et psychologie, jugement et intuition, connaissance et droit. Je m'y plie avec plaisir. De toute façon, je n'ai pas le choix.

Je suis impitoyable avec la fainéantise (qui, dans toute sa splendeur, à l'état chimiquement pur, est plutôt rare), je suis indulgent avec les difficultés intellectuelles que rencontrent certains élèves. Je m'efforce surtout à une appréciation positive, ouverte sur l'avenir, c'est-à-dire sur le deuxième trimestre. Un prochain progrès, même léger, et tout serait absous, ou presque. Voilà une séance de remplissage des bulletins.

samedi 6 décembre 2008

Une demande injustifiée.

Mes élèves ont un devoir à me rendre chaque mois, dissertation ou commentaire de texte. Ils le savent depuis le début de l'année. Je leur accorde un délai de trois semaines pour le préparer. Je tiens absolument à ce que la remise du travail soit honorée en temps et en heure. Sinon gare... Mon calendrier répond à une organisation précise. Un trimestre, c'est vite passé, les conseils de classe arrivent rapidement.

Pas question de se laisser surprendre et déborder par le temps, avec lequel nous avons tous tant de mal à composer (sauf ceux qui ne font rien, et qui en sont punis par l'ennui et parfois le vice qu'il engendre). Si j'ai donné à mes classes un devoir à me rendre le 18 décembre, c'est parce que je veux profiter des vacances pour le corriger, et parce que le deuxième trimestre est un peu plus court que le premier, qu'il faut donc prendre un peu d'avance. Etre dans les temps, c'est être en avance.

Très exceptionnellement, je peux reporter un devoir, lorsqu'il y a de bonnes raisons, c'est-à-dire de vraies raisons, indépendantes de ma volonté et de celle des élèves. Ce n'était pas le cas, loin de là, quand une élève de la classe littéraire a pris la parole pour me demander l'impossible, l'inenvisageable. D'autant que l'élève en question s'y est prise très maladroitement (mais je ne sais pas si l'habileté aurait changé grand-chose à ma détermination):

1- Elle me pose la question en plein milieu du cours, de façon totalement inattendue, et incongrue. Elle aurait dû venir me voir à la fin.

2- Elle parle en son nom personnel, elle aurait dû mandater les délégués de classe, dont c'est le travail.

3- Elle ne donne aucune justification à sa requête, je n'ai donc aucune raison de la satisfaire.

Quand on est en classe littéraire, où la philosophie est la matière principale, quand on connaît les règles que j'ai édictées en début d'année, on ne fait pas ça, ou du moins on ne le fait pas comme ça. Toute demande de report de devoir, qui plus est de deux semaines puisque les vacances sont là, est un mauvais point, une image négative que se donne la classe. Car je ne doute pas que la question personnelle résultait d'une aspiration plus collective.

vendredi 5 décembre 2008

Mon téléthon.

Chaque année, le téléthon me demande une animation café-philo, au foyer de vie de l'APF, association des paralysés de France. C'est impressionnant, pour qui assiste à sa première séance. Des fauteuils roulants, des personnes qui ont vocalement du mal à s'exprimer et, pour moi, une animation pas comme les autres, délicate, difficile, mais réussie.

Il y a quelque chose de miraculeux et d'enthousiasmant à constater que l'acte de penser est une pratique universelle, qu'on peut être meurtri dans son corps et garder l'esprit intact. Même ceux dont la parole, elle aussi, est handicapée peuvent tirer une réflexion de leur cerveau. L'interlocuteur doit certes être attentif, patient, s'adapter, mais quel bonheur de voir qu'un échange se produit, que la pensée circule d'esprit à esprit, que les corps sont quasiment oubliés.

Bien sûr, le sujet, choisi avec le directeur de l'établissement, a trait à la vie des résidents. C'est donc une réflexion dans la douleur d'une existence pas facile, mais c'est aussi une réflexion dans la joie d'exister, de se retrouver, de passer un bon moment. Le philosophe Spinoza dénonçait les passions tristes et assignait comme but à la sagesse la recherche de la joie. C'est aussi l'objectif du café-philo, dans quelque endroit qu'il se produise.

A l'APF, la question était la suivante: qu'est-ce que vivre dans la dignité? Pas évident, ce thème... Mais nous avons tenu plus d'une heure là-dessus, et parce qu'il fallait bien que ça s'arrête! Qu'est-ce qui donne à l'homme sa dignité? L'argent, le travail, la santé, l'amour? Ou bien, tout simplement, ce qu'est chacun d'entre nous, un être humain et unique, et qui fait notre dignité.

Pour préparer ce café-philo, je suis allé voir dans les textes. La dignité est un mot, une valeur, dont l'usage moral est récent. Le terme est surtout utilisé après la seconde guerre mondiale, dans les déclarations des droits de l'homme. Avant, on lui préfère la notion de respect. Dignité, c'est beaucoup plus fort. Je ne peux pas m'empêcher de penser que les horreurs de la guerre et la barbarie du génocide ont favorisé ce retour de ce sentiment quasi vital, la dignité.

Autre raison de cette renaissance: le développement de la bio-éthique, avec les progrès de la génétique, qui remettent en cause l'identité humaine et qui invitent à redécouvrir d'urgence la dignité de l'homme. Mais ce concept n'est pas entièrement positif: par ces temps de grand froid et de verglas, je peux glisser dans la cour du lycée, me retrouver à quatre pattes comme une bête, devenir la risée des élèves et perdre ainsi ma dignité de professeur de philosophie! Alors, la dignité n'est plus que le paravent de la vanité et de l'orgueil.

J'ai osé parler d'Emmanuel Kant, parce que le directeur voulait absolument que je fasse mon prof de philo, alors que j'aurais préféré me cantonner à mon rôle habituel d'animateur (ce qui en soi est tout un boulot, faire parler les gens). Mais quand on a un prof sous la main... De Kant, j'ai brièvement exposé sa théorie morale, qui répond à la question: qu'est-ce qu'une attitude digne? C'est une attitude universalisable, que n'importe quel homme peut revendiquer et pratiquer pourvu qu'il ne nuise pas à lui-même ou à autrui. C'est, tout simplement, une attitude humaine.

A l'année prochaine, ou plus tôt si vous le souhaitez, amis de l'APF!

jeudi 4 décembre 2008

Grosse colère, petit délire.

Je devais remplir aujourd'hui les bulletins scolaires des Scientifiques, par internet. Je calcule hier leurs moyennes, et je me rends compte que parmi les trois notes qu'ont reçues les élèves, une manque devant un nom. J'ai vite compris: l'élève était absent et il ne m'a pas rendu sa copie. Fou furieux, je me précipite sur les fiches que j'ai fait remplir aux élèves en début d'année (comme quoi elles servent à quelque chose!).

J'appelle sur le portable de l'élève: pas de réponse. J'appelle sur son fixe: pas de réponse non plus. Alors j'appelle le portable de sa mère, et quelqu'un décroche: c'est la mère, qui me passe sa fille. J'ai la confirmation de ce que je pressentais: elle n'était pas là lors du ramassage des copies, elle est revenue et n'a rien dit. Elle attendait que je lui propose un sujet de rattrapage, et moi j'ai oublié, je ne me suis pas aperçu de l'absence.

Ca n'atténue pas ma colère. C'est l'élève, en pareille circonstance, sachant qu'il lui faut trois notes dans le trimestre, qui doit me réclamer un nouveau devoir (c'est d'ailleurs ce que j'ai proposé dans les autres classes). En S, c'est le troisième cas! Bref, au téléphone, j'ai été très sec et lui ai infligé un sujet à me rendre le lendemain, 8h00, dans mon casier: peut-on ôter à l'homme sa liberté? Et je lui ai raccroché au nez. Ce n'est pas bien, je sais. Mais elle, ce qu'elle a fait, c'est pire. Aujourd'hui, je l'ai vu en classe, comme si de rien n'était.

Après ma grosse colère, un petit délire. C'était cet après-midi. De retour dans ma classe, après la récréation, une odeur pestilentielle me repousse. J'ai compris, quelqu'un a jeté une boule puante. C'est la première fois en 14 ans que ça m'arrive. En matière de sabotage, j'ai eu droit à la serrure enduite de colle et donc inouvrable. A part ça, rien. Avec la puanteur, je ne peux pas tenir, les élèves d'ECJS non plus.Mais ça tombe plutôt bien: je devais faire avec eux une recherche sur internet au CDI, concernant le reportage que France 3-Picardie a consacré à la visite de Jean-Louis Debré et où l'on voit, paraît-il, de mes élèves, moi peut-être.

Mais la classe fait chou blanc. Il semble bien que les actualités régionales ne gardent pas tout, qu'au bout de quinze jours, les reportages s'effacent. Les élèves ont beau chercher, ils ne trouvent pas. A cause de la boule puante, pas question de retourner en classe, et de toute façon, il n'est plus grand-temps. Alors trois élèves se paient un petit délire, avec mon autorisation: ayant observé que les motifs sur le papier peint sont nombreux et inattendus, les élèves décident de les nommer, de les répertorier et de les citer dans leur cahier. Les élèves ont été très vite pris par ce jeu, qui n'est pas hautement scolaire mais qui oblige à travailler. D'autant que je leur demande si ces figures ont un sens, une cohérence. Je ne sais toujours pas, mais ces occurrences ont leur importance, n'en déplaise à mes collègues, qui y trouveraient à redire, pensant que cette activité n'a ni queue ni tête.

mercredi 3 décembre 2008

L'orientation, quelle révolution!

A 10h00, avec mes Scientifiques, nous avions une heure consacrée à leur orientation, en compagnie des Cop. Non, ce ne sont pas des flics, mais les Conseillères d'Orientation Psychologues. J'avais prévenu les élèves de se rendre directement dans la salle de conférence, sans passer par la classe. Pendant l'exposé des Cop, certains n'ont pas pu s'empêcher de discuter entre eux. Même à voix basse, c'est insupportable, ce bruit de fond, sorte de grommellement qui nuit à la concentration. Et puis, ils sont là pour écouter! J'ai dû intervenir deux fois pour leur demander de la mettre en veilleuse.

J'ai compté les élèves: six absents. Bizarre, ça fait beaucoup. De retour dans la classe, je fais l'appel et, miracle, il n'y a plus qu'un seul absent. Où étaient les cinq autres pendant la conférence? En salle de permanence, me répondent-ils, pas gênés. Sauf que j'avais demandé à tout le monde de se rendre à la réunion sur l'orientation, qui n'était pas facultative, chacun ayant besoin de s'orienter après le bac. Et puis, pendant cette heure, ils étaient légalement sous ma responsabilité. Mais je ne sais pas où ils se trouvaient!

Mon sang n'a fait qu'un tour: ouste, les cinq lascars avec moi, direction la Vie Scolaire, pour une franche explication devant la CPE, Conseillère Principale d'Education. Rappel du règlement, de leur responsabilité, de leurs obligations, ils ont eu droit à la totale. J'espère que ça leur servira de leçon. Avec moi, il ne faut pas jouer à ce petit jeu-là.

Sinon, la conférence était fort intéressante. En tant que prof principal, j'ai un rôle d'orientation, je dois là-dessus informer les élèves. Mais ce n'est pas mon métier, alors que l'orientation est tout un métier. Formidable tout de même, cette Ecole qui explique aux élèves qu'ils sont libres, que leur profession dépendra de leur volonté et de leurs mérites, que les choix d'études sont nombreux, universités, BTS, IUT, écoles spécialisées, grandes écoles et même apprentissage.

Pendant des siècles, un enfant faisait souvent le travail de ses parents, ou bien le premier boulot venu, pour gagner sa vie. Il aurait été alors inimaginable que le métier procède d'un choix dicté par des goûts. L'orientation, quelle révolution! Les esprits chagrins, qui se veulent des esprits lucides, me diront que les études conduisent au chômage. Faux. Ce qui conduit tout droit à l'inactivité, c'est avant tout l'absence de formation. Mais quand on voit la diversité des métiers, ouverts à tous les talents, toutes les aptitudes, on se dit que chacun devrait pouvoir y trouver son bonheur. Avant, on ne se posait même pas la question, il n'y avait que la nécessité (vivre) et l'hérédité (succéder aux parents).

Ils ne savent pas ce qu'ils ont perdu, les cinq lascars qui ont séché. Demain, je retournerai voir les Cop avec une autre classe. Cette fois, plus de rendez-vous direct au lieu de rencontre: je ferai l'appel dans la classe, et nous partirons collectivement. Et malheur à qui aura eu la mauvaise idée de n'être pas là!

mardi 2 décembre 2008

Le mardi, rien.

Le mardi, je n'ai rien, je ne travaille pas, je n'ai pas cours. Mon emploi du temps est vide. Alors je fais quoi? Ce mardi, j'ai fait ceci:

9h00: je me rends au lycée, pour l'ouverture du scrutin des élections professionnelles, c'est-à-dire l'élection la plus compliquée au monde. Il faut une salle immense pour organiser le vote. D'abord, il faut désigner les représentants du personnel au niveau national, choisir entre une bonne dizaine de listes, prendre deux enveloppes pour l'isoloir, mettre son bulletin dans l'une et le tout dans l'autre, sur laquelle on prendra soin de mentionner son nom, prénom, établissement, corps d'appartenance et signature.

Avant de glisser le précieux papier dans l'urne, il faudra signer sur deux feuilles d'émargement. Une fois que vous avez fait ça, vous recommencez, la même chose, dans le même ordre, mais cette fois pour les représentants du personnel au niveau de l'académie. J'étais d'ailleurs candidat, sur la liste de mon syndicat, le Se-Unsa. Si vous avez réussi le périple sans vous tromper à une quelconque étape, bravo, vous avez gagné.

10h00: je corrige sept copies de mes Littéraires. C'est le chiffre d'or. Après, mon attention se dissipe, j'ai du mal à suivre la pensée.

13h40: je suis à l'IUFM de Laon, pour une réunion inter-syndicale, où je représente les associations complémentaires de l'Ecole Publique, très affectées par la baisse de leurs subventions et la réduction progressive de leur personnel. Le 10 décembre, il y aura à Saint-Quentin une manifestation en faveur de l'Ecole Publique, qui en a bien besoin.

18h30: je me retrouve à Henri-Martin, mon lycée, pour son Conseil d'administration. Premier point à l'ordre du jour, l'adoption de différents tarifs. Combien un enseignant paiera-t-il son ticket-repas à la cantine en 2009? 3,75 euros. Que déboursera un interne qui casse une chaise? 3 euros. Et une armoire? 22 euros. A combien s'élèveront les frais de pension? 1 171,80 euros l'année. Etc.

Le deuxième point, c'est le gros morceau, le budget. Eh oui, on croit qu'un lycée est un établissement où des élèves viennent écouter des profs qui parlent, que c'est une usine à cours. Non, c'est aussi une entreprise, qui a besoin d'argent, qu'elle organise en recettes et dépenses. Les dépenses, c'est tout le matériel, et le poste important, c'est le chauffage. Les recettes, ce sont les subventions, de la Région, de l'Etat, ce sont aussi les ventes de tickets-repas, etc.

Autre point important, les prévisions d'effectifs pour l'an prochain, rentrée 2009, qui se préparent dès maintenant. C'est à partir de là que l'établissement recevra une dotation-horaire, qui déterminera le nombre de classes et le nombre de postes d'enseignants.

Le CA s'est terminé par un important débat, déjà annoncé lors du précédent: l'autorisation de recevoir des internes dès le dimanche soir et les jours fériés. Des tolérances ont été accordées, des abus ont été constatés. Et puis, la sécurité n'est pas assurée, les moyens matériels et humains sont inexistants, la responsabilité du chef d'établissement est complètement engagée. Ne vous étonnez pas de la réponse: ce sera non, même si des solutions alternatives d'hébergement en ville vont être étudiées.

Pendant ce Conseil, ma voisine pèle discrètement une orange, tandis que je lutte contre le sommeil. Voilà un mardi où je ne fais rien.

lundi 1 décembre 2008

Mauvaise humeur.

Mauvaise humeur ce matin. D'abord, je n'ai pas eu le temps de me raser. Ensuite, je suis arrivé en retard au lycée. Pour tout ce que j'ai à faire, le temps me manque! Comme j'étais en retard, deux élèves, dont la déléguée de classe, sont allés à la Vie scolaire pour savoir si je n'étais pas absent. Ils ont eu raison, mais ma mauvaise humeur en a été augmentée. Il faut dire que j'étais réellement absent les deux premières heures de la matinée, parce que ma classe de S était à l'hôpital, dans le cadre de la journée contre le sida. La rumeur s'est peut-être propagée que l'absence, indépendante de ma volonté, allait se prolonger toute la matinée.

Aussitôt les élèves entrés dans la salle, l'une vient me voir pour me dire quelque chose à quoi je n'ai rien compris, sinon qu'elle ne m'avait pas rendu sa copie comme convenu mais que celle-ci était tout de même dans mon casier. C'est l'élève dont je vous ai déjà parlé, qui était absente au moment de la remise des copies et qui n'a rien dit une fois revenue. J'ai poussé une gueulante pour rappeler que son comportement était inacceptable et qu'elle n'avait pas intérêt à recommencer.

Si vous ajoutez à ça la correction des devoirs ce week-end qui ne m'a pas donné, c'est le moins qu'on puisse dire, entière satisfaction, vous comprenez aisément ma mauvaise humeur de ce début de semaine.

dimanche 30 novembre 2008

Un fait rare.

Avant de commencer ce billet, une petite pensée: c'est le centième de ce blog lancé à la mi-août, que j'essaie de remplir quotidiennement et qui est, d'après les réactions qui me reviennent, beaucoup consulté. Le fait rare qu'annonce ce centième titre, c'est le rendez-vous avec des parents. Depuis quatorze ans au lycée Henri-Martin à Saint-Quentin, ça ne m'arrive quasiment jamais, et quand cela se fait, ce n'est pas plus d'une fois par an.

Pourquoi? D'abord parce qu'il y a la traditionnelle rencontre parents-professeurs en début janvier, qu'attendent les familles pour faire part de leurs doléances. Ensuite parce que les parents, contrairement à ce qu'on croit, ne se mêlent guère du contenu et du déroulement des cours. S'ils ressentent parfois le besoin d'intervenir, c'est moins pour un problème pédagogique que scolaire, matériel, administratif, et c'est la direction qui est interpellée. Même si une difficulté s'installait entre un élève et un prof, si un grief était à adresser à un enseignant, la plainte irait le plus souvent devant le proviseur, considéré comme le patron. C'est la vieille histoire qu'il vaut mieux aller voir le bon Dieu que ses saints.

Mais surtout, en Terminale, les élèves qui ont 17 ou 18 ans sont autonomes. Les parents se sentent moins le droit et le devoir d'intervenir, à la différence du collège. Le corps enseignant, contrairement là encore à ce qu'on croit trop souvent, est respecté, sa légitimé à régler les problèmes quand il y en a est reconnue, on lui fait confiance sans chercher à en savoir plus. D'autant que les parents en savent assez, sont correctement informés (de plus en plus et de mieux en mieux) par l'établissement.

La dernière raison que je vois à cette non intervention des parents (du moins à mon niveau et avec moi), c'est que je ne rencontre pas d'énormes ou d'anormales difficultés avec les élèves. Les mauvais résultats de certains sont sans mystère et remontent parfois à loin, les parents ne s'en étonnent donc pas et n'en attendent aucune explication particulière (qu'ils ont à vrai dire déjà).

Et puis, quand quelquefois des parents demandent à me rencontrer, ce n'est pas toujours pour ce qu'on croit, un problème, mais au contraire pour un bon élève dont les parents veulent s'entendre dire, de la bouche du professeur, qu'il est bon! Vanité bien pardonnable, à laquelle il m'est arrivé, je vous le jure, de coopérer.

En tout cas, nulle vanité, mais pas non plus, à mon avis, de gros problème dans le rendez-vous que j'ai eu avec des parents vendredi soir, car c'est là où je veux en venir dans ce centième billet. Rappelez-vous la confidence un peu troublante de cet élève (voir le billet du 16 novembre "Faire gaffe") à la fin d'un cours. J'ai donc pris contact avec les parents et nous nous sommes vus avant-hier.

La démarche de se rencontrer, c'est déjà le signe que ça ne va pas si mal que ça. C'est la preuve qu'entre l'élève et la famille, il y a communication et compréhension. Les élèves qui sont dans des situations vraiment difficiles, les parents hélas ne viennent pas et ne le souhaitent pas. C'est un peu comme chez le psychanalyste: quand on est dans son cabinet, ce premier pas équivaut à une demi-guérison.

Dans le cas présent, les notes (c'est l'élément objectif) montrent un premier devoir raté et un deuxième, surveillé, dont le résultat a été moyen. Donc rien d'anormal, pas de quoi s'alarmer. Le gros du problème est ailleurs, pas pédagogique ou scolaire mais plutôt psychologique: un jeune ne peut-il pas être perturbé par la philosophie et ses interrogations qui ne sont pas de tout repos (intellectuel)? Pour la plupart des élèves, non: ils prennent la philo comme un travail et s'y adonnent plus ou moins bien, sans états d'âme particuliers.

Mais certains esprits sensibles, prenant trop à coeur la matière, peuvent s'émouvoir de ses contenus, quand il est question de bien et de mal, d'amour et de mort, et bien d'autres choses encore qui font parfois chavirer une sensibilité. A moi de faire attention, de prendre mes précautions. Je leur ai expliqué que je mettais, dans mon enseignement, devant mes élèves, beaucoup de distance, aucun pathos ou présentation tragique (qu'on pourrait pourtant facilement imaginer, dans lesquels la philosophie pourrait se complaire).

Au contraire, j'essaie d'introduire de l'humour (qui vaut ce qu'il vaut!) et surtout je montre constamment aux élèves que la réflexion philosophique est un travail comme un autre, même s'il est vrai que ce n'est pas tout à fait un travail comme un autre. Les interrogations que nous posons, les pensées que nous développons n'ont de valeur, de pertinence, d'utilité que dans ce cadre si particulier de la classe. Mais une fois franchie la porte, une fois sorti, la vraie vie reprend ses droits, tout s'efface et ne réapparaîtra que lorsque l'élève, dans son travail à la maison ou sa participation en cours, reprendra la réflexion.

Un cours de philosophie n'est pas un cours de catéchisme. Il ne se donne pas pour objectif de sonder ni de changer les coeurs et les âmes. Ce n'est, je le répète, qu'un travail, qu'on fait parce qu'on doit le faire, et le mieux possible, tant qu'à faire. Le fin du fin, et je l'ai dit aux parents vendredi soir, ce serait de prendre ce travail comme un jeu, sérieux, mental, profond, mais rien qu'un jeu, qu'on oublie une fois qu'on l'a rangé dans sa boîte. Alors, nulle tourmente psychologique ne peut emporter le joueur, seulement la crainte de perdre ou l'espoir de gagner, c'est-à-dire ses notes dans l'année et ses résultats au bac.

samedi 29 novembre 2008

Le troisième devoir.

Journée-copies, comme je vous l'avais annoncée hier. La correction du troisième devoir, c'est aussi l'occasion de pas mal d'irritation. Au premier, l'indulgence s'impose; au deuxième, les erreurs majeures sont encore pardonnables; au troisième, elles deviennent des fautes difficilement acceptables.

Combien de fois ai-je dit à mes élèves qu'une dissertation de philosophie consistait d'abord et avant tout à répondre précisément à une question précise? Beaucoup trop ne le font toujours pas, ou ne parviennent pas à le faire. Les sujets étaient les suivants: Doit-on aimer la liberté? Faut-il se méfier de nos désirs? Il ne s'agit pas de dire tout ce qu'on pense sur la liberté et sur les désirs, mais de répondre à ces questions. C'est le b-a ba de la philosophie.

Et pour satisfaire à cet objectif, il faut PROBLEMATISER la question, repérer en quelque sorte son centre de gravité. Doit-on aimer la liberté? Il convient de s'interroger sur ce que la liberté a d'aimable... ou de détestable. Les caractéristiques de l'amour, que l'élève se doit de repérer, sont-elles applicables à la liberté? Voilà quelle est la vraie question à traiter, et non pas un blabla ou méli-mélo sur la liberté.

Même remarque, même exigence, même précision sur le deuxième sujet: pas d'inutiles considérations sur les bienfaits ou les dangers du désir, mais une réflexion qui parte de la méfiance et se demande si ce sentiment est applicable aux désirs. Est-ce si difficile? Et pourtant, beaucoup d'élèves ne le font pas, alors que j'ai lourdement insisté là-dessus.

C'est pénible, parce que certaines dissertations sont fort bien construites, correctement rédigées, très organisées, avec des idées développées, de véritables argumentations, bref quelque chose d'intéressant mais... qui ne répond pas explicitement à la question posée. Au mieux, je peux mettre 10 sur 20, mais pas au-delà, parce que l'objectif n'est pas rempli.

C'est rageant, autant pour l'élève que pour moi, car ses idées sont bonnes, et il aurait suffit qu'il les mette au service de la question posée pour que le résultat soit bien meilleur et que la note augmente nettement. A l'inverse, certains sont plus maladroits, maîtrisent moins l'écriture, développent insuffisamment leurs idées, se montrent confus, désordonnés... mais font l'effort de répondre à la question qu'on leur pose. Et ça change tout!

Il y a une coupable facilité d'échapper à ce qu'on vous demande, involontairement ou par ruse, même et surtout si on a les capacités de réflexion et de rédaction. Je ne peux pas le pardonner, je me dois de le sanctionner. Surtout lorsqu'il s'agit du troisième devoir, fait tranquillement à la maison.

vendredi 28 novembre 2008

Panique dans les têtes.

Où en suis-je dans mes corrections de copies? C'est la question que se pose régulièrement un enseignant, surtout quand les conseils de classe du premier trimestre approchent, dans dix jours en ce qui me concerne. Il faut alors boucler les moyennes, vérifier si chaque élève a bien ses trois notes (un devoir par mois). Vous connaissez ma mésaventure d'hier, où deux élèves m'ont joué un sale tour.

Il me reste des travaux à corriger, ceux des TES2 et des TL2, pour tout vous dire. Vous savez donc à quoi mon week-end va être essentiellement occupé. Car la semaine prochaine, je dois remplir les bulletins, et ce n'est pas une mince affaire. En attendant, j'ai distribué aujourd'hui à mes trois classes le prochain sujet (l'un est à peine corrigé, il faut lancer le suivant!), à rendre pour avant les vacances de Noël.

C'est ma stratégie, dont je vous ai déjà parlé à la Toussaint: profiter des vacances non pas pour partir en vacances, mais pour corriger des copies. Attention, je n'en tire ni gloire, ni fierté: je ne fais que mon métier, on me paie pour ça. Quant aux élèves, je respecte toujours le délai de trois semaines, minimum syndical en quelque sorte pour préparer, rédiger et rendre un devoir.

En distribuant les feuilles des sujets, j'ai eu droit à une question de trois élèves, à propos de l'un des sujets de dissertation: le travail contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes? Voilà ce qui m'a été demandé, et qui m'a mis en rogne: que faut-il répondre à la question? Unir ou diviser? C'était moins bien dit que ça, mais ça voulait dire ça. A quoi j'ai rétorqué: la réponse, ce n'est pas à moi de vous la donner, c'est à vous de la chercher!

En vérité, que s'est-il passé dans la tête de ces élèves, et dans la tête de combien qui sont restés silencieux? Habituellement, les questions de dissertation appellent des réponses affirmatives ou négatives. Mais peu importe, ai-je dit aux élèves en début d'année: en philo, on ne raisonne pas en oui/non, comme l'âne ferait hi han. Malgré mon avertissement, les esprits ont besoin, pour leur confort, de ces deux petits mots très tranchés, sans nuance, sans subtilité, oui/non.

Du coup, quand ils découvrent une question, à la façon de celle portant sur le travail, qui échappe à cette facile dichotomie, ils se sentent perdus. C'est malheureux mais c'est ainsi. Pourtant, à savoir si le travail nous unit ou nous divise, il n'y a pas de quoi être perturbé. Mais non, le systématisme est plus fort que tout. La réponse ne rentre pas dans les deux cases oui/non, c'est la panique dans certaines têtes.

De quoi vraiment me mettre en rogne. Comme s'il n'existait pas une gamme très riche de réponses: peut-être, à condition que, oui mais, non sauf, oui en un sens et non en un autre sens, etc. On ne répond brutalement oui ou non que lorsqu'on est dans un constat d'évidence, pas dans une recherche de vérité. Dire oui ou non, c'est passer aux aveux devant le policier ou se marier devant monsieur le maire ou monsieur le curé, ce n'est pas penser. Le "ni oui ni non", c'est le jeu préféré du philosophe.

jeudi 27 novembre 2008

Une journée pas si particulière.

Quelle journée! Deux classes, deux élèves qui n'ont pas rendu leur copie, tous les deux absents le jour de la remise des devoirs, et qui n'ont rien dit une fois rentrés. Inacceptable et stupide! Ils devaient bien savoir que je finirais par savoir... Si encore ils avaient eu l'intelligence d'inventer une excuse vraisemblable! Même pas. Je n'en reviens pas, et je suis évidemment fort en colère. Ont-ils conscience de l'image, très négative, qu'ils donnent d'eux-mêmes en agissant ainsi? Je n'en suis même pas certain.

Ces deux-là, lecteurs réguliers de ce blog, vous les connaissez: ce sont les oreilles de Mickey (voir le billet du 24 novembre "Un problème d'écouteurs") et la cavalière (voir le billet du 12 septembre "Le jockey et le vendangeur"). Ils ne sont pas méchants, pourtant. Mais pourquoi ont-ils fait ça? Deux copies non rendues sur 89 élèves, ce n'est pas beaucoup, me direz-vous. Je vous répondrais que ce sont deux de trop. Je le vis comme une violation du contrat qui me lie aux élèves: rendre son travail au jour et à l'heure. Négliger ça, c'est porter atteinte à tout le reste.

En fin d'après-midi, réunion du CVL, Conseil de Vie Lycéenne: face-à-face, 5 adultes (un prof, deux parents, une infirmière, une surveillante) et 9 élèves (dont 5 à moi). Premier point à l'ordre du jour: la visite d'un élève du CVL à Xavier Darcos, le 15 novembre, pour parler de la nouvelle classe de Seconde. Deuxième point: le budget participatif, c'est-à-dire la jolie somme que verse la Région (près de 20 000 euros) pour des activités culturelles ou des aménagements matériels demandés par les élèves. Je compte bien, par ce biais, recommencer l'offre de 30 places gratuites pour les lycéens en vue des séances du Ciné-Philo.

mercredi 26 novembre 2008

Les déçus du café philo.

"Les déçus du café philo". C'est le titre de l'article du journal L'Union, consacré au café philo de samedi à Soissons, sur le thème: savons-nous encore nous amuser? (voir le billet "Philo, philo, philo"). Comme vous, je m'attendais à une critique, peut-être à une descente en flèche. Il est vrai que la sono ne fonctionnait pas bien, que cela suffisait pour rendre inconfortable la soirée (et provoquer mon irritation). Pourtant, le public était nombreux, une vingtaine de personnes, dont quelques nouveaux. La déception viendrait-elle d'eux?

Mais non, l'article est positif, et son titre doit être compris au second degré. Je vous cite le début:

"Parmi les déçus du café philo de la rue Charpentier doivent figurer ceux qui espèrent y trouver une réponse."

Et la fin de l'article:

"On aura compris, aucun consensus n'est obtenu, et ce n'est pas le but. Cette démarche philosophique sert à secouer les idées, à rendre intriguant ce qui pouvait paraître banal. Le café philo fait venir les gens avec une question, et les renvoie avec un questionnement. D'où son utilité citoyenne et démocratique."

Le journaliste a tout compris! Je ne saurais mieux dire. Moi aussi, parfois, je suis en butte à l'incompréhension de certains participants, qui saisissent mal et n'adhèrent pas à l'esprit café philo. Ils me réclament des références (ce n'est pas une conférence), ils voudraient un ordre précis (ce n'est pas un cours), ils souhaiteraient que je guide les débats (je ne suis pas ici professeur mais animateur), ils s'attendent à une conclusion (je n'ai aucun message à délivrer).

Le café philo, c'est la liberté d'échanger, le plaisir de se retrouver, rien de plus, rien de moins. Ca s'appelle café philo parce que le lieu est un café, que le sujet est philosophique et que l'animateur est prof de philo. Mais la comparaison s'arrête là. Et c'est suffisant. Après tout, la déception est une forme de pédagogie, le moyen de perdre ses illusions. De ce point de vue, elle est une étape de la philosophie.

mardi 25 novembre 2008

La Salle des Conseils.

La Salle des Conseils, c'est un terme très élyséen, qui désigne, dans mon lycée, la salle de réunion où se tiennent les conseils de classe, les conseils d'administration et toute sorte de réunions. Nous aurions pu l'appeler salle Henri-Martin, d'autant que le buste du personnage qui a donné son nom à l'établissement domine cette salle. Mais ça n'aurait guère été original. Quant à "salle de réunion", c'est d'un commun qui n'a pas sa place chez nous (plaisantons un peu, bien sûr...).

Ceci dit, c'est une magnifique salle, rénovée il y a plus de dix ans, et qui est encore comme neuve. Une grande table ovale, style conseil des ministres, occupe tout l'espace. Au fond, c'est la partie réservée à la direction, au dessous de deux drapeaux, français et européen. Au mur, il y a de jolis tableaux, qu'on peut toujours regarder quand on s'ennuie. Sinon, il ressort de cette salle une ambiance de chaleur, le bois de la table et du plancher y sont je crois pour quelque chose.

C'est surtout une salle qui donne le sentiment qu'il s'y passe des évènements importants, officiels, solennels, comme celui de ce matin, 11h00. Le chef d'établissement rencontrait un autre chef d'établissement, le proviseur du lycée européen de Villers-Cotterêts, pour signer une convention entre les deux établissements, qui permettra des échanges, des jumelages et des voyages, jusqu'en Chine! Ce matin, le vaste monde était convoqué dans la Salle des Conseils.

La scène m'évoquait une rencontre au sommet, entre chefs d'Etat, flanqués de leur Premier ministre, s'apprêtant à conclure une alliance, sous le flash d'un seul photographe, celui du journal L'Union. Mais qu'est-ce qui distingue un proviseur d'un proviseur-adjoint? L'un est plus âgé, l'autre plus jeunot. Détail amusant, l'adjoint de Villers est le portrait craché de Jean-Luc Mélenchon rajeuni!

Et moi, qu'est-ce que je faisais là? Les membres du conseil d'administration étaient conviés à la petite cérémonie, ainsi que les profs de langues. Mais j'ai raté le pot de l'amitié. Je devais filer à Hirson, pour animer un débat avec des lycéens, dont je vous parlerai peut-être demain.

lundi 24 novembre 2008

Un problème d'écouteurs.

J'ai deux élèves, sur 89, qui arrivent en classe avec deux énormes écouteurs autour du cou. On dirait des oreilles de Mickey. Ca les fait ressembler à des personnes travaillant à la radio ou dans un cockpit d'avion. C'est très bizarre, mais je suis sans doute le seul à trouver ça très bizarre. L'un de ces casques est d'un rose très voyant. Ces élèves ne s'en servent pas, du moins devant moi. D'autres élèves, dans le lycée, se baladent certes avec des écouteurs, mais ce sont de petits fils discrets à l'oreille.

Les deux élèves en question travaillent normalement, me semble-t-il. Rien en eux, pour le moment, ne trahit une certaine distraction. Il n'empêche que cette image qu'ils donnent d'eux-mêmes n'est pas vraiment positive. Porter un casque musical signifie qu'on a écouté ou qu'on va écouter de la musique, à l'intérieur de l'établissement, entre deux cours ou à la récréation.

Est-ce choquant? Pas vraiment, nous avons un foyer avec billard et télévision allumée. Le lycée n'est donc pas un lieu intégralement consacré au travail. Un peu de divertissement y a sa part, de fait. Mais l'exhiber aussi ostensiblement est peut-être aussi contestable que l'affichage d'un signe religieux. Les écouteurs pourraient rester dans le sac. Mais comme ils sont vraiment gros, je suppose qu'il y a un problème de place.

Et puis, sortir son portable après le cours, est-ce mieux? Pas certain. Pourtant, cela se fait, et chez moi, il n'y pas pour autant trouble à l'ordre scolaire. Moi aussi, il m'arrive de téléphoner, sans me cacher. Le problème de ces écouteurs (si problème il y a!), c'est comme la dimension d'une croix ou d'une médaille, c'est leur grosseur. Je ne dirais pas qu'ils font du prosélytisme, mais leur présence est tellement visible et incongrue dans une salle de classe qu'elle passerait presque, aux yeux d'un enseignant mal intentionné, pour une revendication ou même une provocation. C'est qu'ils sont gros, vraiment gros, ces écouteurs, et qu'ils font une drôle de tête à ceux qui les portent!

Je pourrai les interdire, exiger la discrétion, mais encore une fois, ce que je vois moi, personne ne semble le remarquer ni s'en offusquer. Donc je laisse faire. Mais si tous les élèves venaient avec cet attirail autour du cou, la situation deviendrait surréaliste et franchement gênante. Le philosophe Emmanuel Kant nous explique qu'une proposition est moralement acceptable quand elle est universalisable. Là, ce n'est pas le cas! Mais j'ai choisi de ne rien dire parce que, encore une fois, il n'y a pas trouble à l'ordre scolaire, et c'est pour moi l'essentiel. Et puis, en interdisant les deux machins, peut-être que je créerais un problème qui n'existe pas, sinon que pour moi. Allez savoir...

dimanche 23 novembre 2008

Philo, philo, philo.

Mon début de week-end a été philosophiquement chargé. J'ai animé trois cafés-philo en deux jours. Heureusement, jeudi soir, à Saint-Quentin, c'est Alain qui a assuré la "gestion" de la séance, moi seulement présent en tant que participant (je devais me rendre, avant la fin, à la conférence de Jean-Louis Debré, dont je vous ai parlé).

Premier café-philo: à Guise, mon rendez-vous mensuel au Centre social, dans l'atelier d'insertion des jeunes femmes rmistes. On rit et on réfléchit beaucoup. Pour ces personnes en marge, la rencontre avec un prof de philo, ce n'est pas rien, c'est une ouverture sur tout un monde qui leur fait du bien, auquel elles ont droit. Le sujet de ce vendredi après-midi: L'humanité est-elle condamnée à disparaître? Pas facile...

Qu'est-ce qui pourrait faire disparaître l'humanité? Un cataclysme naturel (tout le monde a à l'esprit le tsunami), la folie des hommes (une guerre nucléaire), la révolte des animaux (ne parle-t-on pas d'abeilles-tueuses?), la maladie (on a connu la peste et le choléra), la faim, la pénurie (d'eau par exemple)... La science-fiction évoque souvent la disparition de l'humanité, notamment par l'invasion d'extra-terrestres. Mais on n'y croit pas vraiment. Et puis, cette histoire de fin du monde, ne serait-ce pas un mauvais coup de la religion?

Et si l'humanité disparaissait d'elle-même? En ne se reproduisant plus (ou pas suffisamment). Ou bien en se métamorphosant, par les manipulation génétiques: une surhumanité idéale mettant fin à notre vieille humanité imparfaite. Réjouissant ou inquiétant? Un intervenant a mis tout le monde d'accord: dans cinq milliards d'années, le soleil va exploser et détruite notre planète. Mais d'ici là, peut-être que l'humanité aura colonisé l'univers?

Deuxième café-philo: le vendredi soir, à Essigny-le-Grand, à la demande de l'association Généalogie-Aisne. Vous devinez bien sûr le thème: Se connaît-on mieux quand on connaît sa généalogie? Rires, bonne humeur, apéritifs et petits gâteaux, une soirée philosophique réussie. Après tout, dans le Banquet de Platon, on boit, on rit, on s'amuse aussi. L'austère philosophie, c'est bon pour le lycée! Et encore... Avec nos généalogistes, nous tenons surtout à dénoncer les préjugés qui leur collent à la peau et à s'interroger sur cette passion contemporaine, au beau milieu d'une société individualiste qui a moins d'égards que par le passé envers la famille.

Troisième café-philo: samedi soir, à Soissons, au Havana Café, sur le thème: Savons-nous encore nous amuser? Je ne sais pas, mais nous nous sommes bien amusés à y réfléchir... Je vous laisse picorer dans quelques questions que nous nous sommes posés:

- L'amusement est-il une perte de temps?
- Le sérieux et l'amusement sont-ils compatibles?
- L'amusement est-il nécessaire au bonheur?
- Y a-t-il des amusements tristes et tragiques?
- L'amusement est-il réservé aux enfants?
- Peut-on s'amuser tout seul?
- La fête est-elle le sommet de l'amusement?
- L'Etat est-il chargé de nous amuser?
Etc

Nous avons prolongé l'amusement au restau, où Jean-Louis, prof d'histoire, s'est livré à une attaque en règle contre l'orthographe de notre langue, absurde et discriminatoire, lui préférant l'écriture phonétique. C'est rare d'entendre un prof dire ça. Pour la plupart, l'orthographe est une vache sacrée. Et sacrément vache! (je m'amuse, quoi...)